O. E. DUCHATEAU :
Si vous étiez un livre, vous seriez ?
HRODLAND :
Je ne sais, il m'arrive d'écrire, je parle parfois comme, je ne suis
pas un livre.
O. E. DUCHATEAU :
Soit, mais si vous étiez un poème, ou une chanson, vous seriez ?
HRODLAND :
Je ne suis ni un poème, ni une chanson, ni un livre, ni un animal, ni
rien d'autre : j'essaie simplement d'être un homme ! Un honnête homme,
un homme libre, un homme debout, un homme qui cherche, qui aime, qui
rêve...
« Rêver un impossible rêve
...
Aimer, même trop, même mal »
C'est difficile d'être un homme. Rien n'est simple quand on veut être
soi, respectueux de l'autre (des autres), sans concession pour la
facilité, la médiocrité. C'est difficile de conserver un cœur d'enfant,
un oeil neuf, étonné du monde qui nous entoure.
O. E. DUCHATEAU :
Voilà les grands mots lâchés. Mais, les notions qu'ils invoquent
ont-elles encore un sens aujourd'hui ?
HRODLAND :
Pour moi, il ne s'agît pas simplement de mots. Certes, certains peuvent
paraître quelque peu dépassés, mais ils éclairent notre quotidien. Il
en est ainsi de quelques-une des idées forces qui régissent notre
société. Il n'est qu'à voir l'usage qui est fait de mots tels que «
liberté », « honnêteté », « chrétienté », ... Les grands courants de
pensée remontent à la nuit des temps. Les concepts se sont développés,
affinés. Ils déterminent nos choix, selon notre personnalité propre,
nos rencontres, notre vécu, sans même que nous en ayons forcément
conscience. L'effet de mode, les langages plus ou moins hermétiques,
inventés par nos adolescents, nos politiques, nos savants, n'y peuvent
rien. Ainsi, la notion d' « honnête homme » est tout de suite
signifiante, sans qu'il soit besoin d'avoir suivi de longues études :
les années collège suffisent. Elle date peut-être du dix septième
siècle, elle éclaire la pensée de philosophes tels que Jean-Paul SARTRE
et bien d'autres.
O. E. DUCHATEAU :
Votre approche, en somme, s'inscrit dans la tradition avec un grand « T
». Seriez-vous conservateur ?
HRODLAND :
Conservateur ! Dieu m'en garde ! Même si ce qui peut paraître démodé
aujourd'hui n'est jamais que la mode de demain (rire) Non, je dirais
plutôt que ma démarche s'inscrit dans une certaine continuité. Les
rencontres faites, les événements vécus, les réponses données, au
travers du filtre de mes propres choix, produisent l'homme que je suis
aujourd'hui. Parce que je suis né européen, bien que né en Afrique, en
ce vingtième siècle de l'ère chrétienne, je suis européen et chrétien.
J'aurais pu tout aussi bien naître et vivre au cœur de l'Afrique ou de
l'Asie; la couleur de ma peau pourrait être noire ou jaune ; je serais
alors peut-être bien différent. Nous touchons là une des limites de la
notion de liberté, de libre choix ; nous y reviendrons sans doute.
Certains

évènements, certaines rencontres, m'ont
plus touché que d'autres. Ainsi, enfant -je devais avoir sept ou huit
ans- j'ai été touché par les paroles d'un vieux prêtre. C'est de là que
je date aujourd'hui ma rencontre avec Jésus de Nazareth. Rencontre
mystique ? Long chemin d'amitié, plus certainement. J'ai eu longtemps
le sentiment d'une présence permanente, fraternelle, quasi charnelle.
Je dis bien « présence », non pas croyance en un quelconque personnage
fumeux, installé dans ses nuages. Aujourd'hui encore, cette « amitié »
oriente mes choix de vie tels que garder un regard d'enfant, vivre au
service de l'autre, ne pas juger, écouter, accompagner, favoriser la
prise de conscience, la prise de confiance, avoir foi en l'autre. Et
essayer, encore essayer, malgré les échecs, les mauvais coups. Ne pas
être déçu, persévérer.
O. E. DUCHATEAU :
Après la tradition, la religion ! Mais l'un peut-il aller sans l'autre
? Afin si possible d'éclairer votre discours, de le rendre plus
facilement accessible, je vous propose d'organiser notre entretien
autour de quelques grands thèmes. Et puisque vous avez déjà engagé le
sujet, nous pourrions poursuivre la réflexion sous l'aspect religieux.
Nous évoquerions ensuite le thème de la vie et de la mort, puis celui
de l'amour, et enfin celui de la liberté.
HRODLAND :
Si c'est ce que vous souhaitez, après tout, c'est vous qui menez
l'entretien, même si, d'entrée de jeu, je l'ai quelque peu perturbé.
Cependant, histoire de ne pas trop vous faciliter la tâche, tous ces
thèmes ne sont guère pour moi que les différents aspects d'un même
objet philosophique. Ne risquons nous pas de laisser ainsi de côté
l'aspect plus prosaïque du ressenti, qui se complète par celui du
réfléchi ?
O. E. DUCHATEAU :
Essayons tout de même. Et puisque le religieux, c'est le domaine divin,
qui est Dieu pour vous ?
HRODLAND :
Vous avez raison, Dieu, singulier ou pluriel, serait l'origine de tout.
C'est donc un bon début.
...
Avec Jean CARDONNEL, je pourrais dire : « Dieu est mort en Jésus Christ
». Avec Pascal, je pourrais vous proposer de parier sur l'existence de
Dieu. Mais, je crains que ce ne soit pas la réponse attendue (rire)
...
Parler de Dieu, d'accord, mais lequel ? Le vrai ? Les faux ? Celui de
Maurice CLAVEL dans « Dieu est Dieu, non de dieu », d'André FROSSARD
dans son « Dieu existe » (il paraît qu'il l'a rencontré) ? Ou encore,
celui des Juifs ? Des Musulmans ? Des Chrétiens catholiques orthodoxes
romains ou byzantin, protestants, ... ? A chacun sa définition, son
approche, ses certitudes.
...
Cette question n'est pas nouvelle pour moi. J'ai parfois tendance à
dire : « quelle importance, que nous importe, qu'est-ce que ça changera
pour nous et pour le monde, pour la poussière infime que nous sommes,
posée sur un grain de sable, perdu dans un Univers dont nous ignorons
s'il est unique ? » En 1997, le 25 novembre (c'est précis), je
m'amusais à faire parler Dieu. Cela ne se fait pas, mais je ne résiste
pas au plaisir de me citer :
« Au commencement était le Verbe. Le
Verbe ! Vous parlez d'un nom !
Vous en dites de drôles, pauvres humains, pour exprimer ce que vous
ignorez ! Mais, il y a bien un peu de ça : le Verbe, parole que Dieu
adresse aux hommes, entre autres. Cependant, je ne sais pas qui est
Dieu, et je ne m'adresse pas seulement aux hommes ! Ma parole, c'est ce
que vous appelez aujourd'hui l'univers.
Au commencement, donc. Mais ce commencement a quelque chose d'éternel,
en ce qu'il se renouvelle à chaque instant. Vous en vivez aujourd'hui
une forme différente, et qui sait ce que sera demain ? Un de vos
penseurs se posait la question, pour vous essentielle : « pourquoi
y-a-t-il quelque chose et non pas rien ? ». Ne vous torturez pas
l'esprit. Je suis à la fois ce quelque chose et ce rien, je suis le
tout. Et même s'il n'était rien, je serais là, et la question serait
simplement inverse. Et, pour vous, ce questionnement n'est-il pas
affirmer : « il y a quelque chose, j'existe » ? Ainsi, vous imaginez un
commencement pour être ! »
Voila un discours bien dans la tradition, n'est-ce pas ? Ses premiers
mots sont extraits de l'évangile de Jean. Ils font référence au livre
de la Genèse (1,1) De quel commencement parlons-nous ? Il s'agît de la
période d'avant que le monde fût, au moment où Dieu créa le ciel et la
terre. Au passage, nous pouvons observer que Dieu était déjà à l'œuvre.
N'est-il pas extraordinaire qu'un petit peuple de rien du tout ait
donné des telles bases à leurs croyances, alors que d'autres peuples
bien plus évolués restaient asservis à des dieux nombreux et cruels.
Quant au Verbe, nous passons directement de l'hébreu au latin, le Verbe
n'étant, selon les traducteurs de la bible « Osty », qu'une simple
transcription de la traduction latine « verbum » de l'original grec «
logos », c'est à dire parole, celle dite par Dieu en personne :
« Dieu dit : « Que la lumière soit », et la lumière fut »
J'ai déjà évoqué ce commencement par ailleurs, en le rapprochant à la
théorie actuelle du Big bang. Une explication qui en vaut une autre.
Ceci nous ramène à la question simple et aujourd'hui sans réponse :
qu'y avait-il avant que nous ne soyons ? Première réponse possible à
votre « qui est Dieu » : ce qui fût avant que nous ne soyons. Et
puisque rien ne se créé et tout se transforme, Dieu est ce que nous
sommes après ce que nous étions. Bien entendu, lorsque je dis « nous »,
je parle de l'ensemble de l'univers tel que nous le (mé)connaissons
aujourd'hui, toutes tendances confondues.
Donc, je viens de vous le dire, si Dieu existe, nous en sommes partie.
La même tradition précise que Dieu est notre Père. Les enfants ne
sont-ils pas, pour partie, à l'image de leurs parents ?

O. E. DUCHATEAU :
Soit ! Une
vision sommes toutes classique du Dieu créateur, origine de la vie ...
et de tous nos maux ! Si j'en crois le livre de la Genèse, ce Dieu si
bon, si paternel, n'a pas hésité à mettre l'homme hors du Paradis pour
avoir mangé le fruit de la connaissance ! Vous croyez réellement en ce
Dieu ?
HRODLAND :
Croire en Dieu a-t-il une réelle importance ?
Qu'il existe ou pas, sauf à admettre que nous sommes acteurs d'un rêve,
nous existons, nous, et le monde avec. DESCARTES n'a-t-il pas affirmé :
« je pense donc je suis ? » Quant à l'existence de ou des Dieu(x), (les
chrétiens eux-même n'ont-il pas un Dieu unique à trois dimensions : le
Père, le Fils et le Saint Esprit ?), la question est toujours posée, la
vérité du Dieu étant fonction de celui qui l'invoque. Ainsi, plusieurs
options sont possibles :
-
le
Dieu des
chrétiens
intégristes, persuadés qu'ils sont que
« Dieu n'est rien d'autre que la somme des
définitions dogmatiques de l'église
romaine »
-
les
anarco-chrétiens, mais
peut-on être chrétien sans être
anarchiste, peuvent à tout le moins revendiquer un
« ni Faux-Dieu, ni
Maître ».
Mais nous revenons là à la libre
appréciation de chacun : qu'est-ce pour vous qu'un faux
Dieu, qui nous ramène à qu'est-ce que (qui est)
Dieu ! Il est au moins un point dont je suis sûr : je ne
saurais avoir de Maître, Jésus lui-même
nous l'interdit
! Et l'Église elle même, au Concile de
NICÉE de 325 !
-
Dieu
n'est pas
scientifiquement
prouvé. Vous pouvez donc affirmer qu'il n'est qu'une
invention humaine, son unicité pouvant être
comprise comme un Dieu englobant, représentant unique de
l'ensemble des connaissances, croyances, superstitions humaines,
explication ultime de ce que nous sommes. Qui pourrait vous
démontrer le contraire ?
-
GAGARINE,
lors
du premier voyage
humain dans l'espace, a pu dire qu'il n'avait pas rencontré
Dieu. Vous pouvez cependant affirmer qu'il existe quelque part, dans
une région encore inconnue. Vous pouvez estimer aujourd'hui
qu'il n'a pas créé uniquement l'homme
à son image. Ne sommes nous pas à la recherche
d'autres êtres intelligents, qui vivraient quelque part dans
l'univers, peut-être plus évolués que
nous, en tout cas suffisamment évolués et proches
de nous pour être à notre propre recherche, et,
qui sait, nous avoir adressé un message,
-
libre
à
vous aussi
d'affirmer que Dieu est partie de notre monde, partie de nous
même, et que ce que nous en connaissons est comparable
à la
« mémoire » de l'eau,
invoquée par les homéopathes pour expliquer
l'efficacité de leurs préparations. Aujourd'hui,
les savants qui ne savent pas qu'ils ne savent rien, disent cette chose
impossible. N'en était-il pas de même,
à l'époque où science, religion et
sorcellerie faisaient un tout ? Alors, la Terre était plate,
les hommes n'étaient que des outres pleines de sang !
-
A
vous d'imaginer tous les autres possibles !
Peut-être que la bonne réponse figure dans ces propositions ? (rire)
Donc,
oui, la question de Dieu m'intéresse comme une explication possible de
notre présence, aujourd'hui et maintenant. Mais, bien plus importante
pour moi, car bien plus proche de mes préoccupations d'être pensant,
vivant en sursis, est la vision qu'en donne Jésus de Nazareth, même au
travers des seuls textes que les religieux veulent bien nous laisser en
accès plus ou moins libre.
O. E. DUCHATEAU :
Que voila une réponse claire et précise ! Un politique dans l'embarras
ne ferait guère mieux !
HRODLAND :
Vous
voulez peut-être que je vous dise le catéchisme tel que je l'ai connu
dans mon enfance ? Nous n'en sommes heureusement plus là ! Vous
souhaiteriez entendre : « Dieu est ceci » ou « Dieu est cela ». Ce que
je puis dire, c'est que je ne crois pas au « Dieu tout puissant,
créateur du ciel et de la terre », comme je ne crois pas en l'Église, «
une, sainte, catholique et apostolique », simplement parce que je fais
le choix du Jésus des évangiles ! Si je veux garder un cœur d'enfant,
si je veux « mourir étonné » comme l'écrit Gilbert CESBRON, si je veux
être accueil, ouvert à tous les possibles, être à l'écoute, au service
de tous, il ne peut en être autrement.
O. E. DUCHATEAU :
Disant cela, ne risquez-vous pas de voir se
fermer les portes de l'Église, voire des églises ? Peut-on affirmer
faire le choix de Jésus, LE fils de Dieu, et rejeter ainsi le Credo ?
Qui est, pour vous, ce Jésus, désigné comme étant le Christ, le
Sauveur, que vous vous refusez à désigner comme tel ?
HRODLAND :
« Et vous, qui dites-vous que je suis ? » 7
...
Nous tenons là, je crois, LA question essentielle, celle qui, encore
aujourd'hui éclaire ma vie.
...
Je
vous le disais tout à l'heure, je date le début de mon amitié avec
Jésus à un événement survenu alors que j'avais sept ou huit ans. Je ne
sais quel jour exactement, je ne sais pourquoi. Il n'y a pas eu de
grand éclair blanc, pas de grande lumière comme pour Paul ou pour
Maurice CLAVEL8 Une image est restée gravée dans ma mémoire, encore
vivante aujourd'hui. Le vieux prêtre qui officiait venait de dire un
long sermon, où il était question de service de Dieu et de la
communauté, d'engagement. Je ne sais ce qui c'est passé dans ma tête
d'enfant ; l'appel est encore bien vivant aujourd'hui. Comme je le
disais tout à l'heure, il s'agît d'une longue amitié ! Et que Jésus
soit aussi appelé Christ ne me dérange pas, à condition que cette
dénomination ne soit pas utilisée comme moyen d'exclusion de tous ceux
qui ne reconnaissent pas cette appellation.
Mais revenons à
Jésus. Sa rencontre a été personnelle. La connaissance que j'en ai ne
peut qu'être personnelle. Pour faire court, je ne saurais me contenter
de l'enseignement des Églises. Je ne puis avoir confiance dans les
textes sensés nous le faire connaître : Jésus, c'est à la fois un homme
et un mythe. Les textes qui font référence dans notre monde
d'aujourd'hui, les quatre Évangiles, ont été écrits tardivement9 , dans
un but didactique et démonstratif plus qu'historique, sélectionnés bien
plus tardivement encore parmi bien d'autres. Leurs auteurs sont
incertains 10 . Sans doute s'appuient-ils sur des traditions orales. On
s'est transmis le récit d'évènements qui ont marqué des hommes et des
femmes qui ont vécu quelque chose d'extraordinaire. Cependant, nous
savons bien les incertitudes des témoignages, même saisis dans leur
immédiateté. Et que penser de tels témoignages directs, après leur
passage au travers du filtre de la transmission orale, des sélections «
politiques »11 des différentes églises, et de la traduction12
Ces
réserves étant posées, il reste la rencontre d'un homme, et quel homme.
Il n'est point besoin d'en faire le fils de Dieu par
parenthèse
(cela n'a rien de bien extraordinaire : ne sommes nous pas nous-mêmes
fils et filles de Dieu), pour être touché par la force de ses
actes. L'étude de sa vie, les conversions qu'elle demande, suffisent
amplement à emplir, à combler notre courte existence, sans qu'il soit
nécessaire d'y ajouter quoi que ce soit. S'il n'était cette relation
particulière, cette amitié singulière, je pourrais fort bien me
contenter d'une telle approche, et tout de même m'indigner des
transformations, des adaptations apportées au message originel par
ceux-là mêmes qui se disent ses disciples.
O. E. DUCHATEAU :
N'est-il pas paradoxale de parler d'amitié, de rencontre, tout en
faisant référence à un homme mort depuis deux mille ans ?
HRODLAND :
Pour
le Fils de Dieu, tout n'est-il pas possible ? Plus sérieusement,
avez-vous visionné le film « Z » de Costa Gavras ? « Z » signifie « il
est vivant », en grec ancien. C'est l'histoire vraie d'un député grec,
dans la triste période du régime fasciste des colonels, assasiné en
pleine ville. Le titre du film est un peu sa conclusion : il est vivant
! Alors oui, aujourd'hui, malgré toutes les trahisons, les
déformations, les incohérences, oui, je puis affirmer que Jésus est
bien vivant ! Tant que les idées, les pensées, les actes, le souvenir
d'un homme, sont vivants, l'homme lui-même ne peut mourir. Et Dieu sait
si les idées, les pensées, les actes, le souvenir de cet homme, sont
encore bien d'actualité. Que serait notre monde aujourd'hui, s'il
n'avait été trahi par ceux-là même qui disent transmettre son message ?
Mais, s'il est un paradoxe, c'est bien là qu'il se trouve : les
Eglises, malgré tout ce que je viens d'énumérer, servent au moins à
garder vie au message originel et à son messager.
O. E. DUCHATEAU :
Permettez
moi d'objecter que ce message, si valide soit-il aujourd'hui encore,
n'était déjà pas si nouveau du vivant de Jésus lui-même.
HRODLAND :
Bien
entendu. L'histoire n'est qu'une longue suite d'évènements. Sans doute,
l'enseignement de Jésus, malgré sa brièveté -selon les sources, sa vie
publique n'aurait duré que de un à trois ans- a du paraître si
dangereux aux hommes de pouvoir de l'époque, qu'ils ont jugé nécessaire
de le faire disparaître. Ils s'y sont si bien pris que, voulant en
faire un exemple négatif, ils en ont fait un martyre ; au lieu
d'éteindre la flamme, ils ont allumé le feu. Et cependant, il semble
que, à l'époque, si on en juge par les écrits laissés par les
historiens, ces évènements n'avaient rien d'extraordinaire ! Pas de
quoi, en tous cas, initier un tel mouvement. Ainsi, Jésus n'a pas fondé
d'Eglise, pas même une secte. Il n'a pas inventé le christianisme. Il
était Juif, simplement. Peut-être a-t-il fréquenté tel ou tel groupe
religieux, esséniens ou autres. Il s'exprimait en araméen. Peut-être
savait-il lire et écrire. Sans doute, ses contemporains ne
connaissaient-ils pas le latin, langue bien connue des occupants
romains, puisque les originaux des évangiles étaient rédigés en grec.
Le judaïsme lui-même est profondément marqué par son histoire.
N'oublions pas que, en ce bas monde, rien ne se crée, tout se
transforme. Mais, nous n'allons pas refaire ici l'histoire des
religions.
O. E. DUCHATEAU :
Pourquoi faire simple quand on
peut faire compliqué ? Ainsi donc, l'origine d'une des religions
dominantes n'est pas religieuse ? Qu'est-ce que la religion, alors ?
HRODLAND :
Tout
est religieux, l'acte politique, la philosophie, tout. Le religieux,
c'est chercher à expliquer le monde qui nous entoure, sa raison d'être,
son fonctionnement, la vie, tout. Ainsi, tout est dit ! Tous les actes
que je pose, tous les choix que je fais ou ne fais pas, tout cela est
expression de ce que je crois. Que cette recheche que je conduis soit
qualifiée de religieuse, de politique, de philosophique, peu importe :
cette recherche éclaire ma vie, justifie ma vie d'homme. Mais, soyons
bien clairs, il n'est pas question d'interdits, de dogmes, de censure,
de parti pris. Il nous faut garder les yeux, le coeur, grands ouverts.
C'est une des différences que je fais entre religieux et religion.
O. E. DUCHATEAU :
J'avais cru comprendre que Jésus était la lumière du monde. Votre
discours ne m'éclaire guère !
HRODLAND :
Diogène vous aurait-il plus éclairé ?
O. E. DUCHATEAU :
Selon
la légende ... Mais, après ce que vous venez de développer, peut-on
encore parler de philosophie, de politique, si pour vous tout est
religieux ?
HRODLAND :
Disons que ce que nous appelons « religieux
» est l'élément fédérateur. La réflexion philosophique, le politique,
l'action dans le cadre associatif ou syndical, notre façon même
d'expliquer le monde qui nous entoure, sont des modes d'expression de
ce quelque chose bien plus vaste, de cet élément fédérateur. C'est
pourquoi il est si important de bien différencier « religion » de «
religieux ». Il n'est pas question ici de dogme, d'obligatoire ou
d'interdit. Il est question de recherche libre, ouverte, en "vérité".
Le philosophe interroge le réel et tente « d'esquisser une
compréhension du monde et des principes d'action »13 Le politique tente
de mettre en oeuvre sa compréhension du monde et des principes d'action
dans une société, à un moment donné. Tous deux ont, en principe, une
vision globale de leur environnement. Le syndicaliste tente de défendre
des intérêts particuliers. Et ainsi de suite, à tous les niveaux de la
société, chacun s'appuyant sur ses convictions propres, sur ses
intérêts, ses solidarités. Pour ma part, je n'ai jamais pu adhérer à
une organisation politique. Ceci ne signifie pas que je ne choisis pas
telle orientation politique plutôt que telle autre : mes choix sont
éclairés par les réponses religieuses trouvées dans mes
questionnements. De même, dans les actions syndicales que je mène,
j'interroge tout autant les personnes que je défends que celles que je
combat.
Notes