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Notre Père, LA prière que Jésus nous a donné.

C'est du moins le texte qui nous a été transmis par les premiers disciples, les premières communautés de croyants, au travers des filtres du temps, de la transmission orale, des pertes liées aux traductions successives de l'araméen au grec, puis au latin. Et aussi au travers des modifications apportées par les Pères des églises -sa forme actuelle n'a-t-elle pas été arrêtée au 4ème siècle- au fil des prises de pouvoir, des besoins politiques du moment, et ce jusqu'à sa mise en forme œcuménique provisoirement définitive de 1966, si œcuménique que certains s'en sont déjà retirés.

D'aucuns s'étonnent que cette prière, LA prière selon les églises nombreuses qui font référence à la vie de Jésus, soit profondément juive. On nous dit qu'elle « s'apparente, pour le contenu aussi bien que pour la forme, aux prières juives et en particulier à la « prière des Dix-huit Demandes » que les Juifs récitent encore aujourd'hui »1, la Amidha. Quoi d'étonnant en cela ? Jésus n'était-il pas Juif ? Ses premiers disciples ne priaient-ils pas dans les synagogues, en bons Juifs qu'ils étaient ? N'est-ce pas pour les exclure qu'a été inventée la 19ème demande, dite prière des Minim (les « apostats », ceux qui ont abandonné leur religion) ? Que nous reste-t-il de l'original araméen ? Bien d'autres choses pourraient nous étonner. Ainsi, dans l'évangile de Matthieu, ce texte est précédé d'indications précises sur comment prier. Entre autres, il est préconisé de ne pas rabâcher à l'image des païens qui « pensent que c'est à force de paroles qu'ils seront exaucés ». Curieuse introduction à un texte formalisé, appelé à être repris en toutes occasions. Au travers de cette introduction, il m'apparaît que Le Notre Père n'est qu'un exemple, qu'une proposition. Il s'inscrit dans une tradition de prière qu'il ne condamne pas, il corrige la façon de prier, et peut-être aussi le rôle qui a été assigné à la prière. Et c'est bien ce qui justifie les différences existantes dans les évangiles de Matthieu et de Luc.

Notre Père, donc, dans la version de votre choix. Espérons que, au moins en esprit, nous y retrouvons bien la proposition de Jésus.

Père, Notre Père céleste, Notre Père qui es aux cieux.

Notre

Luc retire, d'entrée de jeu, tout risque d'appropriation introduite par le Notre de Matthieu. Ce Notre n'est pas signe de propriété privée, n'est pas signe d'appartenance à une quelconque famille, une quelconque église. Ce Notre doit être pris dans son sens universel. Il signe notre appartenance commune à tout ce qui fait notre univers, la création dans son ensemble. Il à même valeur que lorsque nous parlons de nos propres parents.

Père qui es aux cieux

La prière s'adresse au Père, le créateur, YHWH, « Je suis celui qui suis », « Je suis qui je serai »2. « L'expression "qui es aux cieux" ne veut pas localiser le Père ; elle correspond à une tournure sémitique qui affirme simultanément que Dieu domine la terre entière (dans les cieux) et que Dieu, par son amour paternel, tout près des hommes (Notre Père) »3

« N'appelez personne sur la terre votre "Père" : car vous n'en avez qu'un seul, le Père céleste. » (Mat 23, 9)

« Est-ce l'éternel que vous en rendrez responsable, Peuple insensé et dépourvu de sagesse? N'est-il pas ton père, ton créateur? N'est-ce pas lui qui t'a formé, et qui t'a affermi ? » (Dt 32, 6)4

L'adresse en elle-même n'est pas indispensable, puisque celui à qui l'on s'adresse est réputé connaître ce dont nous avons besoin. Mais, pauvres humains que nous sommes, nous avons besoin de nommer celui à qui nous faisons notre demande. C'est, pour nous, une entrée en matière qui autorise l'expression même. C'est aussi une façon d'attirer l'attention de la personne à qui nous nous adressons.

Fais-toi reconnaître comme Dieu,
fais toi connaître comme Dieu,
Que ton nom soit sanctifié

« Tu t'avanceras contre mon peuple d'Israël,
Comme une nuée qui va couvrir le pays.
Dans la suite des jours, je te ferai marcher contre mon pays,
Afin que les nations me connaissent,
Quand je serai sanctifié par toi sous leurs yeux, ô Gog !
Ainsi parle le Seigneur, l'éternel : Est-ce toi de qui j'ai parlé jadis
Par mes serviteurs les prophètes d'Israël,
Qui ont prophétisé alors, pendant des années,
Que je t'amènerais contre eux ?
En ce jour-là, le jour où Gog marchera contre la terre d'Israël,
Dit le Seigneur, l'éternel, La fureur me montera dans les narines.
Je le déclare, dans ma jalousie et dans le feu de ma colère,
En ce jour-là, il y aura un grand tumulte
Dans le pays d'Israël.
Les poissons de la mer et les oiseaux du ciel trembleront devant moi,
Et les bêtes des champs et tous les reptiles qui rampent sur la terre,
Et tous les hommes qui sont à la surface de la terre ;
Les montagnes seront renversées,
Les parois des rochers s'écrouleront,
Et toutes les murailles tomberont par terre.
J'appellerai l'épée contre lui sur toutes mes montagnes,
Dit le Seigneur, l'éternel ;
L'épée de chacun se tournera contre son frère.
J'exercerai mes jugements contre lui par la peste et par le sang,
Par une pluie violente et par des pierres de grêle;
Je ferai pleuvoir le feu et le soufre sur lui et sur ses troupes,
Et sur les peuples nombreux qui seront avec lui.
Je manifesterai ma grandeur et ma sainteté,
Je me ferai connaître aux yeux de la multitude des nations,
Et elles sauront que je suis l'éternel » (Ez 38, 16-23)


« Je vous recevrai comme un parfum d'une agréable odeur, quand je vous aurai fait sortir du milieu des peuples, et rassemblés des pays où vous êtes dispersés; et je serai sanctifié par vous aux yeux des nations » (Ez 20, 41)


« Le Nom de Dieu est un terme biblique, principalement liturgique, qui désigne son Être. L'expression sanctifier Dieu ou son Nom, également d'origine biblique, ne signifie pas que l'on ajoute à la sainteté de Dieu, le Saint par excellence ; mais elle indique qu'on reconnaît et manifeste ce qu'Il est, dans toute sa gloire. Dieu seul peut se manifester dans sa puissance et sa gloire, sa justice et sa grâce, mais nous participons à cette manifestation et ainsi sanctifions Dieu par notre obéissance à Ses commandements [l'humilité] et la reconnaissance que nous avons de contempler le Dieu révélé [la louange]. »5

Cette demande répond à une tradition bien humaine : nous nous devons d'honorer, de sanctifier le puissant, le plus fort, homme ou dieu, et marquer ainsi notre soumission. Ceci est profondément ancré, jusque dans les textes les plus sacrés. Dans cet esprit, des hommes se font appeler Père, Seigneur. Quelques-uns se disent investis de pouvoirs divins, d'autres se disent Dieu lui-même. De là à affirmer que cette tradition a été initiée par « Dieu, le Père tout puissant », il n'y a qu'un pas, vite franchi !

Il est aussi une autre façon de connaître, de sanctifier, celle que Jésus nous enseigne justement, ici et maintenant. Il ne s'agît plus de se soumettre, d'obéir, il s'agît de s'ouvrir à l'esprit, de participer au mouvement même de création. Il nous faut être à l'écoute, au service, être passant.6


Fais venir ton règne, Que ton règne vienne

« Les disciples lui disaient : Le Royaume, quand viendra-t-il ? Jésus répondit : Ce n'est pas en guettant qu'on le verra venir. On ne dira pas : Voici qu'il est là, ou il est ici. Le Royaume du Père est répandu sur toute la terre et les hommes ne le voient pas. »7



Le règne de Dieu, inauguré par le Christ, est encore rejeté de par le monde ; nous demandons qu'il soit bientôt manifesté et définitivement reconnu sur toute la terre. Tous ceux qui ont entr'aperçu le royaume de Dieu savent combien ce règne est l'avènement tant attendu… 8



Et nous sommes là, dans l'attente que le Paradis vienne à nous. Royaume ou République ? Et qui est Roi ? Vous ? Pas moi, en tous cas ! Ce règne n'est que Service, au service du plus petit d'entre nous. Mais de celui-ci, s'agît-il seulement d'un homme ?

Fais se réaliser ta volonté sur la terre à l'image du ciel,
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel


Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour.

22 Jésus dit ensuite à ses disciples: C'est pourquoi je vous dis: Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous serez vêtus.
23 La vie est plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement.
24 Considérez les corbeaux: ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n'ont ni cellier ni grenier; et Dieu les nourrit. Combien ne valez-vous pas plus que les oiseaux!


Pardonnes-nous nos péchés, car nous-mêmes nous pardonnons à tous ceux qui ont des torts envers nous,
pardonne nous nos torts envers toi, comme nous-mêmes nous avons pardonné à ceux qui avaient des torts envers nous,
Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.

Et, lorsque vous êtes debout faisant votre prière, si vous avez quelque chose contre quelqu'un, pardonnez, afin que votre Père qui est dans les cieux vous pardonne aussi vos offenses. 26 Mais si vous ne pardonnez pas, votre Père qui est dans les cieux ne vous pardonnera pas non plus vos offenses Mc 11, 24-26

Et ne nous expose pas à la tentation,
Et ne nous expose pas à la tentation, mais délivre nous du Tentateur,
Et ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du mal.


La vie est une fleur fragile qu'il nous faut protéger. Elle est partie d'un tout, et ne peut en être dissocié. Chaque élément participe au tout et ne doit pas être sous estimé. L'ensemble baigne dans l'esprit.


Notre Père, selon Matthieu 6, 9-15

Vous donc, priez ainsi :

« Notre Père céleste,

fais toi connaître comme Dieu,

fais venir ton règne,

fais se réaliser ta volonté sur la terre à l'image du ciel.

Donnes-nous aujourd'hui le pain dont nous avons besoin,

pardonne nous nos torts envers toi, comme nous-mêmes nous avons pardonné à ceux qui avaient des torts envers nous,

et ne nous expose pas à la tentation, mais délivre nous du Tentateur. »


En effet si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera à vous aussi ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos fautes.10


Notre Père, selon Luc 11, 2-4

Il leur dit : quand vous priez, dîtes :

« Père,

Fais-toi reconnaître comme Dieu,

Fais venir ton règne,

Donnes-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour,

Pardonnes-nous nos péchés, car nous-mêmes nous pardonnons à tous ceux qui ont des torts envers nous,

Et ne nous expose pas à la tentation. »11


Le Notre Père des catholiques et des protestants

Notre Père, qui es aux cieux,

que ton nom soit sanctifié,

que ton règne vienne,

que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.

Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour.

Pardonne-nous nos offenses,

comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.

Et ne nous soumets pas à la tentation,

mais délivre-nous du mal.


Car c'est à toi qu'appartiennent le règne, la puissance et la gloire,pour les siècles des siècles !

Amen.9


Le Notre Père selon l'église apostolique d'Arménie

Notre Père qui es au cieux,

Que ton nom soit sanctifié,

Que ton royaume vienne

Que ta volonté soit sur terre comme au ciel

Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien

Remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs

Ne nous laisse pas entrer en tentation,

Mais délivre-nous du malin.

Car à toi sont le royaume, la puissance et la gloire.

Amen.12




 Le Notre Père sous différentes formes




Le Notre Père selon l'église apostolique d'Arménie

Notre Père qui es au cieux,

Que ton nom soit sanctifié,

Que ton royaume vienne

Que ta volonté soit sur terre comme au ciel

Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien

Remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs

Ne nous laisse pas entrer en tentation,

Mais délivre-nous du malin.

Car à toi sont le royaume, la puissance et la gloire.

Amen.12



(d'après le site http://bibel.lu/spip.php?article692)


17e dimanche C, 29.07.07

Luc 11,1-13

Contexte

Le chapitre 11 poursuit le thème de la formation des disciples par Jésus. Luc rassemble dans ces versets plusieurs enseignements de Jésus sur la prière, une parabole qui invite à persévérer dans la demande, une exhortation à la confiance envers le Père des cieux.

Un jour, quelque part, Jésus était en prière.

La prière de Jésus a été mentionnée à plusieurs reprises au cours de cet évangile. Lors du baptême (3,21), avant le choix des disciples (6,12), après la multiplication des pains (9,18), avant la transfiguration (9,28) et ici avant la transmission du "Pater". Luc tient à montrer que Jésus enseigne aux disciples sa propre prière.

Quand il eut terminé, un de ses disciples lui demanda : « Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean Baptiste l’a appris à ses disciples. »

Au chapitre 5,33 les pharisiens avaient fait remarquer à Jésus que les disciples de Jean priaient et jeûnaient beaucoup alors que les disciples de Jésus, eux, mangeaient et buvaient comme tout le monde. Ici un disciple de Jésus demande à son maître de lui apprendre à prier comme Jean l’apprend à ses disciples, - implicitement , de lui enseigner la prière qui caractérise le groupe des disciples de Jésus.

Il leur répondit : « Quand vous priez, dites :

 La prière des disciples de Jésus s’apparente aux prières juives et en particulier à la prière "des Dix-huit Demandes" que les juifs récitent encore aujourd’hui. Elle sen distingue par la grande simplicité avec laquelle Dieu est invoqué. L’ordre des demandes est lui aussi caractéristique de l’enseignement de Jésus : d’abord la demande répétée à Dieu pour Dieu-même - toute préoccupation de triomphe politique ou religieux se trouve exclue - ensuite les requêtes exprimant les besoins essentiels des disciples. Cette prière est transmise par Matthieu et par Luc sous deux formes différentes. La version de Luc est plus brève : 5 demandes au lieu de 7. Quelle est la forme la plus ancienne ? On l’ignore mais on relève de part et d’autre des indices d’adaptation à l’usage de communautés de milieu différents. [1]

Père,

l’invocation est simple. Luc omet la précision apportée par Matthieu : Notre Père (qui es aux cieux). Il accentue ainsi le fait que Jésus apprend à ses disciples à prier avec ses propres mots de Fils. (10,21 et en 22,42, 23,34.46).

que ton nom soit sanctifié,

c’est une demande classique dans le judaïsme. Le nom désigne l’être d’une personne, or Dieu dans l’A.T. est celui qu’on ne peut nommer parce que nommer quelqu’un revient à le connaître, et Dieu transcende toute connaissance que l’on peut avoir de lui. Le nom de Dieu est donc sanctifié : adoré dans le culte et manifesté dans la vie grâce à la pratique des commandements. Lorsque la prière présente demande à Dieu d’agir pour que soit sanctifié son Nom, elle lui demande de se manifester comme Père.

que ton règne vienne,

le Règne est déjà arrivé (10,11) mais reste à accomplir dans la sanctification du Nom.

Donne-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour.

A la différence de Matthieu qui demande le pain d’aujourd’hui, Luc le demande pour chaque jour, pour toute la vie engagée à la suite du Christ. Que le besoin du pain soit toujours référé à celui qui seul peut y subvenir, le Père "qui sait ce dont vous avez besoin"(12,30) [2]

Pardonne-nous nos péchés,car nous-mêmes nous pardonnons à tous ceux qui ont des torts envers nous.

Selon l’enseignement de Jésus, nos devoirs envers Dieu sont indissociables des devoirs envers nos frères, aussi la demande de pardon que nous adressons à Dieu doit-elle être fondée sur notre propre disposition à pardonner. Tandis que Matthieu situe ce pardon fraternel à l’instant qui précède la prière, Luc l’étend à toute la durée de la vie chrétienne.

Et ne nous expose pas à la tentation, littéralement ne nous introduis pas dans la tentation,

Luc omet la finale de Matthieu délivre de nous du Tentateur, mais attribue lui aussi la tentation à Satan (4,2.13, 8,12-13,) et non pas à Dieu. Mais parce que Dieu est souverain et que Satan ne peut s’opposer à lui à égal, le disciple prie Dieu non pas de lui épargner l’épreuve mais de veiller à ce qu’elle ne soit pas au-dessus de ses forces.

Jésus leur dit encore,

la parabole suivante est propre à Luc et met en lumière l’aspect de demande de la prière précédente et la persévérance qu’elle requiert parfois.

Supposons que l’un de vous ait un ami et aille le trouver en pleine nuit pour lui demander : ’Mon ami, prête-moi trois pains : un de mes amis arrive de voyage, et je n’ai rien à lui offrir.’

Trois fois le terme d’amis - l’insistance n’est pas sans lien avec la pointe de la parabole. Il s’agit donc de trois personnages, le demandeur est lié aux deux autres, il supplie l’un pour subvenir aux besoins de l’autre. Sa demande : du pain, rappelle la prière de Jésus : Donne-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour.

Et si, de l’intérieur, l’autre lui répond : ’Ne viens pas me tourmenter ! Maintenant, la porte est fermée ; mes enfants et moi, nous sommes couchés. Je ne puis pas me lever pour te donner du pain’,

Le refus est clair et la demande n’affecte pas l’ami confortablement installé à l’intérieur, derrière la porte fermée, sa famille et lui couchés ; il ne veut pas être tourmenté et ne veux pas se déranger.

moi, je vous l’affirme : même s’il ne se lève pas pour les donner par amitié, il se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami, et il lui donnera tout ce qu’il lui faut. 

Jésus part de ce refus d’agir par amitié pour conclure qu’un autre motif conduira à exaucer la prière du demandeur de pain et qui est liée à l’audace de sa démarche effrontée.

Eh bien, moi, je vous dis : Demandez, vous obtiendrez ; cherchez, vous trouverez ; frappez, la porte vous sera ouverte. Celui qui demande reçoit ; celui qui cherche trouve ; et pour celui qui frappe, la porte s’ouvre.

Ces paroles, insérées à la jointure des deux paraboles, articulent la demande tenace de l’homme et la générosité infinie du don de Dieu. Demander, chercher, frapper à la porte, trois expressions pour caractériser la prière, à chacune d’elle répond l’action de Dieu au passif, comme si dans le fait de demander était déjà reçu le don, dans la démarche de chercher, la certitude de trouver ce que l’on cherche et dans l’initiative de frapper à la porte, l’ouverture de celle-ci. Ce que vient illustrer la parabole suivante

Quel père parmi vous donnerait un serpent à son fils qui lui demande un poisson ? ou un scorpion, quand il demande un oeuf ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père céleste donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » 

Des liens d’amitié on passe à ceux d’un père avec son fils. La parabole joue sur la ressemblance entre le serpent et le poisson, le scorpion et l’oeuf. Quel père tromperait son enfant en jouant d’un faux-semblant qui envenimerait non seulement sa confiance mais aussi son existence ? A fortiori le Père du ciel qui est bon, ne va-t-il pas décevoir la confiance de ses enfants, il exauce leur demande en leur donnant l’Esprit Saint, l’inimaginable don caché dans chacune de leur prière dès lors qu’ils se tournent vers Dieu pour lui dire Père.

"L’évangile de Luc", Hugues Cousin

[1] Mt 6,9, v, note TOB

[2] c, note TOB


(d'après le site de http://www.eglise-armenienne.com/Spiritualite/Notre_Pere.htm)

LE NOTRE PERE Notre_Pere.jpg (59 ko)

LA PRIERE DU CHRETIEN

Le Notre Père a été enseigné par le Christ lui-même à ses disciples, comme étant la prière devant être adressée à Dieu le Père, ce qui en fait la prière par excellence du chrétien. Jésus en prononça les paroles alors qu'il mettait en garde contre l'hypocrisie et le rabâchage dans la prière : " Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites qui aiment faire leurs prières debout dans les synagogues et les carrefours, afin d'être vus des hommes. En vérité, je vous le déclare : ils ont reçu leur récompense. Pour toi, quand tu veux prier, entre dans ta chambre la plus retirée, vérrouille ta porte et adresse ta prière à ton Père qui est là dans le secret. Et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens ; ils s'imaginent que c'est à force de paroles qu'ils se feront exaucer. Ne leur ressemblez donc pas, car votre Père sait ce dont vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez. Vous donc, priez ainsi : Notre Père..." (Mt 6, 7-9).
Des quatre évangélistes, seuls Matthieu et Luc ont rapporté ces paroles du Christ, et chacun sous une forme différente, sans qu'on puisse établir la forme la plus ancienne. Si leurs deux évangiles furent certainement rédigés en grec, celui de Matthieu témoigne d'une tradition araméenne et hébraïque par de très nombreux sémitismes, tandis que Luc appartenait au monde hellénistique. Les premières communautés utilisaient certainement la forme de l'évangile qui, de Luc ou de Matthieu, avaient leur préférence liturgique. Dès le IVe siècle pourtant, la version plus complète de Matthieu fut préférée et devint la seule en usage dans l'Eglise : ce fut ainsi le texte de Matthieu que la plupart des communautés non hellénophones traduisirent chacune en leur langue.
La prière au Père que le Christ a enseigné à ses disciples s'apparente, pour le contenu aussi bien que pour la forme, aux prières juives et en particulier à la prières des Dix-huit Demandes. Elle s'en distingue néanmoins par sa grande simplicité et la liberté avec laquelle Dieu y est invoqué. L'ordre des demandes est, lui aussi, original et caractéristique de l'enseignement du Christ : elle s'ouvre par un trois prières qui constituent un appel à l'action de Dieu pour l'avènement de son Royaume, dont toute préoccupation de suprématie religieuse ou politique est exclue. Puis une série de requêtes expriment les besoins essentiels des disciples. Tout au long de la prière, la première personne du pluriel, qui caractérise également le Symbole de la foi de l'Eglise arménienne (Nous croyons ...), témoigne de l'unité de l'Eglise, communauté des fidèles rassemblée par et en Jésus-Christ.

COMMENTAIRES ET TRADUCTIONS

Il n'est guère possible de comprendre réellement le Notre Père sans le resituer dans la tradition biblique, ni sans être averti des difficultés de traduction. Les commentaires qui suivent sont destinés à donner quelques repères.
Plusieurs traductions françaises du Notre Père peuvent être données : d'après le texte grec des évangiles de Matthieu (Mt 6, 9-13) et de Luc (Lc 11, 2-4), d'après les traductions établies localement sur le texte grec (notamment les traductions latine et arménienne), et depuis peu, d'après l'araméen, langue sémitique dans laquelle le Christ enseignait aux foules et à ses disciples, et qui fut très probablement la langue dans laquelle Il prononça les paroles du Notre Père. Nous en proposons quatre parmi les plus significatives :
- la traduction littérale du texte grec de Matthieu, que l'Eglise ancienne retint de préférence au texte plus bref de Luc ;
- la traduction littérale de l'arménien, lui-même traduit du texte grec de Matthieu, comme ce fut le cas dans la quasi-totalité des Eglises anciennes non hellénophones ;
- la Traduction Oecuménique de la Bible (TOB), parfois audacieuse mais d'un réel intérêt scientifique ;
- la traduction dite "oecuménique" de 1966, qui, malgré sa prétention à l'oecuménicité et un usage très répandu, est aussi certainement la plus mauvaise, raison pour laquelle les Eglises et la plupart des spécialistes la contestent vivement en plusieurs points.

Notre Père qui es aux cieux
Mt : Notre Père, celui dans les cieux.
Trad. arm. : Notre Père qui es aux cieux.
TOB : Notre Père qui es aux cieux.
Trad. œcum. : Notre Père qui es aux cieux.
Nous nous adressons à notre Père commun, qui est unique. Il s'agit d'une tournure sémitique qui affirme simultanément que Dieu domine la terre toute entière (dans les cieux) et que Dieu est, par son amour paternel, tout près des hommes (Notre Père). Le complément dans les cieux n'est donc pas donné pour localiser le Père.
Le Christ emploie l'expression à de nombreuses reprises, tantôt pour révéler sa filiation divine (mon père), tantôt pour rappeler à ses disciples Celui qui est leur véritable Père (votre père). Les évangiles rendent ces paroles du Christ tantôt par "mon père (ou votre père), celui aux cieux", tantôt par "mon père (ou votre père), le céleste".

Que ton Nom soit sanctifié
Mt : que ton Nom soit sanctifié.
Trad. arm. : que ton Nom soit sanctifié.
TOB : fais connaître à tous qui tu es.
Trad. œcum. : que ton Nom soit sanctifié.
Le Nom de Dieu est un terme biblique, principalement liturgique, qui désigne son Etre. L'expression sanctifier Dieu ou son Nom, également d'origine biblique, ne signifie pas que l'on ajoute à la sainteté de Dieu, le Saint par excellence ; mais elle indique qu'on reconnaît et manifeste ce qu'Il est, dans toute sa gloire. Dieu seul peut se manifester dans sa puissance et sa gloire, sa justice et sa grâce, mais nous participons à cette manifestation et ainsi sanctifions Dieu par notre obéissance à Ses commandements [l'humilité] et la reconnaissance que nous avons de contempler le Dieu révélé [la louange].

Que ton royaume vienne
Mt : que ton Règne vienne.
Trad. arm. : que ton royaume [ou royauté, ou règne] vienne.
TOB : fais venir ton Règne.
Trad. œcum. : que ton règne vienne.
Le règne de Dieu, inauguré par le Christ, est encore rejeté de par le monde ; nous demandons qu'il soit bientôt manifesté et définitivement reconnu sur toute la terre. Tous ceux qui ont entraperçu le royaume de Dieu savent combien ce règne est l'avènement tant attendu…

Que ta volonté soit sur terre comme au ciel
Mt : que ta volonté se réalise comme au ciel, ainsi sur la terre.
Trad. arm. : que ta volonté soit comme au ciel, sur la terre.
TOB : fais se réaliser ta volonté sur la terre à l'image du ciel.
Trad. œcum. : que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Il ne s'agit pas d'une prière de résignation mais un appel au Père pour qu'il fasse en sorte que sa volonté s'accomplisse, sur terre, dans l'Eglise et par chacun de nous. La forme du verbe implique un accomplissement global mené jusqu'à son terme, ce qui ne peut être que l'œuvre de Dieu.

Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien
Mt : donne-nous aujourd'hui notre pain [suit un adjectif grec dont la traduction est incertaine : d'aujourd'hui, du jour qui vient ou substantiel].
Trad. arm. : donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien [ou de chaque jour : notion d'habitude, de continuité, d'assiduité].
TOB : donne-nous aujourd'hui le pain dont nous avons besoin.
Trad. œcum. : donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour.
L'adjectif grec epiousios qui qualifie le pain demandé, et qui est généralement traduit par quotidien, n'est pas clairement attesté en dehors du Notre Père. L'étymologie incertaine du mot permet plusieurs interprétations :
- du jour qui vient. Par référence à une expression grecque communément employée, le terme epiousios désignerait le jour qui commence. L'Evangile selon les Hébreux semble abonder en ce sens, puisqu'il utilise maar, qui signifie "du lendemain". Demander aujourd'hui le pain du lendemain est pourtant peu conforme à l'enseignement du Christ : "Ne vous inquiétez pas du lendemain : le lendemain s'inquiètera de lui-même. A chaque jour suffit sa peine" (Mt 6, 34). Il pourrait toutefois s'agir du lendemain eschatologique, le banquet du monde à venir.
- d'aujourd'hui. La même expression grecque est parfois employée pour désigner le jour présent, par opposition au lendemain. La majeure partie des traductions du Notre Père retiennent ce sens en qualifiant le pain demandé de "quotidien" ou de "ce jour". Pareille interprétation est davantage conforme à l'enseignement du Christ et restitue à la demande tout son sens : donne-nous aujourd'hui le pain dont nous avons besoin aujourd'hui, afin qu'à la nécessité quotidienne corresponde la nourriture qui rassasie.
- substantiel. Le terme epiousios n'est pas sans évoquer le livre de Moïse dans sa traduction grecque des Septante : "Vous serez pour moi un peuple periousios" (Ex 19, 6). L'un et l'autre de ces termes pourraient dériver de ousia (substance) : le premier désignerait le pain transformé en notre substance, le second, le peuple vivant autour de la substance divine et qui participe à elle.
Quant au pain, c'est tout ce qui nourrit la personne humaine dans sa plénitude : certes la nourriture, le vêtement et le toit, qui rassasient le corps, afin que la pauvreté du chrétien ne devienne pas misère ni famine ; mais aussi le travail, la famille et l'amitié qui permettent à l'homme de se tenir droit, afin que la solitude du chrétien ne devienne pas exclusion. Et par dessus tout, la Parole de Dieu et le pain eucharistique, par lesquels l'homme est sauvé ; ce pain maintes fois évoqué par Jésus Notre Seigneur : "Travaillez non pour la nourriture qui périt mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle, celle que le Fils de l'homme vous donnera" (Jn 6, 27) ; "C'est mon Père qui vous donne le vrai pain de vie, car le pain de Dieu, c'est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde" (Jn 6, 32-33). Le pain véritable est celui qui nourrit l'homme véritable créé à l'image de Dieu, qui élève celui qui s'en nourrit jusqu'à la ressemblance avec son Créateur.

Remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs
Mt : remets-nous nos dettes comme nous remettons à ceux qui nous devaient.
Trad. arm. : remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs [le verbe arménien traduit par remettre est très riche et peut également signifier laisser, (re)lâcher, pardonner, délivrer, faire grâce…].
TOB : pardonne-nous nos torts comme nous-mêmes nous avons pardonné à ceux qui avaient des torts envers nous.
Trad. œcum. : pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.
La dette est une obligation, c'est-à-dire un rapport juridique entre deux ou plusieurs personnes et en vertu duquel l'une d'elles - le créancier - peut contraindre l'autre - le débiteur - à accomplir une prestation à son profit. Dans le judaïsme primitif et la plupart des sociétés archaïques, le débiteur garantissait l'exécution de sa prestation en mettant sa propre personne sous le pouvoir de contrainte du créancier, lequel pouvait réduire en esclavage le débiteur définitivement insolvable. Si les auteurs de l'Ancien Testament s'abstinrent d'employer la notion de dette, la contrainte exercée par le créancier étant peu compatible avec la miséricorde infinie de Dieu, le judaïsme postérieur recourut volontiers à l'image du débiteur pour définir la situation de l'homme devant Dieu, à une époque où le pouvoir de contrainte physique du créancier sur le débiteur, remplacé par des garanties financières, ne caractérisait plus guère la dette. Libérée de toute menace physique à l'encontre du débiteur, la notion de dette traduit assez bien ce que l'homme, par son péché, doit et ne peut rendre à son Créateur, dont il reçoit toute grâce et tout bien. Par la demande " remets-nous nos dettes ", nous prions Dieu de nous accorder son pardon, et nous ajoutons " comme nous remettons à nos débiteurs " pour rappeler que nous devons faire preuve de la même miséricorde envers ceux dont le péché nous cause un tort. Le recours désormais courant à l'emprunt et au crédit a considérablement affaibli la notion de dette, si bien que les traductions françaises les plus récentes lui ont substitué assez malencontreusement le " tort " ou l'" offense " : l'un comme l'autre minimisent la gravité du péché, le premier en laissant penser à une simple faute et la seconde en présentant le péché comme une injure faite à Dieu alors que sa véritable finalité est de faire périr l'homme. La notion de dette, si elle est bien comprise, est encore la plus fidèle à la lettre de l'évangile de Matthieu et à l'esprit des nombreuses paraboles du Christ dans lesquelles est employée l'image du débiteur.

Ne nous laisse pas entrer en tentation
Mt : et ne nous fais pas entrer en tentation.
Trad. arm. : et ne nous conduis pas [ou ne nous mène pas] à la tentation.
TOB : et ne nous conduis pas dans la tentation.
Trad. œcum. : et ne nous soumets pas à la tentation.
L'aoriste grec eisenegkeis ("ne fais pas entrer, n'introduis pas") employé par Matthieu (6, 13) a donné lieu à de nombreuses traductions dont aucune ne s'est révélée pleinement satisfaisante. Littéralement, le texte grec laisse entendre que Dieu fait entrer l'homme en tentation, en contradiction complète avec les Ecritures et notamment l'épître de Jacques (1, 13) : "Dieu ne tente personne". C'est Satan qui nous tente, notre concupiscence, nos penchants mauvais, qui nous séduisent et nous entraînent au péché. Des corrections liturgiques furent donc apportées très tôt en de nombreuses communautés, et des commentaires furent rédigés dès le troisième siècle, en Orient comme en Occident, afin d'éliminer toute causalité divine dans la tentation. Saint Ambroise rappelait notamment dans son traité De Sacramentis (V, 29) : "Ne nous laisse pas induire (ne patiaris induci nos) en tentation, mais délivre-nous du mal. Fais attention à ce qu'il dit : Ne nous laisse pas induire en tentation à laquelle nous ne pouvons pas résister. Il ne dit pas : Ne nous induis pas (non inducas) en tentation". Le sens factitif du grec (ne pas faire entrer) était ainsi soigneusement écarté au profit d'une interprétation au sens tolératif (ne pas laisser entrer). Néanmoins, les traductions du Notre Père établies sur le texte grec de Matthieu, notamment latine et arménienne, traduisirent fidèlement le sens factitif, en latin par inducare (induire ; la Vulgate traduit littéralement : "Ne nos inducas") et en arménien par tanim (conduire, mener).
Or, la redécouverte des nuances de l'araméen a permis de constater que toute forme causative d'un verbe araméen ('af'el) ou hébreu (hif'il) peut avoir un sens factitif, ou implicitement permissif, tolératif. Cette nuance implicite était ignorée des traducteurs grecs de la Septante, qui traduirent partout le causatif hébreu ou araméen au sens fort de "faire faire", rédaction que Matthieu reprit dans son évangile en grec. Désormais, les meilleurs spécialistes de l'araméen que sont E. Jenni, G. Willis, A. Caquot, E. Puesch, C. Perrot, J. A. Emerton ou P. Grelot, admettent unanimement le sens permissif, d'où la traduction littérale de l'araméen : "Ne nous laisse pas entrer en tentation" (cf. Mt 26, 41 et parallèles), mais aussi en d'autres passages des Ecritures : "Ne me laisse pas errer loin de tes commandements", et non pas "Ne me fais pas errer..." (Ps 119, 10) ; "Ne laisse pas mon cœur incliner vers une chose mauvaise", au lieu de "N'incline pas mon cœur (Ps 141, 4) ; "Ne laisse pas (et non : ne fais pas) habiter l'injustice sous tes tentes" (Jb 11, 14) ; "Dieu le laisse / ne le laisse pas maître de se nourrir" (Qo 5, 18 ; 6, 2) ; "Ne laisse pas ta main inactive" (Qo 7, 18 ; 11, 6). Outre le fait que l'araméen était la langue dans laquelle le Christ enseignait, la traduction littérale de l'araméen est dépourvue d'ambiguïté : elle nous semble donc être préférable à une traduction du grec.
Curieusement, la traduction dite " œcuménique " du Notre Père a opté pour une traduction particulièrement malheureuse : le verbe soumettre, plus clairement encore que le grec faire entrer, laisse entendre que Dieu est l'initiateur de la tentation, par laquelle Il aliénerait l'homme. C'est pourquoi les Eglises de tradition orthodoxe, les Eglises issues de la Réforme et une grande partie de l'Eglise catholique reprochent depuis longtemps son ambiguïté à cette traduction de la sixième demande du Notre Père, à telle enseigne que le théologien protestant Jacques Ellul la jugeait absurde. Pour la défense de la traduction œcuménique et du choix peu compréhensible du verbe soumettre, on a fait valoir que le grec peirasmos peut également se traduire par "épreuve". Il conviendrait donc de lire " Ne nous soumets pas à l'épreuve ". Si une telle traduction n'est plus blasphématoire [Dieu éprouve l'homme et sa fidélité, comme le Christ fut éprouvé dans le désert où Satan le tenta], elle n'en reste pas moins très peu satisfaisante et doit être écartée car le deuxième membre de la phrase [mais délivre-nous du Malin] poursuit sur le thème de la tentation par Satan, ce qui exclut tout contexte dans lequel il faudrait rendre peirasmos par "épreuve".

Mais délivre-nous du Malin
Mt : mais délivre-nous du Malin.
Trad. arm. : mais délivre-nous du malin.
TOB : mais délivre-nous du Tentateur.
Trad. œcum. : mais délivre-nous du mal.
Nous demandons au Père de nous délivrer de Satan, l'ange qui, s'étant détourné de Dieu par orgueil, s'efforce d'en détruire toute l'œuvre. Cette demande est le prolongement de la précédente : ne nous laisse pas entrer en tentation, par laquelle Satan s'efforce d'inciter l'homme au péché pour l'aliéner et le détourner de Dieu. Nous demandons ainsi au Père d'être délivrés de celui qui nous tente, après lui avoir demandé de nous épargner l'épreuve de la tentation.
La traduction œcuménique du Notre Père a opté pour le sens impersonnel du dernier mot, ponèros : mais délivre-nous du mal. Les Ecritures l'emploient parfois (Mt 5,11 ; 6,23 et 2 Tm 4,18), toujours dans le contexte de l'entreprise de perversion menée par les forces mauvaises. Le sens personnel, qui désigne le Mauvais, c'est-à-dire Satan, le tentateur, doit néanmoins lui être préféré, d'une part parce que les Ecritures l'emploient plus couramment (Mt 5,37 ; 13,19 ; 13,28 ; Jn 17,15 et 2 Th 3,3), et d'autre part, parce que le sens impersonnel peut laisser penser que le mal est dépourvu d'instigateur ou qu'il est une puissance éternelle. Le combat spirituel n'est pas une lutte entre deux principes abstraits - le bien et le mal - mais une tentative de destruction de l'œuvre de Dieu par l'une des ses créatures, Satan, qui se détourna de son Créateur.



Textes connexes

C'est pourquoi je vous déclare : Tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l'avez reçu et cela vous sera accordé. Et quand vous êtes debout en prière, si vous avez quelque chose contre quelqu'un, pardonnez, pour que votre Père qui est aux cieux vous pardonne aussi vos fautes.4


Mais si vous ne pardonnez pas, votre Père céleste ne vous pardonnera pas non plus vos fautes.(ce verset n'est pas attesté par tous les témoins, à rapprocher de Mt 6, 15)5


"113. Les disciples lui disaient : Le Royaume, quand viendra-t-il ?Jésus répondit : Ce n'est pas en guettant qu'on le verra venir.On ne dira pas : Voici qu'il est là, ou il est ici.Le Royaume du Père est répandu sur toute la terreet les hommes ne le voient pas."6




L'EGLISE APOSTOLIQUE ARMENIENNE PARMI LES EGLISES CHRETIENNES

Parmi les classifications usuelles des Eglises chrétiennes, certaines sont insuffisantes, inexactes, ou nettement orientées en faveur ou en défaveur d'une Eglise ou d'un groupe d'Eglises en particulier. La classification la plus satisfaisante, qui est aussi celle retenue par le catholicos Garéguine Ier et la plus largement répandue parmi les historiens et les théologiens, part des trois orientations théologiques du christianisme que sont :
- l’orthodoxie ;
- le catholicisme (Eglise catholique romaine et Eglises catholiques orientales nées de l'uniatisme, dont l’Eglise catholique arménienne),
- le protestantisme (Eglises issues de la Réforme, dont l’Eglise évangélique arménienne, et l’Eglise anglicane dont les particularités la rendent proche de l’Eglise catholique).

Parmi les Eglises de tradition orthodoxe, figurent :
- l’Eglise orthodoxe (notamment l’Eglise orthodoxe grecque, l’Eglise orthodoxe russe et l’Eglise orthodoxe géorgienne) ;
- l’Eglise apostolique arménienne (qualifiée de « grégorienne » par ses détracteurs) ;
- l’Eglise copte orthodoxe (le qualificatif d'« orthodoxe » lui est contesté par ses détracteurs) ;
- l’Eglise orthodoxe éthiopienne (le qualificatif d'« orthodoxe » lui est également contesté par ses détracteurs) et l’Eglise orthodoxe érythréenne qui en est issue ;
- l’Eglise orthodoxe syriaque (qualifiée de « jacobite » par ses détracteurs) et les Eglises orthodoxe syro-malankare (autonome) et orthodoxe malankare (autocéphale) qui en sont issues ;
- l’Eglise apostolique assyrienne de l’Orient (qualifiée de « nestorienne » par ses détracteurs) et l’Eglise malabare orthodoxe (autonome) qui en dépend.

Toutes ces Eglises, géographiquement situées dans l’Orient chrétien, sont d’une même tradition orthodoxe en ce qu’elles demeurent entièrement fidèles à la tradition théologique et spirituelle héritée des apôtres, des Pères de l’Eglise et des Pères du désert, dans toute sa plénitude, que ce soit dans ses aspects liturgiques et spirituels, ou dogmatiques et ecclésiologiques. Ces Eglises, très attachées à l’héritage de l’Eglise indivise des premiers siècles dont elles ont une conscience aiguë, n’ont pas désiré ni connu les développements que l’Eglise catholique et les Eglises issues de la Réforme ont cru bon d’initier. Des divergences d’opinions, d’usages et de traditions ont toujours existé entre les Eglises de tradition orthodoxe comme au sein de l’Eglise indivise des premiers siècles, mais sur des points où un accord général ne s’est pas manifesté et qui sont considérés comme secondaires. Ces divergences n’ont jamais eu aucune réelle consistance théologique ou spirituelle, malgré les polémiques qu’elles ont pu entraîner , et n’ont jamais fait que « confirmer l’accord de la foi » (saint Irénée de Lyon). La seule divergence sérieuse est d'ordre christologique, en ce que les polémiques autour du concile de Chalcédoine dégénérèrent en anathèmes réciproques et mirent fin à l’unité de l’Orient chrétien.

On peut donc subdiviser les Eglises de tradition orthodoxe de la façon suivante :
1°/ Eglise orthodoxe (chalcédonienne) ;
2°/ Eglises non-chalcédoniennes (dites encore « pré-chalcédoniennes », « orientales anciennes » ou « orthodoxes orientales », d’après la dénomination que leur reconnaît l’Eglise orthodoxe russe) : les autres Eglises de tradition orthodoxe, dont l'Eglise apostolique arménienne.

Cette dernière subdivision est pourtant nettement insuffisante, dans la mesure où les christologies des Eglises de tradition orthodoxe non-chalcédoniennes ne sont pas homogènes :
- l’Eglise apostolique assyrienne d'Orient enseigne une christologie nettement dyophysite, même si l'accusation de « nestorianisme » doit être sérieusement reconsidérée ;
- à l'inverse, les Eglises copte orthodoxe, orthodoxe éthiopienne, orthodoxe syriaque et apostolique arménienne ont en commun une approche christologique alexandrine, la réception des trois conciles œcuméniques de Nicée (325), de Constantinople (381) et d’Ephèse (431), ainsi que la non-réception du concile de Chalcédoine (451), ce qui suffit à leurs détracteurs pour les considérer comme hétérodoxes, voire hérétiques, et les qualifier en groupe de « monophysites ». Ces Eglises ne partagent pourtant pas une même christologie, les raisons de leur rejet du concile de Chalcédoine, comme leur interprétation du concile d’Ephèse, n'étant pas identiques. La christologie de l'Eglise apostolique arménienne est caractérisée par des fondements antiochiens (qui imprègnent notamment son Symbole de la foi) et par une interprétation de saint Cyrille d'Alexandrie à la lumière des Pères de l'Eglise qui lui sont antérieurs, essentiellement les Pères cappadociens. Dans sa défense de la christologie du concile d'Ephèse, l'Eglise d'Arménie ne se référa jamais à l'interprétation ultérieure qu'en firent Eutychès (condamné en 508), Sévère d'Antioche (condamné en 555 et 726) dont la doctrine fut reçue par l'Eglise orthodoxe syriaque, Dioscore d'Alexandrie que l'Eglise copte orthodoxe fête comme saint, ou Julien d'Halicarnasse (condamné en 633 en la personne du théologien et évêque arménien, Yovhan Mayragomec’i, principale figure du julianisme en Arménie, puis en 726).

La situation de l'Eglise apostolique arménienne est sans nul doute particulière. Il ne s'agit pas d'accentuer les divergences, mais tout simplement d'aider à la compréhension de la tradition arménienne dans toute son authenticité. C'est pourquoi il est nécessaire de reconsidérer la présentation sans nuance des Eglises non-chalcédoniennes, encore perçues comme un front uni par un même antichalcédonisme et une christologie monophysite commune.


Développement

Il était un jour, quelque part, en prière. Quand il eut fini, un de ses disciples lui dit : " Seigneur, aprends-nous à prier, comme Jean l'a appris à ses disciples. " (Luc 11, 1)" Gardez-vous de pratiquer votre religion devant les hommes pour attirer leurs regards ; sinon, pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux. Quand donc tu fais l'aumône, ne le fais pas claironner devant toi, comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues, en vue de la gloire qui vient des hommes. En vérité, je vous le déclare: ils ont reçu leur récompense. Pour toi, quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites qui aiment faire leurs prières debout dans les synagogues et les carrefours afin d'être vus des hommes. En vérité, je vous le déclare : ils ont reçu leur récompense. Pour toi, quand tu veux prier, entre dans ta chambre la plus retirée, verrouille ta porte et adresse ta prière à ton Père qui est là dans le secret. Et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens ; ils s'imaginent que c'est à force de paroles qu'ils se feront exaucer. Ne leur ressemblez donc pas, car votre Père sait ce dont vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez." (Matthieu 6, 1-8)Ainsi, pas de balancement d'horloger, pas de génuflexion, de courbettes, tourné vers le lieu de son choix. Prier, oui, mais dans le secret de sa chambre, à l'insu de tous. C'est une affaire entre le Père et moi.



Notes Post It


Section 6

" Observations sur la traduction de quelques phrases [modifier]Nos offenses [modifier]Le texte latin, correspondant à la majorité des manuscrits grecs, dit littéralement « Remets-nous nos dettes ». Le texte liturgique français, inspiré d'autres manuscrits grecs, dit « Pardonne-nous nos offenses ». Dans d'autres langues, comme l'anglais, on a aussi choisi de s'écarter du texte latin.Ne nous soumets pas à la tentation [modifier]La traduction de cette formule est un sujet de débat au sein de l'Église catholique[3]. Les orthodoxes ont tranché récemment et renoncé en 2004 à la traduction œcuménique[2]L'idée que Dieu pourrait vouloir tenter une personne pour la faire pécher parait critiquable à certains théologiens[4].Ainsi, certains pensent que la phrase veut dire « Ne nous abandonne pas lors du grand jugement ». Jusque dans les années 1970, la traduction catholique (non officielle) en était « ne nous laissez pas succomber à la tentation ». Cependant, le verbe employé dans le texte original grec, ??????????, de ????????, n'a pas cette connotation. Il signifie bien « introduire, amener dans ». De même, dans le texte latin, inducare in, signifie aussi bien faire entrer (dans quelque chose) que entraîner à (quelque chose).En conséquence, les orthodoxes francophones se sont prononcés pour l'emploi de la formule « Ne nous laisse pas entrer dans l'épreuve »La tentation fait partie du plan de Dieu pour les justes, d'après les écritures. « Dieu les a mis à l'épreuve et il les a trouvés dignes de lui ; comme l'or au creuset, il les a éprouvés, comme un parfait holocauste, il les a agréés » (Sagesse, 3) Même Jésus, puisqu'il était parfaitement humain, a été tenté en toutes choses comme nous le sommes, mais sans jamais pécher (He 4:15). « Aucune tentation ne vous est survenue qui n'ait été humaine, et Dieu, qui est fidèle, ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces : mais avec la tentation il préparera aussi le moyen d'en sortir, afin que vous puissiez la supporter » (1Co 10:13).Pour le chrétien convaincu, ce qui pose problème dans ce passage n'est donc pas tellement l'épreuve envoyée par Dieu, mais au contraire l'idée de demander à Dieu de ne pas conduire son fidèle quelque part : si Dieu l'y conduit, n'est-ce pas bon pour lui? Le psaume 22 se fait l'écho de cette certitude : « Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien. Sur des prés d'herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre ; j'habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours. »La première clef du passage est que la « tentation » n'est pas nécessairement la « convoitise » (au sens commun) ou même l'épreuve, mais au sens étymologique, tout ce qui nous retient: « teneo, tenere, tentum », c'est la même racine que « tenir », « rétention ». La convoitise est certainement une épreuve, et l'épreuve peut conduire à une tentation-rétention, mais de deux manières. Celui qui n'a pas résisté à l'épreuve se trouve bloqué par son échec; mais aussi, plus subtilement, celui qui craint l'épreuve se trouve bloqué par sa propre peur. Dans les deux cas, il faut retrouver les moyens d'avancer.La deuxième clef du passage est que pour le chrétien, même si Dieu l'accompagne comme un berger fidèle, l'Homme est Libre: il est maître de son destin. Et quand l'Homme mène sa barque, avec ses moyens limités, il lui arrive de se bloquer lui-même. Pour s'en sortir, il prie Dieu de le guider : le Berger intervient sur les brebis bloquées par les ronces.Ce que les chrétiens demandent ici à Dieu, c'est - dans ce cas - de ne pas les laisser s'enfoncer (inducare) dans leur propre enfermement (tentationem), mais de leur donner les moyens de s'en sortir. Cette demande est prolongée par celle du dernier verset, « délivre-nous du Mal ». Le « mal » dans l'absolu n'est pas telle ou telle interdiction, mais d'une manière générale tout ce qui éloigne de Dieu. Ici, de même, le chrétien demande d'être délivré de ce qui le retient d'aller vers Dieu.Dans la Bible traduite par André Chouraqui[5], traduite directement des textes orignaux dans un style volontairement sémitisant, on peut se faire une autre idée des versets de Luc:2. Il leur dit: « Quand vous priez, dites: Père, ton nom se consacre; ton règne vient. 3. Donne-nous chaque jour notre part de pain ! 4. Remets-nous nos fautes, puisque nous aussi nous les avons remises à tous nos débiteurs. Et ne nous fais pas pénétrer dans l'épreuve ! »Et celui de Matthieu: 9. Vous donc, priez ainsi: ‹ Notre père des ciels, ton nom se consacre, 10. ton royaume vient, ton vouloir se fait, comme aux ciels sur la terre aussi. 11. Donne-nous aujourd'hui notre part de pain. 12. Remets-nous nos dettes, puisque nous les remettons à nos débiteurs. 13. Ne nous fais pas pénétrer dans l'épreuve, mais délivre-nous du criminel. ›"7


" Prière donnée par Jésus, origine, versions [modifier]Selon le Nouveau Testament, Jésus Christ a donné cette prière en réponse à une question des apôtres sur la façon de prier : Jésus leur a répondu « Quand vous priez, dites : "Notre Père…" ». Les évangiles de Matthieu (6: 9-13) et Luc (11: 2-4) citent ainsi cette prière, avec quelques différences selon les manuscrits.Le début du Notre Père a des similarités avec le Kaddish juif (prière de sanctification du nom de Dieu), puis il s'en écarte et devient une prière origiale sans exemple dans l'Ancien Testament.La version française du texte a été adoptée en 1966 par l'Eglise catholique romaine et le Conseil œcuménique des Églises pour l'espace francophone.Il subsiste cependant d'autres versions française. Les plus connues sont celles employées par les catholiques dans leur prières personnelles entre le XVIIe siècle et 1970 qui emploient le vouvoiement[1], mais aussi la traduction orthodoxe qui date de 2004"8



Que Dieu existe ou n'existe pas,que je crois en Dieu ou que je n'y crois pas,cela ne change rien !Ne pas croire, n'empèche pas l'existance de Dieu. Croire n'implique pas l'existance de Dieu. Tout au plus, le fait de croire donne une raison à ma propre existance.


A rapprocher de la parabole sur les oiseaux


On peut pardonner en esprit, sans que ce pardon ne résiste à l'épreuve des faits.Pourtant, je lui avais bien pardonné. Certes, on n'oublie pas les souffrances subies. J'ai pu cependant affirmer lui avoir pardonné. Et il a fallu que je le rencontre, j'avais alors 31 ans. Je ne l'avais pas revu depuis qu'il avait quitté la maison, j'avais dix ans. Je m'étais préparé à cette rencontre, j'avais rêvé ce que nous nous dirions. Le corps n'a pas suivi. Lorsque je l'ai vu, c'est de colère qu'il s'est agit.


Références



4Nouveau Testament 164 - Marc 11, 24-25


5Nouveau Testament 164 - Marc 11, 26


6Evangile de Thomas -


7Wikipédia


8Wikipédia


Ouvrages cités


Collectif. Evangile de Thomas.


Collectif. Nouveau testament - Traduction Oecuménique de la Bible. Ed. Editions du Cerf - Les Bergers et les Mages, Paris: 1980.


Collectif et Evêques des Pays-Bas, Une introduction à la foi catholique. Ed. Idoc - France, Paris: 2ème trimestre 1968.



Wikipédia. «Prière donnée par Jésus, origine, versions», 19 mars 2007. http://fr.wikipedia.org/wiki/Notre_Père.


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Traduction française

Transcription

Araméen / Hébreu

1

Magnifié et sanctifiéb soit le Grand Nom.a

Yitgaddal vèyitqaddash sh'meh rabba

יִתְגַדַל וְיִתְקַדַשׁ שְמֵהּ רַבָא.

2

dans le monde qu'Il a créé selon Sa volonté

Bè'alma di vèrah khir'outeh

בְעָלְמָא דִי בְרָא כִרְעוּתֵהּ

3

et puisse-t-Il établir Son royaume

vèyamlikh malkhouteh

וְיַמְלִיךְ מַלְכוּתֵהּ

4

puisse Sa salvation fleurir et qu'Il rapproche son oint.ad

veytzmakh pourqaneh viqarev meshi'heh

וְיַצְמַח פֻרְקָנֵהּ וִיקָרֵב מְשִיחֵהּ

5

de votre vivant et de vos jours

be'hayekhon ouv'yomekhon

בְחַיֵיכוֹן וּבְיוֹמֵיכוֹן

6

et [des jours] de toute la Maison d'Israël

ouv'hayei dekhol bet Israël

וּבְחַיֵי דְכָל בֵית יִשְרָאֵל

7

promptement et dans un temps proche; et dites Amen.a

bè'agala ouvizman qariv ve'imrou amen

בַעֲגָלָא וּבִזְמַן קָרִיב. וְאִמְרוּ אָמֵן

Les deux lignes suivantes sont répondues par l'assemblée des fidèles, avant d'être reprises par l'officiant :

8

Puisse Son grand Nom être béni

yèhè sh'meh rabba mevarakh

יְהֵא שְמֵהּ רַבָא מְבָרַךְ

9

à jamais et dans tous les temps des mondes.

le'alam oulèal'mè 'almayya

לְעָלַם וּלְעָלְמֵי עָלְמַיָא

10

Béni et loué et glorifié et exalté,

Yitbarakh vèyishtabba'h vèyitpa'ar vèyitromam

יִתְבָרַךְ וְיִשְתַבַח וְיִתְפָאַר וְיִתְרוֹמַם

11

et élevé et vénéré et élevé et loué

vèyitnasse vèyithaddar vèyit'alè vèyit'hallal

וְיִתְנַשֵא וְיִתְהַדָר וְיִתְעַלֶה וְיִתְהַלָל

12

soit le Nom du Saint (Transcendant), béni soit-Il.a

sh'meh dèQoudsha, berikh hou.

שְמֵהּ דְקֻדְשָא בְרִיךְ הוּא.

13

au dessus (et au-dessusc) de toutes les bénédictions

l'eëlla (ouleëlla mikol) min kol birkhata

לְעֵלָא (וּלְעֵלָא מִכָל) מִן כָל בִרְכָתָא

14

et cantiques, et louanges et consolations

vèshirata tushbe'hata vènèkhèmata

וְשִירָתָא תֻשבְחָתָא וְנֶחֱמָתָא

15

qui sont dites dans le monde; et dites Amen.a

da'amiran bèal'ma ve'imrou amen

דַאֲמִירָן בְעָלְמָא. וְאִמְרוּ אָמֵן

Le 'Hatzi Kaddish finit ici.

Le Kaddish complet (Titqabbal) continue par :

16

eQue soient reçues (acceptées) les prières et supplications

Titqabbal tz'lotèhone ouva'out'hone

תִתְקַבֵל צְלוֹתְהוֹן וּבָעוּתְהוֹן

17

de toute la Maison d'Israël

dekhol bet Israël

דְכָל בֵית יִשְרָאֵל

18

devant leur Père qui Est au ciel, et dites Amen.a

qodam avouhon divishmayya, vè'imrou amen

קֳדָם אֲבוּהוֹן דִי בִשְמַיָא וְאִמְרוּ אָמֵן

Le Kaddish des Rabbanim inclut:

19

Pour Israël et ses rabbanim et leurs étudiants (disciples)

'al Israël vè'al rabbanane vè'al talmidehone

עַל יִשְרָאֵל וְעַל רַבָנָן וְעַל תַלְמִידֵיהוֹן

20

et tous les étudiants de leurs étudiants

vè'al kol talmideï talmidèhone

וְעַל כָל תַלְמִידֵי תַלְמִידֵיהוֹן.

21

et tous ceux qui s'affairent dans la Torah

vè'al kol maan di'os'kine bi'orayta

וְעַל כָל מָאן דְעָסְקִין בְאוֹרַיְתָא.

22

ici et en tout autre lieu

di bè'atra hadein vèdi bèkhol atar vè'atar

דִי בְאַתְרָא הָדֵין וְדִי בְכָל אֲתַר וַאֲתַר.

23

que soit [instaurée] sur eux et vous une paix abondante,

yèhè lèhone oul'khone sh'lama rabba

יְהֵא לְהוֹן וּלְכוֹן שְלָמָא רַבָא

24

la faveur et la grâce et la miséricorde et une vie longue

'hinna vè'hisda vè'ra'hameï vè'hayyeï arikheï

חִנָא וְחִסְדָא וְרַחֲמֵי וְחַיֵי אֲרִיכֵי

25

une large subsistance et le salut

um'zoneï rèvi'heï oufourqana

וּמְזוֹנֵי רְוִיחֵי וּפורְקָנָא

26

de la part de leur Père aux cieux [et sur terre];

min qodam avouhon di'vishmayya [vè'ar'a]

מִן קֳדָם אֲבוּהוּן דְבִשְמַיָא [וְאַרְעָא]

27

et dites Amen.a

vè'imrou amen

וְאִמְרוּ אָמֵן

Toutes les variantes, sauf le 'Hatzi Kaddish concluent par les lignes suivantes:

28

eQu'il y ait une grande paix venant du Ciel,

Yehe sh'lama rabba min shemayya

יְהֵא שְׁלָמָה רבָּא מִן שְׁמַיָּא,

29

[ainsi qu']une [bonne] vie

[vè]'hayyim [tovim]

[וְ]חַיִּים [טוֹבִים]

30

et la satiété, et la salvation, et le réconfort, et la sauvegarde

vèsava viyshou'a vènè'hama vèshèzava

וְשָבָע וִישׁוּעָה וְנֶחָמָה וְשֵׁיזָבָה

31

et la guérison, et la rédemption et le pardon et l'expiation

ourefou'a ougue'oulla ousli'ha vekhappara

וּרְפוּאָה וּגְאֻלָּה וּסְלִיחָה וְכַפָּרָה,

32

et le soulagement et la délivranced

vèrèva'h vèhatsala

וְרֵוַח וְהַצָּלָה

33

pour nous et pour tout Son peuple f Israël, et dites Amen.a

lanou oulèkhol 'amo Israël vè'imrou amen

לָנוּ וּלְכָל עַמּוֹ יִשְרָאֵל וְאִמְרוּ אָמֵן.

34

eCelui qui établit la paix dans Ses hauteurs,

'Osse shalom bimeromav

עוֹשֶה שָׁלוֹם בִּמְרוֹמָיו,

35

l'établisse [dans Sa miséricorde] parmi nous

hou [bèra'hamav] ya'asse shalom 'alenou

הוּא [בְּרַחֲמָיו] יַעֲשֶֹה שָׁלוֹם עָלֵינוּ,

36

et sur tout [son peuple] Israël, et dites Amen.a

vè'al kol ['amo] Israël, vè'imrou amen

וְעַל כָּל [עַמּוֹ] יִשְרָאֵל וְאִמְרוּ אָמֵן.

Texte du Kaddish d'enterrement [modifier]

Dans le Kaddish deIt'haddata, les lignes 2 et 3 sont remplacées par ce qui suit:

#

Traduction française

Transcription

Araméen / Hébreu

37

dans le monde qui sera renouvelé

Be'alma dèhou 'atid lè'it'haddata

בְּעָלְמָא דְהוּא עָתִיד לְאִתְחַדָּתָא

38

et [où] Il ressucitera les morts

oul'a'haya metaya

וּלְאַחֲיָאָה מֵתַיָא

39

et les élèvera à la vie éternelle

oul'assaqa yathone lè'hayyey 'alma

וּלְאַסָּקָא יָתְהוֹן לְחַיֵּי עָלְמָא

40

et rebâtira la ville de Jérusalem

oulèmivnè qarta diYroushlem

וּלְמִבְנֵא קַרְתָּא דִירוּשְׁלֵם

41

et rétablira Son temple en son enceinte

oulèshakhlala heikh'leh bègavvah

וּלְשַׁכְלָלָא הֵיכְלֵהּ בְּגַוַּהּ

42

et retirera les cultes (idolâtres) étrangers de la terre

oulmè'qar poul'hana noukhra'a mèar'a

וּלְמֶעְקַר פֻּלְחָנָא נֻכְרָאָה מְאַרְעָא

43

et le service céleste reprendra

oulaatava poul'hana dishmayya li'atreh

וּלַאֲתָבָא פֻּלְחָנָא דִשְׁמַיָּא לְאַתְרֵהּ

44

et le Saint, béni soit-Il, régnera

vèyamlikh qoudsha bèrikh hou

וְיַמְלִיךְ קֻדְשָׁא בְּרִיךְ הוּא

45

dans Sa royauté et Sa splendeur...

b'malkhuteh viqareh

בְּמַלְכוּתֵהּ וִיקָרֵהּ

Notes: [modifier]









« Ne rabâchez-pas... »



Pour l'homme de foi, la prière est une question de vie ou de mort : sans elle, la foi ne peut que s'essouffler. Notre vie de prière puise à la fois dans un jaillissement de mots venus des profondeurs de l'âme, et dans toutes ces prières que nous « récitons » seuls ou à plusieurs. Le Notre Père est assurément la plus importante de toutes, celle qui n'a pas été inventée par des hommes, mais donnée directement par le Christ à ses disciples. C'est la prière par excellence des chrétiens, celle que nous apprenons le plus souvent en premier dans notre enfance et que nous récitons ensuite le plus fréquemment.

Mais nous sommes peut-être parfois tellement habitués à dire le Notre Père qu'à force de le répéter nous risquons de ne plus le réciter que du bout des lèvres, de « râbacher » au lieu de prier. Combien de fois avons-nous récité le Notre Père un peu distraitement, sans y penser? Réfléchir au Notre Père pris dans sa totalité, ou verset par verset, peut donc nous aider à en redécouvrir le sens, pour que la récitation « par coeur » monte véritablement de nos coeurs, et que, tout en étant la prière de la communauté des chrétiens, elle nourrisse la foi de chacun.

Bonne lecture!


Arnaud Basson, Laurence Bur, Jérôme Moreau, Marie Walckenaer

Prier le Notre Père





Talassades










« Seigneur, apprends-nous à prier »





Laurence Bur



« Seigneur, apprends-nous à prier1 » : c'est en réponse à cette demande (dans l'Évangile de Luc) que le Christ enseigne à ses disciples la prière du Notre Père. Elle vient donc répondre à un constat d'incapacité à prier. La demande que les disciples adressent à Jésus est bien plus profonde que s'ils lui disaient par exemple : « qu'est-ce que la prière? ». Telle qu'elle est formulée, leur demande laisse penser que l'on ne peut savoir ce qu'est la prière qu'en priant. « Dieu fait le don de la prière à celui qui prie », dit Saint Jean Climaque. La seule définition de la prière serait alors tautologique : il faut prier pour savoir ce qu'est la prière.

Reste qu'en enseignant ce que nous appelons le Pater à ses disciples, le Christ ne leur apprend pas seulement une prière particulière, mais bien ce qu'est la prière véritable. Si le Notre Père est la prière par excellence des chrétiens, à la fois récitée en commun lors des offices, mais aussi priée personnellement dans le silence, c'est précisément parce qu'elle est comme la source de toute autre prière. C'est bien ce que suggère Sainte Thérèse de Lisieux lorsqu'elle parle ainsi de son expérience de la prière : « Quelquefois, lorsque mon esprit est dans une si grande sécheresse qu'il m'est impossible d'en tirer une pensée pour m'unir au Bon Dieu, je récite très lentement un Notre Père et puis la salutation angélique, alors ces prières me ravissent, elles nourrissent mon âme.2 » Le Notre Père n'est pas pris ici comme une prière trop bien connue, rabâchée, qui est récitée les yeux fermés, mais bien comme ce qui vient nourrir la prière plus personnelle lorsqu'elle s'essouffle. En quoi le Notre Père est-il ainsi la source d'où coule toute autre prière? En quoi apprenons-nous à prier en priant le Notre Père?

Prière et demande

La demande fait-elle partie de la prière ? Que peut-on demander? Telles sont les questions que, dans un tout autre contexte certes, se pose à sa manière Socrate, lorsque dans son dialogue avec le religieux Euthyphron, il essaie de démontrer à ce dernier que la piété ne consiste pas à adresser des demandes aux dieux en échange des louanges qui leur sont rendues. Apparaît donc l'intuition fondamentale que les actes de piété, parmi lesquels la prière, ne peuvent pas être (du moins pas seulement) des demandes, des « prières » au sens courant (prier quelqu'un de faire ceci ou cela, dit-on). C'est précisément l'idée que reprend Maître Eckhart lorsqu'il donne dans l'un de ses sermons allemands son interprétation de l'épisode évangélique des marchands dans le temple, chassés par Jésus3. Maître Eckhart montre que ces marchands que le Christ jette hors du temple sont peut-être en vérité nous-mêmes.



« Voyez, ce sont tous des marchands, ceux qui se préservent de péchés grossiers et seraient volontiers des gens de bien et font leurs bonnes oeuvres pour honorer Dieu, comme jeûner, veiller, prier, et quoi que ce soit ; [ces bonnes oeuvres], ils les font cependant pour que Notre Seigneur leur donnne quelque chose en retour, ou pour que Dieu leur fasse en retour quelque chose qui leur soit agréable : ce sont tous des marchands. Ils veulent donner une chose pour une autre, et veulent ainsi commercer avec Notre Seigneur. »

Il ne s'agit pas de prier Dieu pour en tirer quelque chose, mais bien parce qu'il est Dieu et pour nulle autre raison. Cela pourrait donc revenir à dire que, finalement, si dans ma prière je demande quoi que ce soit à Dieu, les marchands sont toujours dans le temple, et je suis l'un d'eux. C'est d'une certaine façon en ce sens que l'on peut comprendre la parole suivante du Christ : « Votre Père sait ce qu'il vous faut avant que vous le lui demandiez.4 » Reste qu'on ne saurait en conclure radicalement que prière et demande s'excluent, puisque le Christ dit aussi : « Demandez et l'on vous donnera5 », ou encore : « Quiconque demande reçoit6 », et que, surtout, le Notre Père est lui-même composé de demandes (cinq chez Luc et sept chez Matthieu). Ces demandes du Notre Père nous apprennent ce que doit être la demande adressée à Dieu pour qu'elle soit une vraie prière. Les demandes du Notre Père ne sont pas des demandes pour moi, elles ne visent pas à satisfaire mes intérêts personnels, mais plutôt à me rapprocher de Dieu. La demande est ordonnée au salut : il ne s'agit d'adresser des demandes à Dieu que dans la mesure où ces demandes visent à notre salut. Et inversement, toute demande est susceptible de figurer dans notre prière pour autant qu'elle ne risque pas, en étant exaucée, de nous éloigner de Dieu. La demande n'a donc sa place dans la prière, et n'est prière, que si elle est un acte de conversion, c'est-à-dire de conversion du regard : il s'agit de demander non pas en fonction de notre regard sur nous-mêmes, de notre vision humaine du bien, mais en fonction du regard que Dieu porte sur nous et qui nous appelle à devenir ses Fils. Telle est donc la condition pour que la demande relève d'une prière et non pas d'un commerce avec Dieu.

C'est dire du même coup que nous ne pouvons pas compter que sur nous-mêmes dans la prière, car il est difficile de savoir ce qui dans nos demandes peut être contraire à la volonté de Dieu, obstacle à notre salut. Apparaît ainsi un autre trait de la prière, sur lequel insiste Saint Paul, à savoir que toute prière est en vérité prière de l'Esprit Saint en nous.

La prière de l'Esprit Saint

Ce n'est pas une fois pour toutes que les disciples ont demandé au Christ de leur apprendre à prier ; c'est à chaque fois que nous prions, et en particulier dans l'épreuve de la foi, que nous sommes susceptibles d'adresser cette prière à Dieu. Nous commençons très souvent notre prière par une invocation à l'Esprit Saint pour que naisse en nous l'esprit de prière, nécessaire pour que nous sachions adresser les vraies demandes à Dieu. Et peut-être que finalement la plus importante des demandes, celle qui rend possible toutes les autres, est celle qui consiste à demander à Dieu l'Esprit Saint. Après avoir dit aux disciples : « Demandez et l'on vous donnera », c'est précisément la demande de l'Esprit Saint et nulle autre que le Christ évoque : « Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l'Esprit Saint à ceux qui l'en prient.7 » L'Esprit Saint n'intervient donc pas seulement au début de la prière, mais il donne le souffle qui portera toute la prière. La prière est donc toujours la prière de l'Esprit Saint en nous, car par nous-mêmes nous ne savons pas prier. Voilà ce que dit admirablement Saint Paul dans l'Epître aux Romains :



 «Pareillement, l'Esprit vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons que demander pour prier comme il faut ; mais l'Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables, et celui qui sonde les coeurs sait quel est le désir de l'Esprit et que son intercession pour les saints correspond aux vues de Dieu.8 »

Toute prière doit donc commencer par un aveu : par nous-mêmes, nous sommes incapables de prier. Toute prière commence par un appel à l'Esprit Saint, est portée par le souffle de l'Esprit Saint, est entièrement prière de l'Esprit Saint en nous. Ainsi seulement la prière en commun de plusieurs croyants réunis prend-elle tout son sens. Si la prière n'était qu'un dialogue personnel de l'âme avec Dieu, la prière en commun serait dépourvue de sens. L'union de prière est possible précisément parce que la prière est d'abord prière de l'Esprit en chacun de nous. Lorsque nous prions, nous ne sommes pour ainsi dire jamais seuls, même dans la prière que nous faisons quotidiennement dans le secret de notre « vie privée ». La prière, aussi personnelle soit-elle, se fait toujours en communion par l'Esprit avec les autres chrétiens. Or, il semble que c'est là précisément une des choses que nous apprend le Notre Père sur la prière en général.

Notre

Nous disons le Notre Père aussi bien en commun que lorsque nous sommes seuls. C'est bien sûr le cas d'autres prières, mais le Notre Père a ceci de particulier que nous le récitons à la première personne du pluriel, que nous soyons seuls ou avec un groupe de croyants. Le premier mot du Notre Père mérite que l'on s'y arrête : que nous disions Notre Père, montre d'emblée que nous nous inscrivons dans une communauté, dans l'Église. Le Notre Père est ainsi par excellence la prière catholique, c'est-à-dire universelle. Son premier mot est en quelque sorte le signe de la communion de la famille dispersée dans le temps et dans l'espace. « La multitude des croyants n'avait qu'un seul coeur et une seule âme9 », dit le texte des Actes des Apôtres. Si donc dans les faits nous prions quotidiennement en privé, comme le Christ nous invite à le faire, en nous retirant « dans le secret10 », entre quatre murs, la prière n'est jamais à proprement parler un acte privé; nous prions toujours dans l'Église. Et les paroles du Notre Père dans notre prière silencieuse n'ont un sens que si nous avons toujours à l'esprit cette universalité de la prière, si, lorsque nous disons Notre, nous ne pensons pas Mon, mais nous nous efforçons d'être en communion de coeur avec les autres croyants.

Le Notre Père nous rend donc attentifs à ceci, que dans la prière véritable, chacun prie toujours par l'Esprit Saint, pour tous, pour son salut propre et pour celui de tous. C'est en ce sens que le Notre Père peut être pris comme la prière à laquelle se nourrit toute autre prière, qui nous fait comprendre que, paradoxalement, nous ne commençons à prier que lorsque nous confessons d'abord que nous ne savons pas prier.



Le Notre Père dans la messe





Jean-Rémi Lanavère



Les messes mises en musique par les Bach, Mozart, Charpentier et autres compositeurs de renom ne comportent que très rarement un « Pater noster », alors qu'on y peut admirer une kyriale (Kyrie-Sanctus-Agnus Dei), un Gloria ainsi qu'un Credo, qui semblent ainsi former comme l'ossature de la messe. Non que ces compositeurs soient des impies, mais parce que le Notre Père n'apparaît pas comme une prière propre de la messe. Et c'est un fait, il fait partie de ces quelques textes de la messe que nous disons volontiers en dehors du cadre liturgique, ce qui n'est pas le cas du Credo ou de l'Agnus Dei ,que nous concevons mal arrachés à leur ancrage liturgique.

Faudrait-il dire pour autant que le Notre Père n'est qu'un ajout, un ornement, ce que l'histoire de son introduction dans la messe romaine par Saint Grégoire nous laisse suggérer ? Pour que nous ne nous laissions pas aller à ces suggestions qui sont en contradiction avec ce que le Christ nous a dit de cette prière, essayons brièvement, à partir de la considération de sa place dans le déroulement de la messe, d'en pénétrer, pour autant qu'il est possible, la signification et la raison d'être du Pater dans le cadre de la messe.




Il existe bien des partitions de la messe, en liturgie de la parole et liturgie de l'Eucharistie, par exemple. Retenons pour notre part celle-ci: on peut raisonnablement distinguer six parties dans la messe: la préparation du sacrifice, l'instruction, l'oblation, la consécration, la communion et l'action de grâce.

Le Notre Père, situé entre la consécration et la communion, est traditionnellement rattaché à cette dernière partie. Ce qui clôt la consécration, c'est la doxologie finale, et ce qui ouvre la communion, c'est le Notre Père. Plus précisément, le Notre Père se trouve dans la première subdivision de la partie «communion», nommée tout naturellement «la préparation à la communion».

Cette préparation est constituée de trois groupes de prières, qui nous introduisent à la communion: le Pater, l'Agnus Dei, et deux oraisons dites par le célébrant. Il s'agit donc, pour approcher le sens de cette prière des prières qu'est le Notre Père au sein de la messe, de voir en quoi elle introduit mieux qu'aucune autre à recevoir le pain eucharistique.

Dans la courte préface prononcée par le prêtre - « Comme nous l'avons appris du Sauveur, et selon son commandement, nous osons dire » -, portons l'attention sur ce verbe « oser ». Il signifie la crainte, et la confiance permettant de la surmonter.

Pourquoi la crainte ? Parce que par lui-même, l'homme ne peut se faire l'égal de Dieu, en proclamant qu'il est son fils. Les Juifs ne s'y trompèrent pas, eux qui accusèrent de blasphème celui qui avait l'audace, l'orgueil de faire de Dieu son père.

Pourquoi la confiance ? D'une part parce que c'est Jésus lui-même qui nous a demandé, sur le mode impératif, de prier le Père ainsi: « Vous donc, priez ainsi » (Mt 6, 9). D'autre part, et surtout, parce que Jésus nous révèle:
-que nous étions des frères, ce que le meurtre d'Abel par Caïn avait mis en doute: « et tous, vous êtes des frères » (Mt 28, 8);
-que nous étions ses frères: « Voyez quelle manifestation d'amour le Père nous a donnée pour que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes! » (1 Jn 3, 1). Or le Père a dit: « Celui-ce est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur » (Mt 3, 17). Par conséquent nous sommes frères du Christ, fils d'un même Père, mais non par le même mode de filiation: le Christ est fils par nature, nous sommes filles et fils par adoption.

La confiance l'emporte d'autant plus qu'au moment où l'on récite le Notre Père, le Christ est présent réllement en son corps et en son sang sur l'autel. Après avoir actualisé l'institution de l'Eucharistie, le prêtre actualise cette autre institution du Christ qu'est le Notre Père -« et divina institutione formati ». De plus, le prêtre est entièrement configuré au Christ, et comme le Christ avait parlé en lui lors de la consécration, c'est le Fils qui parle au Père lors de la récitation du Notre Père. Enfin, l'assemblée des fidèles, en se préparant à communier, se prépare à ce qui fait d'elle une assemblée, et une assemblée de filles et fils de Dieu.

En effet, c'est l'Eucharistie qui fait l'Eglise, et qui fait que nous puissions dire Notre Père et non Mon Père. Le prêtre dit dans la prière eucharistique numéro trois : « Quand nous serons nourris de son corps et de son sang et remplis de l'Esprit Saint, accorde nous d'être un seul corps et un seul esprit dans le Christ ». En communiant, nous devenons le corps du Christ. Or, le corps mystique du Christ, c'est l'Eglise.

Saint Paul dit dans la première Epître aux Corinthiens (versets 16-17) : « La coupe de bénédiction que nous bénissons n'est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons n'est-il pas communion au sang du Christ ? Parce qu'il n'y a qu'un pain, à plusieurs nous ne sommes qu'un corps, car tous nous participons à ce pain unique ». Et ce corps, c'est un corps de Fils et de Filles de Dieu. Certes, c'est du baptême que nous devenons fils de Dieu : « Car vous êtes tous Fils de Dieu, par la foi dans le Christ Jésus. Vous tous en effet baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ » (Galates, 3, 26 sq). Mais c'est dans l'Eucharistie que nous vivons de la vie du Christ (« Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. De même que le Père, qui est vivant, m'a envoyé et que je vis par le Père, de même celui qui mange lui aussi vivra par moi », Jean 6, 56-57), d'une vie de grâce surabondante.

Le Notre Père, placé là où il est devient proprement mystagogique : il est comme une voie menant aux saints mystères, qui nous révèlent notre identité d'enfants de Dieu rassemblés au sein d'une même Eglise, épouse de Celui qui est présent sacramentellemnt dans le pain auquel nous communions.

Il nous prépare à cette communion en nous faisant prendre conscience de l'unique paternité qui est la nôtre : « N'appelez personne votre Père sur la terre, car vous n'en avez qu'un, le Père céleste » (Matthieu 23, 9), lorsque nous devenons le corps du Christ, « fils unique de Dieu né du Père avant tous les siècles ». Saint Augustin écrit : « Recevez ce que vous êtes et devenez ce que vous recevez ».




On voit par là que le Notre Père a toute son importance à cette place précise de la liturgie eucharistique. Cette importance se marque aussi historiquement, en ce que, d'après le témoignage de saint Grégoire le Grand, dans l'Eglise primitive, lorsque les prêtres et les fidèles étaient pressés par le temps et à cause de la menace d'exécution, la messe se réduisait à la consécration, à la récitation du Notre Père et à la communion.

Le Notre Père a donc bien sa place au coeur de l'Eucharistie, elle que Vatican II a qualifiée de « source et sommet de la vie chrétienne »: la plus haute façon de prier le Notre Père, c'est sans nul doute de le prier à la messe.

J.-R.L.


Lectures patristiques du Notre Père





Matthieu Cassin

=0.5

Pour les Pères, il s'agit de l'oraison dominicale, c'est-à-dire la prière du Seigneur, plus que du Notre Père. En effet, c'est la nouveauté de cette prière qui est mise en avant, et son caractère particulier : elle est enseignée par le Christ, Fils de Dieu ; Dieu, en son Fils, apprend à ses enfants comment le prier. « Celui qui nous a fait vivre nous a aussi montrer comment prier. » Cyprien, De Oratione dominica, 2. Si le notre Père est la prière par excellence de la communauté rassemblée par la célébration du Jour du Seigneur, il est tout autant prière quotidienne, puisque prière essentielle. Origène, dans le Sur la Prière, 18-20, montre que le Christ rassemble là son enseignement sur la prière : à partir du texte de Mt, 6, 5-8, qui précède immédiatement le texte même du Notre Père, il reprend les attaques contre la Vaine Gloire (), thème récurrent dans son oeuvre, homélies et traités, qui est recherchée parmi les hommes, non auprès de Dieu. Au contraire, c'est en présence du Seigneur, dans la chambre secrète qu'est la conscience, dans l'église où le Christ est présent, que la prière a son lieu nouveau.

Origène dégage, à cette étape, deux éléments de nouveauté dans la prière. Le type de parole change ; ce n'est plus rabâcher, bavarder, paroles qui ont toujours un rapport avec les biens terrestres, et qui donc sont paroles vaines, creuses, () ; ce sont les mots mêmes du Christ, et suffisamment brefs pour que l'esprit puisse tenter de s'y appliquer tout entier. C'est aussi d'un nom nouveau que Dieu est appelé : si Père et fils sont parfois employés dans l'Ancien Testament, c'est dans un sens métaphorique, et pour Origène, les fils y sont toujours sujets. Au contraire, le Christ nous fait ses frères, les fils par l'adoption d'un même Père, Jn, 1, 2, et nous a donné l'Esprit qui nous fait dire « Abba », Rm 8, 14-15. Le Verbe nous façonne à sa ressemblance, nous faisant l'image de l'Image qu'il est du Père.

« Jésus-Christ, Notre Seigneur, a fixé pour de nouveaux disciples d'une nouvelle alliance une nouvelle forme de prière. Il fallait en effet qu'en ce domaine un vin nouveau soit versé dans des outres neuves et une pièce nouvelle cousue à un vêtement nouveau. » Tertullien, De Oratione, 1, 1. De cette nouveauté, les Pères explorent des aspects divers selon leurs sensibilités, mettant en lumière tel ou tel point, s'attardant davantage sur le plus problématique, passant sur ce qui est hors de leurs préoccupations du moment, ou de celles de leur auditoire. On s'attardera sur quelques points : qui peut dire « Notre Père », et comment le dire ; le Notre Père présenté comme résumé de la foi, puisqu'il est la prière ; la sanctification ; la nature du pain.

Le Notre Père est la prière des enfants de Dieu, donc la prière d'après le baptême. « Comment en effet celui qui n'est pas encore né pourrait-il dire Notre Père ? » Augustin, Sermones, 59. Reprenant le thème de la nouvelle naissance, développé en Jn 3, dans l'entretien avec Nicodème, et l'appliquant à la filiation adoptive, Augustin souligne la nécessité d'appartenance à la communauté ecclésiale pour pouvoir dire en vérité Notre Père, ce que d'autres rappellent (Théodore de Mopsueste, Résumé des fables hérétiques, 5, 28 ; etc.). Car prière du Fils, elle ne peut être vraie que dans l'Esprit, Ga 4, 47 ; Rm 8, 14-17. C'est l'Esprit qui prie en l'homme, c'est dans l'Esprit que l'homme peut prier en vérité. Or c'est au baptême que l'Esprit est communiqué à l'homme. « En sorte qu'après avoir reçu l'Esprit et la vérité par la sanctification [ c'est-à-dire le baptême ] qui vient de lui, nous puissions aussi adorer en Esprit et en vérité. » Cyprien, De Oratione, 1, 2 ; Jn 4, 23-24.

Or, puisque la prière se fait dans l'Esprit, elle s'étend à tout le corps mystique du Christ, en chacun de ses membres. Augustin, dans le De Sermone in monte, 2, 4, 16, rappelle l'universalité du Salut et l'annonce faite aux Nations, en même temps que la bonté du Christ. « Le Fils de Dieu est unique et pourtant il n'a pas voulu être seul ; il a daigné avoir des frères [...]. Dans sa fraternité, il appelle les peuples des Nations et le Fils unique a d'innombrables frères qui puissent dire notre Père. » Tout homme qui accueille l'Esprit et fait en lui les oeuvres du Père peut le prier ainsi. C'est remettre en mémoire le lien nécessaire des oeuvres et de la prière, de la vie et de la foi. Cyprien le formule autrement : appeler Dieu « Père » doit nous rappeler d'agir comme ses enfants, nous rappeler que nous sommes sont temple. Ce que l'on peut rapprocher des recomandations qu'il fait auparavant sur la modestie du corps et de la voix, sur la communion ecclésiale dans la prière.

Mais plus largement, les Pères voient cette prière, puisqu'elle est celle que le Christ a enseignée, comme le résumé de la vie chrétienne, sous tous ses aspects : non seulement c'est la prière parfaite, mais elle est aussi règle de vie et résumé de foi. On trouve à ce sujet chez Augustin l'exemple de ces interprétations numériques, de ces rapprochements autour d'un nombre symbolique qu'il affectionne ; dans le De Sermone in monte, 1, 11, 38, il rapproche les sept dons de l'Esprit, les sept premières béatitudes et les sept demandes du Notre Père :

Mais il est d'autres lectures, et pour beaucoup, le Notre Père résume tous les aspects de la vie chrétienne en ce qu'il est appel à la sainteté et à la conversion des moeurs. « C'est de ces brèves paroles que se servit Notre Seigneur, comme s'il voulait dire que la prière ne consiste pas en mots mais en moeurs, amour, application au bien [...]. Or la prière doit se faire en vue de la conduite [...] la prière véritable est rectitude morale, amour envers Dieu, et zèle pour ce en quoi il se complaît. » Théodore de Mopsueste, Cathéchèses, 3, 5. Origène, lui, dans l'Homélie 19, 4 rapproche confession et mode de vie, foi chrétienne et vie chrétienne, rappelant à ses auditeurs le poids des mots prononcés. « Celui qui dit "Notre Père" professe par cette appellation à la fois la rémission des péchés, l'abrogation des peines, la justice, la sainteté, la rédemption, la filiation adoptive, l'héritage et la fraternité avec le Monogène, la communication de l'Esprit. [...]. Il dit "Notre Père", rapportant sa prière au corps tout entier, ne songeant en rien à lui-même, mais en tout au prochain. Il supprime ainsi les inimitiés, réprime l'arrogance, élimine l'envie ; il proclame la charité mère de tous les biens et chasse l'inégalité dans les choses humaines [...] il manifeste l'égale dignité du roi avec le pauvre, puisque nous avons tous en commun les biens les plus grands et les plus nécessaires. » C'est lier et rapprocher sans cesse parole et action, temps passé dans l'église et vie quotidienne, relation "communautaires" et relations dans le monde.

Cyprien, dans le De Oratione dominica, 15, développe même, à l'occasion de son commentaire de la demande « que ta volonté... » une sorte d'hymne du bien-vivre chrétien.

« L'humilité dans la conduite, la fermeté dans la foi,
La vérité dans les paroles et dans les actes, la justice
Dans les oeuvres la mansuétude et dans les moeurs la rectitude.
Ne point savoir faire injure et savoir la tolérer quand elle est faite,
Avec les frères, conserver la paix, et le Seigneur, l'aimer de tout son coeur.
Chérir en lui le Père, et craindre le Dieu,
Ne rien mettre au monde au-dessus du Christ, or il nous a mis au-dessus de lui.
A son amour, s'attacher inébranlablement ; à sa croix, se lier indissolublement.
Et quand il est temps de lutter pour son honneur et pour son nom,
Montrer, lors de l'interrogatoire, cette fermeté qui fait de nous des confesseurs,
Montrer, dans la torture, cette foi qui fait de nous des lutteurs,
Montrer, à l'heure de la mort, cette acceptation de la souffrance qui
fait de nous des triomphateurs.
Voici la vie de qui veut être cohéritier du Christ,
Voici l'obéissance aux préceptes de Dieu,
Voici l'accomplissement de la volonté paternelle. »

C'est rassembler là un programme d'imitation du Christ, qu'évoque l'obéissance à la volonté paternelle. Si les commentaires du Notre Père donnent rarement naissance à une prière directement adressée à Dieu, bien plus souvent ils se déploient en invitation à la prière, ou à une vie à laquelle la prière donne forme.

Sans passer, en revue chaque demande, on s'arrêtera au commentaire de deux d'entre elles, celles qui ont sans doute soulevé - avec celle sur la tentation - le plus de commentaires ; non pour exposer les positions de chacun, mais pour dégager les lignes principales d'interprétation et leur apport possible à la compréhension et à la méditation des mots mêmes de la prière ; à la prière, donc.

Origène, dans le Sur la Prière, s'attarde longuement sur la glorification du Nom divin. Pour rappeler d'abord sa définition du nom, qui « désigne la nature propre et incontestable de l'être nommé », et donc qui est immuable pour Dieu seul. S'appuyant sur les Psaumes, il montre qu'exalter le Nom de Dieu, c'est « participer à l'effluve divine », et qu'il faut pour cela lui construire une demeure en soi-même, cf. Ps 30, 1. Car, de même que pour la deuxième demande, celle de la venue du Règne, il paraît étrange de demander ce qui est déjà : le Nom de Dieu est saint, son Règne est établi ; mais c'est en nous qu'il y a encore à l'accomplir, ou tout au moins à l'achever, en détruisant le péché, en laissant souffler en nos coeurs l'Esprit. C'est prier pour que la volonté de Dieu nous amende, et de terre que nous sommes, pécheurs, nous fasse ciel. Un ouvrage abusivement attribué à Jean Chrysostome, l'Opus imperfectum in Matthaeum, Hom. XIV, souligne la justesse de la formule employée dans la prière : ce n'est pas « Père, sanctifie ton Nom en nous », ni « Sanctifions ton nom », mais une formule impersonnelle ; « de même que l'homme ne peut pas faire le bien s'il n'a pas l'aide de Dieu, ainsi Dieu ne réalise pas le bien en l'homme si l'homme ne le veut pas. » Par l'attention au moindre détail d'un texte essentiel, l'auteur patristique sait retrouver dans un mot ou un tour en apparence insignifiant, et à propos de chaque élément, de chaque demande de la prière, la totalité de l'économie du salut et de la bonté divine, mettre en lumière la totale liberté humaine en même temps que la nécessité de la grâce.

La question du pain demandé est plus complexe, car les Pères sont partagés sur le sens à donner aux mots employés pour qualifier ce pain. En effet, le texte de Mt comporte un adjectif, , qui peut recevoir deux interprétations que présente Origène, Sur la Prière, 27 : soit le mot vient d' + , supersubstantiel ou approprié, nécessaire, soit il vient d', quotidien ou de demain. Les Pères latins sont rares à poser la question, car jusqu'à la Vulgate, le mot est traduit par quotidianum. Origène préfère le premier sens, car ce pain est alors nettement celui qui vient du ciel et nous communique l'immortalité divine. Il le rapproche de l'Arbre de vie, la Sagesse de Pr 3, 18. Si le deuxième sens était à retenir, il faudrait comprendre, pour Origène, qu'il s'agit du pain du siècle à venir, du monde nouveau où le Christ régnera, accordé par anticipation aux fidèles. Mais nous sommes déjà entrés dans un deuxième débat, qui est celui du pain spirituel et du pain matériel. Pour rester encore un peu dans le premier débat, arrêtons-nous à Jérôme ; son retour au texte grec pour établir une traduction latine plus fidèle que les Veterae Latinae l'amène en effet à s'interroger sur le sens de l'adjectif grec, qui n'est plus pour lui masqué par la traduction latine traditionnelle ; puisqu'il est interdit de penser au lendemain, il ne peut s'agir selon Jérôme de demander dans la prière par excellence qu'est l'oraison dominicale ce qui « peu de temps après sera éliminé et digéré. » (In in Titum, 2, 14). Jean Cassien s'attache au contraire à développer les deux sens et à les expliciter : « La première qualification [supersubstantialem] exprime sa noblesse et le caractère de sa substance qui élèvent au-dessus de toute substance et font qu'il dépasse par sa sublime grandeur et sainteté toutes les créatures. Le deuxième [quotidianum] exprime l'usage qu'il faut en faire et son utilité : le mot quotidianum montre que sans ce pain, nous ne pouvons vivre un seul jour de la vie spirituelle. » Conférences IX, 21.

En outre, les Pères sont divisés, selon l'accent principal de leur spiritualité et de leur pastorale, sur le sens à donner au pain, spirituel, matériel ou les deux. Certains penchent pour le seul pain spirituel : « Le véritable pain est celui qui nourrit l'homme véritable [...] et qui élève celui qui s'en nourrit à l'image du Créateur. » Origène, Sur la Prière, 27, 2. « Nous faisons injure à la puissance et à la miséricorde infinie de Dieu si nous lui demandons quoique ce soit en dehors de la gloire de son royaume [...]. Il est certain qu'il nous accordera libéralement, avec les richesses célestes, aussi les terrestres. » Ephrem, Parénèse, 74. Les Cappadociens insistent au contraire, dans d'autres contextes, sur la nécessité de demander le pain que produit le travail, mais de ne demander que le pain, non la richesse. « Il veut que nous soyons toujours ceints pour le voyage et tout prêts à prendre notre essor vers le ciel, ne demandant pour le corps que ce que la nécessité commande » prêche Jean Chrysostome, In Mt, Hom. XIX, 5. C'est que selon les urgences du temps, il est nécessaire de mettre l'accent davantage sur la pauvreté matérielle ou sur l'exigence spirituelle ; c'est aussi qu'il est plus facile de parler à des moines ou à une petite communauté fervente de pain spirituel qu'à l'assistance d'une église. Et plutôt que d'opposer les interprétations mieux vaut les rapprocher et reconnaître leur valeur, puisqu'elles se complètent plus qu'elle ne s'excluent. Demander le strict nécessaire en termes de biens matériels, le pain, c'est aussi laisser place au pain spirituel et le chercher plus que tout le reste. Cyprien rappelle que « dans le dessein de Dieu, chacune de ces deux interprétations est utile au Salut », que nous demeurions chaque jour en Christ et qu'ayant renoncé au monde, nous ne demandions que de quoi survivre en ce jour. Toute interprétation qui écarterait trop radicalement le pain matériel réduirait l'essentiel de l'homme à un pur esprit, et tendrait au gnosticisme ; toute interprétation qui ne verrait que le pain matériel réduirait l'homme à la terre.

On trouve ces lectures du Notre Père dont on a tenté de donner ici quelques brefs aperçus, dans des oeuvres très diverses, commentaires exégétiques, homélies, catéchèses pré- ou post-baptismales, traités dogmatiques ou sur la prière, ce qui explique leur diversité d'approche et de ton et permet ce foisonnement de lectures. Un exemple encore, chez Ambroise, De Sacramentis, V, 27, sur la dette : « Tu étais riche, fais à l'image et à la ressemblance de Dieu. Tu as perdu ce que tu possédais, c'est-à-dire l'humilité [...] tu as perdu ton argent, tu t'es fait nu comme Adam, tu as accepté du diable une dette qui n'était pas nécessaire. Et par là, toi qui étais libre dans le Christ, tu t'es fait le débiteur du diable. » Par un retour à la relation concrète de débiteur à créancier, ici appliquée à l'homme et au diable, Ambroise explicite pour ses catéchumènes l'image implicite contenue dans la prière du Seigneur, la dette qu'est le péché, en en présentant les protagonistes. La clarté et la force ne sont pas toujours et chez tous de cet ordre, et la prière par excellence, on l'a dit, n'a pas fait jaillir une prière de feu dont on ait trace écrite. Comme si l'on ne pouvait qu'expliquer ce qui contient déjà tout, et le laisser monter au coeur. Tertullien, une dernière fois : « L'oraison dominicale est vraiment l'abrégé de tout l'Evangile. [...] Dans quelques mots, que d'oracles rejoignent les Prophètes, les Evangiles, les Apôtres ! Que de discours du Seigneur, de paraboles, d'exemples, de préceptes ! Que de devoirs exprimés ! Hommage rendu à Dieu par le titre de Père, témoignage de foi en son Nom, acte de soumission à sa volonté, rappel de l'espérance en la venue de son Règne, demande de la vie dans le pain, aveu suppliant de nos dettes, fervente requête pour être défendus des tentations. Quoi d'étonnant ? Dieu seul a pu nous apprendre comment il voulait être prié. C'est donc lui qui règle la religion de la prière, l'anime de son Esprit, au moment où elle sort de sa bouche, et lui communique le privilège de nous transporter au ciel en touchant le coeur du Père par les paroles du Fils. » De Oratione 2 ; 9. Que tout commentaire fasse revenir, le coeur plus ouvert, au texte, pour que celui-ci soit prière plus vraie en l'Esprit.

M.C.




Que ta volonté soit faite...





Nathalie Ray



Devant le thème de ce Sénevé, j'ai eu l'idée de choisir une phrase du Notre-Père et de la méditer... Et puis je suis tombée (par hasard ?) à la Procure sur le livre de Jacques Fesh «Dans 5 heures, je verrai Jésus 1» dont j'avais beaucoup entendu parler. Et là... le «que ta volonté soit faite» transparaissait à chaque ligne ! Je vous livre donc ma méditation sur le sujet, à l'aide de ce livre que je vous conseille fortement... au coeur de notre prison quotidienne.

Mais que je vous présente d'abord Jacques Fesch. Il est un condamné à mort pour vol prémédité et meurtre non prémédité, guillotiné en 1957 à l'âge de 27 ans, après quatre ans d'incarcération à la prison de la Santé. C'est là qu'il a rencontré Dieu, grâce à son avocat et grâce à Dieu Lui-même ! C'est une conversion fulgurante : «C'est alors qu'un cri jaillit de ma poitrine, un appel au secours : «Mon Dieu ! »et instantanément, comme un vent violent qui passe sans qu'on sache d'où il vient, l'esprit du Seigneur me prit à la gorge. [...] A partir de ce moment-là, j'ai cru, avec une conviction inébranlable qui ne m'a pas quitté depuis.2» «Dans 5 heures je verrai Jésus» nous livre le testament qu'il a rédigé durant les deux derniers mois de sa vie sous la forme d'un journal pour sa fille Véronique, âgée alors de six ans. Pour qu'elle connaisse la vie de son père et surtout son combat pour se purifier et essayer d'être digne de rencontrer Jésus face à face.

Que ta volonté soit faite... Cela signifie, au premier abord, laisser Dieu agir à sa guise dans notre vie et donc accepter que tout ce qui va nous arriver sera son bon vouloir. Pour Jacques, son avenir est tout tracé : c'est la guillotine. Ce qui signifie purement et simplement que Dieu désire non seulement sa mort, mais une agonie lucide ! Comment accepter cela ? Et pourtant, il y réussi merveilleusement bien : à aucun moment il ne se révolte contre ce qui lui arrive. «Il ne m'appartient pas de discuter cet arrêt mais seulement de me soumettre de tout mon coeur à la volonté de Dieu.3» Tout cela peut paraître évidemment barbare... mais Dieu n'est pas seulement un Dieu de justice, il est aussi et surtout le Dieu d'Amour et de Miséricorde que nous révèle l'Evangile. Il faut donc aller plus loin et voir dans tout ce qui nous arrive (et nous ne sommes pas condamnés à l'échafaud...) l'amour de Dieu pour nous, la grâce qu'il nous fait : Jacques voit en la prison sa conversion et en sa condamnation la grâce d'offrir sa mort et de pouvoir la préparer, non pas en toute sérénité, loin de là car il ne se sent jamais prêt, mais en toute lucidité. «Je comprends que tout ce qui est arrivé et que j'appelais un horrible coup du sort, procède de la bonté divine... «Je ne veux pas la mort de l'impie, mais qu'il se détourne de ses voies et qu'il vive»... mais que de drames pour en arriver là !4» Il ne faut donc pas seulement accepter ce qui nous arrive de bon ou de mauvais (à nos yeux) mais aussi le considérer comme un bien, une grâce de Dieu et en remercier le Seigneur ! «C'est pourquoi tu ne dois pas accepter ton châtiment comme une dette qu'on rembourse, mais tu dois croire que par ce châtiment, c'est Dieu, l'infini de son amour, qui se donne à toi.5» De quoi essayer de relire toute sa vie sous un autre regard...

On est loin de la soumission passive à un Dieu janséniste, juste et lointain, mais on est dans la confiance absolue en l'Enfant de la crèche, en Christ mort par Amour sur la croix. Confiance ! Il n'y a que cette confiance en Dieu qui puisse expliquer le courage et la volonté de Jacques : «Il faut avoir confiance, se dire qu'il est préférable qu'il en soit ainsi, même si nous pensons le contraire.6» Et cette confiance permet l'abandon total, qui est celui de Jacques («Jésus fait tout de moi et moi je le laisse faire, même s'il me fait un peu mal.7»), de Thérèse de Lisieux («Aimer, c'est tout donner et se donner soi-même.») et de Jésus sur la croix («Entre tes mains, je remets mon esprit.»).

Cependant, la confiance en Dieu est si facile à perdre... En lisant ce livre, on se demande comment Jacques a tenu jusqu'au bout, avec un parcours certes en montagnes russes quand il s'agit du moral, mais au beau fixe quand il s'agit de l'abandon et de la confiance. D'un point de vue simplement humain, c'est impossible ! Dieu nous accorde-t-il donc la grâce d'avoir confiance en Lui ? Le «Tout est grâce» de Bernanos signifierait-il donc que tout nous est donné par la grâce, que rien ne vient de nous seuls ? C'est la Petite Voie de Thérèse. Mais je diverge... vers un ancien Sénevé ! Tout cela est très beau théoriquement, mais dans la pratique ? Comment faire confiance, toujours confiance, en un Dieu qui permet toutes sortes de choses horribles (je vous épargnerai le listing...) ? Et non seulement faire confiance, ne pas se rebeller, mais croire que tout cela fait partie du «plan de Dieu» ?

Si Dieu existait, il ne permettrait pas tout cela... refrain bien connu auquel nous avons, en tant que chrétiens, l'habitude de répondre que le mal ne vient pas de Dieu, mais de la liberté des hommes. Ce qui me convenait très bien jusque là... mais comment «caser» la volonté de Dieu dans tout ça ? Dieu aurait-il une volonté concernant notre propre vie, mais pas en ce qui concerne l'humanité et le mal en général ? Je n'ai pas trouvé de réponse satisfaisante à cela... seulement une piste : Dieu ne fait pas supporter à chacun plus qu'il ne le peut et il lui donne sa grâce et sa force pour cela. Reste à comprendre la volonté de Dieu dans la souffrance des autres... Notre intelligence n'est pas encore capable de comprendre le sens de la souffrance des innocents et se rebelle.

Une autre approche, au lieu de se demander si le mal qui est dans le monde est la volonté de Dieu (ce qui me paraît tout de même être une hérésie...) est de rechercher quelle est la volonté de Dieu. Pour cela, rien de mieux que l'Evangile et Jésus qui nous dit : «C'est la volonté de celui qui m'a envoyé que je ne perde rien de tout ce qu'il m'a donné, mais que je le ressuscite au dernier jour.8» La volonté de Dieu est donc «que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité9» qu'est le Christ : n'est-ce-pas là une preuve que la volonté de Dieu est une volonté d'Amour, puisqu'il veut tous ses enfants avec lui, dans son royaume, pour l'éternité ? Quitte à ce que certains aient besoin de passer par le mal et la souffrance... «A certains, il est donné une vie paisible et heureuse parce qu'ils ont su se préserver de la pourriture et du péché. Et Dieu, qui aime répandre avec profusion ses largesses, leur prodigue nombre de satisfactions terrestres, parce qu'ils en feront bon usage. Aux autres, ces mêmes largesses seraient cause de leur mort spirituelle et s'il existe dans une âme, même totalement corrompue, encore une petite lueur d'amour, à cause d'elle le Seigneur la sauvera en lui donnant les moyens de recevoir la plénitude de la vie.10»

La volonté de Dieu est donc de nous sauver... mais il faut, pour être sauvé, faire la volonté de Dieu ! «Ce n'est pas en me disant Seigneur, Seigneur, qu'on entrera dans le royaume des cieux, mais c'est en faisant la volonté de mon Père qui est dans les cieux.11» Le même passage dans Luc nous dit «Pourquoi m'appelez-vous Seigneur, Seigneur et ne faites vous pas ce que je vous dis ?12» La volonté de Dieu est donc que nous obéissions aux commandements du Christ et plus particulièrement à son «Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés». Que votre volonté soit faite... ce n'est donc pas seulement l'acceptation plus ou moins passive de ce qui nous arrive, mais également une ligne de conduite à tenir : il faut que nos actes, notre volonté s'accordent à la volonté de Dieu. C'est un engagement, rude évidemment, surtout qu'il s'agit de le tenir toujours et partout. «Il n'y a jamais eu encore une telle lutte en moi, d'une part le souhait permanent de vivre selon la volonté divine, et d'autre part les tentations et les révoltes exacerbées par trois ans de cellule. L'ange et la bête !13», nous confie Jacques. Que de fois n'avons-nous pas envie d'abandonner cette lutte, qui semble trop difficile et jamais gagnée ?

Et pourtant, elle en vaut le coup ! Dieu ``récompense'' ceux qui lui font toujours confiance et qui font sa volonté. «Parce que j'accepte de tout coeur cette volonté du Père, je reçois joies sur joies. [...] Celui qui s'abandonne ainsi, ce n'est plus un coeur de chair qu'il a dans la poitrine, mais un globe de feu.14» Dieu n'abandonne pas ceux qui se jettent éperdument dans ses bras, même au milieu des plus grandes épreuves, et leur accorde des grâces d'autant plus grandes que leur épreuve est difficile à traverser : «Je me dirige vers ma mort, l'accepte, l'offre et Dieu dans sa bonté me montre sa satisfaction.15» Faire la volonté de Dieu nous fait également entrer dans la grande famille de Jésus : «Car quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là m'est un frère et une soeur et une mère.16» Et en faisant partie de cette grande famille, de la Communion des Saints, nous pouvons intercéder auprès de Dieu pour les êtres qui nous sont chers et pour tous les hommes : «Nous savons que Dieu n'écoute pas les pécheurs, mais si quelqu'un est religieux et fait sa volonté, celui-là il l'écoute.17» Est-ce un hasard si, cinq jours avant la mort de Jacques, sa femme Pierrette communie pour la première fois depuis dix ans ? si quelques co-détenus se sont convertis ? Jacques, comme Thérèse et sa pluie de roses, promet de veiller sur sa fille, sur les personnes de sa famille et, n'en doutons pas même s'il n'en parle pas, sur ses compagnons de détention, d'hier et d'aujourd'hui.

La confiance et l'amour de Jacques pour son Dieu resteront intacts jusqu'au bout... même si la dernière nuit est loin d'être facile ! Et pourtant... «Mon avocat vient de venir m'avertir que l'exécution aurait lieu demain, vers les 4h du matin. Que la volonté du Seigneur soit faite en toute chose ! J'ai confiance en l'amour de Jésus et je sais qu'il commandera à ses anges de me porter dans leurs mains.18» «Je crois que je vais arrêter ce journal là où il en est, vu que j'entends des bruits inquiétants. Pourvu que je tienne le coup. Sainte Vierge, à moi ! Adieu à tous et que le Seigneur vous bénisse.19»

N.R.




Dans le ruisseau





Pierre Guy



Cet après-midi, je suis assis au soleil sur le bord d'un cours d'eau. Je rêve et je reviens en arrière. La vie est apparue dans l'eau. Tiens ! Nous aussi avons grandi dans l'eau avant de naître. Sommes-nous maintenant en surface ? Pas si sûr... et si nous étions encore dans un ruisseau ? Le Pape ne parle-t-il pas par bulles ?

Au commencement, l'eau claire et limpide est bercée d'une douce lumière. Bien sûr, il y a parfois des tourbillons, mais ce sont surtout les hommes qui, s'agitant en tous sens, troublent l'eau.

Sous l'eau, c'est parfois difficile d'imaginer qu'il y ait une surface, et derrière la surface, un monde si nouveau, et le soleil vu de face et sans filtre. Pourtant, c'est limpide, c'est vrai. Il y a eu cet être profondément différent, si léger. Il nageait au-dessus des hommes, voulant leur apprendre à s'élever par la grâce. Beaucoup n'ont pas compris, alors ils l'ont cloué. Mais bientôt les eaux se sont ouvertes sur lui, une lumière immense d'en haut est venue, illuminant le fond de l'eau un instant. Il est monté dans la lumière... Il nous a envoyé son Esprit, et l'eau est devenue la vie.

Comment donc s'élever ? Il faut nous aussi être légers ! Donner, se laisser emporter ! Le pécheur, c'est celui qui prend quelque chose dans l'eau au lieu de donner. Si l'on est trop lourd, comment monter ? Il faut aussi cesser de s'agiter inutilement... cela crée des remous ! Certains se donnent tellement qu'ils parviennent à nager juste sous la surface... il n'y a presque plus rien entre eux et Dieu. Et lorsqu'ils meurent, Il n'a qu'à se baisser un petit peu pour les recueillir au creux de ses mains. C'est plus difficile d'aller chercher les hommes au fond de l'eau. Ils peuvent se dissoudre rapidement...

Je sens toujours près de nous Marie, je la vois baignant Jésus dans l'eau du ruisseau avec amour. Je vois aussi ses bras de mère attendrie pour chacun de nous, prête à nous soutenir si nous voulons sortir de l'eau ou simplement si l'eau est trop chaude. La plus patiente et la plus douce des mères...

Le baptême nous dit tout cela : nous sommes sous l'eau, et il faut tendre vers l'air libre. Emergeons ! Au-delà de la surface, il y a la vraie profondeur et la vraie lumière, Dieu. Je suis dans une église comme un poisson dans l'eau. Elle me donne des nageoires pour m'élever ; mais surtout, ses vitraux de toutes les couleurs me laissent entrevoir la vraie lumière.

Cet après-midi, les âmes du ciel sont assises au soleil sur le bord du cours d'eau, et nous regardent.

Pourquoi ne pas dire alors avec humour:

Notre Père,

Qui es sur Terre,

Que ton nom soit sanctifié,

Que ton règne vienne,

Que ta volonté soit faite sous les eaux comme en Haut ;

Donne-nous aujourd'hui nos poissons de ce jour,

Pardonne-nous nos remous, comme nous pardonnons aussi, à ceux qui font des tourbillons,

Et ne nous soumets pas à la tentation,

Mais délivre-nous des crabes.

Angoulême, 3/09/01
Palaiseau, 18/10/01

P.G.


Pater paraphrasé





Saint François d'Assise

Chez les franciscains, le Notre Père était la prière de base de l'Office des frères non prêtres. C'était aussi la formule préférée des premiers frères, au temps où ils ne disposaient pas encore de bréviaires. Pour mieux le prier, Saint François a recouru à un procédé extrêmement courant au Moyen Âge: la paraphrase d'une prière en la commentant groupe de mots par groupe de mots. On parle alors de « prière tropée », ou « farcie ». Nous vous présentons ici le texte du Notre Père tel qu'il a été « tropé » par Saint François, à qui il servait de canevas de prédication ou de prière. Il peut sans doute encore inspirer la nôtre.




Notre Père très saint,
notre Créateur, notre Rédempteur,
notre Sauveur et notre Consolateur.
Qui es aux cieux,
dans les anges et dans les saints,
les illuminant pour qu'ils te connaissent,
  car tu es, Seigneur, la lumière;
les enflammant pour qu'ils t'aiment,
  car tu es, Seigneur, l'amour;
habitant en eux et les emplissant de ta divinité,
  pour qu'ils aient le bonheur,
  car tu es, Seigneur, le bien souverain, le bien éternel,
  de qui vient tout bien, sans qui n'est aucun bien.
Que ton nom soit sanctifié,
que devienne toujours plus lumineuse en nous
  la connaissance que nous avons de toi,
afin que nous puissions mesurer
  la largeur de tes bienfaits,
  la longueur de tes promesses,
  la hauteur de ta majesté,
  la profondeur de tes jugements1.
Que ton règne vienne:
dès maintenant règne en nous par la grâce,
et plus tard introduis-nous dans ton royaume
  où sans ombre enfin nous te verrons,
  où deviendra parfait notre amour pour toi,
  bienheureuse notre union avec toi,
  éternelle notre jouissance de toi.
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel:
  Que nous t'aimions :
de tout notre coeur en pensant toujours à toi ;
de toute notre âme en te désirant toujours;
de tout notre esprit en dirigeant vers toi tous nos élans
  et ne poursuivant toujours que ta seule gloire;
de toutes nos forces en dépensant toutes nos énergies
  et tous les sens de notre âme et de notre corps
  au service de ton amour et de rien d'autre.


  Que nous aimions nos proches comme nous-mêmes :
en les attirant tous à ton amour selon notre pouvoir,
en partageant leur bonheur comme s'il était le nôtre,
en les aidant à supporter leurs malheurs,
en ne leur faisant nulle offense.
Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour:
ton Fils bien-aimé, notre Seigneur Jésus-Christ,
pour que nous puissions nous rappeler,
mieux comprendre et vénérer
l'amour qu'il a eu pour nous
et tout ce que pour nous il a dit, fait et souffert.
Pardonne-nous nos offenses
par ta miséricorde ineffable,
par la vertu de la Passion de ton Fils bien-aimé,
par les mérites et par l'intercession de la Vierge Marie
et de tous les élus.
Comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés
Et ce que nous ne pardonnons pas pleinement,
toi, Seigneur, fais que nous leur pardonnions pleinement:
que nous aimions vraiment nos ennemis à cause de toi,
que nous arrivions à te prier sincèrement pour eux;
qu'à personne nous ne rendions le mal pour le mal
mais que nous tâchions de faire du bien à tous, en toi !
Et ne nous soumets pas à la tentation,
qu'elle soit manifeste ou sournoise,
soudaine, ou lancinante et prolongée.
Mais délivre-nous du mal
passé, présent et futur. (Amen).




À propos du Pater





Simone Weil



Nous fuyons le vide intérieur parce que Dieu pourrait s'y glisser.
[ Cahiers (1956), 3 ]
Simone Weil | Biographie

(http://www.dicocitations.com/auteur/4598/citation.php?id=4598&debut=50)

Ce texte de Simone Weil est issu du volume intitulé Attente de Dieu, recueil de lettres et de textes récoltés par un de ses derniers interlocuteurs, le père dominicain Jean-Marie Perrin, qui en a rédigé l'introduction qui suit.

Pour comprendre toute la portée de ce texte, il est indispensable de se souvenir de ce que fut pour Simone Weil la découverte du Pater, sa première prière, sa première rencontre quotidienne avec le Christ (cf. Lettre 41).

Pourtant certaines formules doivent être corrigées. Simone Weil était intensément frappée par la transcendance de Dieu; elle n'avait pas encore expérimenté sa proximité, la joie et la confiance filiales qu'il verse dans l'âme de ses enfants; elle ne savait encore qu'imparfaitement ce témoignage de l'Esprit, que nous sommes tous enfants de Dieu.

Notre-Seigneur veut que les siens sachent que le Père du ciel est infiniment plus Père que tous les parents de la terre: "Si vous êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux" (Mat.,VII, 11). "Même les cheveux de votre tête sont comptés" (Mat., X, 30).

« Notre Père qui est dans les cieux »

C'est notre Père; il n'y a rien de réel en nous qui ne procède de lui. Nous sommes à lui. Il nous aime, puisqu'il s'aime et que nous sommes à lui. Mais c'est le Père qui est dans les cieux. Non ailleurs. Si nous croyons avoir un père ici-bas, ce n'est pas lui, c'est un faux Dieu. Nous ne pouvons pas faire un seul pas vers lui. On ne marche pas verticalement. Nous ne pouvons diriger vers lui que notre regard. Il n'y a pas à le chercher, il faut seulement changer la direction du regard. C'est à lui de nous chercher. Il faut être heureux de savoir qu'il est infiniment hors de notre atteinte. Nous avons ainsi la certitude que le mal en nous, même s'il submerge tout notre être, ne souille aucunement la pureté, la félicité, la perfection divines.

« Soit sanctifié ton nom »

Dieu seul a le pouvoir de se nommer lui-même. Son nom n'est pas prononçable pour des lèvres humaines. Son nom est sa parole. C'est le Verbe. Le nom d'un être quelconque est un intermédiaire entre l'esprit humain et cet être, la seule voie par laquelle l'esprit humain puisse saisir quelque chose de cet être quand il est absent; il est dans les cieux. Son nom est la seule possibilité pour l'homme d'avoir accès à lui. C'est le Médiateur. L'homme a accès à ce nom, quoiqu'il soit aussi transcendant. Il brille dans la beauté et l'ordre du monde et dans la lumière intérieure de l'âme humaine. Ce nom est la sainteté elle-même; il n'y a pas de sainteté hors de lui; il n'a donc pas à être sanctifié. En demandant cette sanctification, nous demandons ce qui est éternellement avec une plénitude de réalité à laquelle il n'est pas en notre pouvoir d'ajouter ou de retrancher même un infiniment petit. Demander ce qui est réellement, infailliblement, éternellement, d'une manière tout à fait indépendante de notre demande, c'est la demande parfaite. Nous ne pouvons pas nous empêcher de désirer; nous sommes désir; mais ce désir qui nous cloue à l'imaginaire, au temps, à l'égoïsme, nous pouvons, si nous le faisons passer tout entier dans cette demande, en faire un levier qui nous arrache de l'imaginaire dans le réel, du temps dans l'éternité, et hors de la prison du moi.

« Vienne ton règne »

Il s'agit maintenant de quelque chose qui doit venir, qui n'est pas là. Le règne de Dieu, c'est le Saint-Esprit emplissant complètement toute l'âme des créatures intelligentes. L'Esprit souffle où il veut. On ne peut l'appeller. Il ne faut même pas penser d'une manière particulière à l'appeler sur soi ou sur tels ou tels autres, ou même sur tous, mais l'appeler purement et simplement; que penser à lui soit un appel et un cri. Comme quand on est à la limite de la soif, qu'on est malade de soif, on ne se représente plus l'acte de boire par rapport à soi-même, ni même en général l'acte de boire. On se représente seulement l'eau, l'eau prise en elle-même, mais cette image de l'eau est comme un cri de tout l'être.

« Soit accomplie ta volonté »

Nous ne sommes absolument, infailliblement certains de la volonté de Dieu que pour le passé. Tous les événements qui se sont produits, quels qu'ils soient, sont conformes à la volonté du Père tout-puissant. Cela est impliqué par la notion de tout-puissance. L'avenir aussi, quel qu'il doive être, une fois accompli, se sera accompli conformément à la volonté de Dieu. Nous ne pouvons rien ajouter ni soustraire à cette conformité. Ainsi, apeès un élan de désir vers le possible, de nouveau, dans cette phrase, nous demandons ce qui est. Mais non plus une réalité éternelle comme la sainteté du Verbe. Ici l'objet de notre demande est ce qui se produit dans le temps. Mais nous demandons la conformité infaillible et éternelle de ce qui se produit dans le temps avec la volonté divine. Après avoir, par la première demande, arraché le désir au temps pour l'appliquer sur l'éternel, et l'avoir ainsi transformé, nous reprenons ce désir devenu lui-même d'une certaine manière éternel pour l'appliquer de nouveau au temps. Alors notre désir perce le temps pour trouver derrière l'éternité. C'est ce qui arrive quand nous savons faire de tout événement accompli, quel qu'il soit, un objet de désir. C'est là tout autre chose que la résignation. Le mot d'acceptation même est trop faible. Il faut désirer que tout ce qui s'est produit se soit produit, et rien d'autre. Non pas parce que ce qui s'est produit est bien à nos yeux; mais parce que Dieu l'a permis, et que l'obéissance du cours des événements à Dieu est par elle-même un bien absolu.

« Pareillement au ciel et sur la terre »

Cette association de notre désir à la volonté toute-puissante de Dieu doit s'étendre aux choses spirituelles. Nos ascensions et nos défaillances spirituelles et celles des êtres que nous aimons ont un rapport avec l'autre monde, mais sont aussi des événements qui se produisent ici-bas dans le temps. À ce titre ce sont des détails dans l'immense mer des événements, ballotés avec toute cette mer d'une manière conforme à la volonté de Dieu. Puisque nos défaillances passées se sont produites, nous devons désirer qu'elles se soient produites. Nous devons étendre ce désir à l'avenir pour le jour où il sera devenu du passé. C'est une correction nécessaire à la demande que le règne de Dieu arrive. Nous devons abandonner tous les désirs pour celui de la vie éternelle, mais nous devons désirer la vie éternelle elle-même avec renoncement. Il ne faut pas s'attacher même au détachement. L'attachement au salut est encore plus dangereux que les autres. Il faut penser à la vie éternelle comme on pense à l'eau quand on meurt de soif, et en même temps désirer pour soi et pour les êtres chers la privation éternelle de cette eau plutôt que d'en être comblé malgré la volonté de Dieu, si pareille chose était concevable.

Les trois demandes précédentes ont rapport aux trois Personnes de la Trinité, le Fils, l'Esprit et le Père, et aussi aux trois parties du temps, le présent, l'avenir et le passé. Les trois demandes qui suivent portent sur les trois parties du temps plus directement et dans un autre ordre, présent, passé, avenir.

« Notre pain, celui qui est surnaturel, donne-le-nous aujourd'hui »

Le Christ est notre pain. Nous ne pouvons le demander que pour maintenant. Car il est toujours là, à la porte de notre âme, qui veut entrer, mais il ne viole pas le consentement. Si nous consentons à ce qu'il entre, il entre; dès que nous ne voulons plus, aussitôt, il s'en va. Nous ne pouvons pas lier aujourd'hui notre volonté de demain, faire aujourd'hui un pacte avec lui pour que demain il soit en nous même malgré nous. Notre consentement à sa présence est la même chose que sa présence. Le consentement est un acte, il ne peut être qu'actuel. Il ne nous a pas été donné une volonté qui puisse s'appliquer à l'avenir. Tout ce qui n'est pas efficace dans notre volonté est imaginaire. La partie efficace de la volonté est efficace immédiatement, son efficacité n'est pas distincte d'elle-même. La partie efficace de la volonté n'est pas l'effort, qui est tendu vers l'avenir. C'est le consentement, le oui du mariage. Un oui prononcé dans l'instant, mais prononcé comme une parole éternelle, car c'est le consentement à l'union du Christ avec la partie éternelle de notre âme.

Il nous faut du pain. Nous sommes des êtres qui tirons continuellement notre énergie du dehors, car à mesure que nous la recevons nous l'épuisons dans nos efforts. Si notre énergie n'est pas quotidiennement renouvelée, nous devenons sans force et incapables de mouvement. En dehors de la nourriture proprement dite, au sens littéral du mot, tous les stimulants sont pour nous des sources d'énergie. L'argent, l'avancement, la considération, les décorations, la célébrité, le pouvoir, les êtres aimés, tout ce qui met en nous de la capacité d'agir est comme du pain. Si un de ces attachements pénètre assez profondément en nous, jusqu'aux racines vitales de notre existence charnelle, la privation peut nous briser et même nous faire mourir. On appelle cela mourir de chagrin. C'est comme mourir de faim. Tous ces objets d'attachement constituent, avec la nourriture propement dite, le pain d'ici-bas. Il dépend entièrement des circonstances de nous l'accorder ou de nous le refuser. Nous ne devons rien demander au sujet des circonstances, sinon qu'elles soient conformes à la volonté de Dieu. Nous ne devons pas demander le pain d'ici-bas.

Il est une énergie transcendante, dont la source est au ciel, qui coule en nous dès que nous le désirons. C'est vraiment une énergie ; elle exécute des actions par l'intermédiaure de notre âme et de notre corps.

Nous devons demander cette nourriture. Au moment que nous la demandons et par le fait même que nous la demandons, nous savons que Dieu veut nous la donner. Nous ne devons pas supporter de rester un seul jour sans elle. Car quand les énergies terrestres, soumises à la nécessité d'ici-bas, alimentent seules nos actes, nous ne pouvons faire et penser que le mal. « Dieu vit que les méfaits de l'homme se multipliaient sur la terre, et que le produit des pensées de son coeur était constamment, uniquement mauvais. » La nécessité qui nous contraint au mal gouverne tout en nous, sauf l'énergie d'en-haut au moment où elle entre en nous. Nous ne pouvons pas en faire des provisions.

« Et remets-nous nos dettes, de même que nous aussi nous avons remis à nos débiteurs »

Au moment de dire ces paroles, il faut déjà avoir remis toutes nos dettes. Ce n'est pas seulement la réparation des offenses que nous avons subies. C'est aussi la reconnaissance du bien que nous pensons avoir fait, et d'une manière tout à fait générale tout ce que nous attendons de la part des êtres et des choses, tout ce que nous croyons être notre dû, ce dont l'absence nous donnerait le sentiment d'avoir été frustrés. Ce sont tous les droits que nous croyons que le passé nous donne sur l'avenir. D'abord le droit à une certaint permanence. Quand nous avons eu la jouissance de quelque chose pendant longtemps, nous croyons que c'est à nous, et que le sort nous doit de nous en laisser encore jouir. Ensuite le droit à une compensation pour chaque effort, quelle que soitla nature de l'effort, travail, souffrance ou désir. Toutes les fois qu'un effort est sorti de nous et que l'équivalent de cet effort ne revient pas vers nous sous la forme d'un fruit visible, nous avons un sentiment de déséquilibre, de vide, qui nous fait croire que nous sommes volés. L'effort de subir une offense nous fait attendre le châtiment ou les excuses de l'offenseur, l'effort de faire du bien nous fait attendre la reconnaissance de l'obligé ; mais ce sont seulement des cas particuliers d'une loi univerdelle de notre âme. Toutes les fois que quelque chose est sorti de nous nous avons absolument besoin qu'au moins l'équivalent rentre en nous, et parce que nous en avons besoin nous croyons y avoir droit. Nos débiteurs, ce sont tous les êtres, toutes les choses, l'univers entier. Nous croyons avoir des créances sur toutes choses. Dans toutes les créances que nous croyons posséder, il s'agit toujours d'une créance imaginaire du passé sur l'avenir. C'est à elle qu'il faut renoncer.

Avoir remis à nos débiteurs, c'est avoir renoncé en bloc à tout le passé. Accepter que l'avenir soit encore vierge et intact, rigoureusement lié au passé par des liens que nous ignorons, mais tout à fait libre des liens que notre imagination croit lui imposer. Accepter la possibilité qu'il arrive et en particulier qu'il nous arrive n'importe quoi, et que le jour de demain fasse de toute notre vie passée une chose stérile et vaine.

En renonçant d'un coup à tous les fruits du passé sans exception, nous pouvons demander à Dieu que nos péchés passés ne portent pas dans notre âme leurs misérables fruits de mal et d'erreur. Tant que nous nous accrochons au passé, Dieu lui-même ne peut empêcher en nous cette horrible fructification. Nous ne pouvons pas nous attacher au passé sans nous attacher à nos crimes, car ce qui est le plus essentiellement mauvais en nous nous est inconnu.

La principale créance que nous croyons avoir sur l'univers, c'est la continuation de notre personnalité. Cette créance implique toutes les autres. L'instinct de conservation nous fait sentir cette continuation comme une nécessité, et nous croyons qu'une nécessité est un droit. Comme le mendiant qui disait à Talleyrand « Monseigneur, il faut que je vive » et à qui Talleyrand répondait « Je n'en vois pas la nécessité. » Notre personnalité dépend entièrement des circonstances extérieures, qui ont un pouvoir illimité pour l'écraser. Mais nous aimerions mieux mourir que de le reconnaître. L'équilibre du monde est pour nous un cours de circonstances tel que notre personnalité reste intacte et semble nous appartenir. Toutes les circonstances passées qui ont blessé notre personnalité nous semblent des ruptures d'équilibre qui doivent infailliblement un jour ou l'autre être compensées par des phénomènes en sens contraire. Nous vivons de l'attente de ces compensations. L'approche imminente de la mort est horrible surtout parce qu'elle nous force à savoir que ces compensations ne se produiront pas.

La remise des dettes, c'est le renoncement à sa propre personnalité. Renoncer à tout ce que j'appelle moi. Sans aucune exception. Savoir que dans ce que j'appelle moi il n'y a rien, aucun élément psychologique, que les circonstances ne puissent faire disparaître. Accepter cela. Être heureux qu'il en soit ainsi.

Les paroles « que ta volonté soit accomplie », si on les prononce de toute son âme, impliquent cette acceptation. C'est pourquoi on peut dire quelques moments plus tard : « Nous avons remis à nos débiteurs. »

La remise des dettes, c'est la pauvreté spirituelle, la nudité spirituelle, la mort. Si nous acceptons complètement la mort, nous pouvons demander à Dieu de nous faire revivre purs du mal qui est en nous. Car lui demander de remettre nos dettes, c'est lui demander d'effacer le mal qui est en nous. Le pardon, c'est la purification. Le mal qui est en nous et y reste, Dieu lui-même n'a pas le pouvoir de le pardonner. Dieu nous a remis nos dettes quand il nous a mis dans l'état de perfection.

Jusque-là Dieu nous remet nos dettes partiellement, dans la mesure où nous remettons à nos débiteurs.

« Et ne nous jette pas dans l'épreuve, mais protège-nous du mal »

La seule épreuve pour l'homme, c'est d'être abandonné à lui-même au contact du mal. Le néant de l'homme est alors expérimentalement vérifié. Bien que l'âme ait reçu le pain surnaturel au moment qu'elle l'a demandé, sa joie est mêlée de crainte parce qu'elle n'a pu le demander que pour le présent. L'avenir reste redoutable. Elle n'a pas le droit de demander du pain pour le lendemain, mais elle exprime sa crainte sous forme de supplication. Elle finit par là. Le mot « Père » a commencé la prière, le mot « mal » la termine. Il faut aller de la confiance à la crainte. Seule la confiance donne assez de force pour que la crainte ne soit pas une cause de chute. Après avoir contemplé le nom, le royaume et la volonté de Dieu, après avoir reçu le pain surnaturel et avoir été purifiée du mal, l'âme est prête pour la véritable humilité qui couronne toutes les vertus. L'humilité consiste à savoir que dans ce monde toute l'âme, non seulement ce qu'on appelle le moi, dans sa totalité, mais aussi la partie surnaturelle de l'âme qui est Dieu présent en elle, est soumise au temps et aux vicissitudes du changement. Il faut accepter absolument la possibilité que la partie surnaturelle de l'âme disparaisse. L'accepter comme événement qui ne se produirait que conformément à la volonté de Dieu. Le repousser comme étant quelque chose d'horrible. Il faut en avoir peur ; mais que la peur soit comme l'achèvement de la confiance.

Les six demandes se répondent deux à deux. Le pain transcendant est la même chose que le nom divin. C'est ce qui opère le contact de l'homme avec Dieu. Le règne de Dieu est la même chose que sa protection étendue sur nous contre le mal ; protéger est une fonction royale. La remise de nos dettes à nos débiteurs est la même chose que l'acceptation totale de la volonté de Dieu. La différence est que dans les trois premières demandes l'attention est tournée seulement vers Dieu. Dans les trois dernières, on ramène l'attention sur soi afin de se contraindre à faire de ces demandes un acte réel et non imaginaire.

Dans la première moitié de la prière, on commence par l'acceptation. Puis on se permet un désir. Puis on le corrige en revenant à l'acceptation. Dans la seconde moitié, l'ordre est changé ; on finit par l'expression du désir. C'est que le désir est devenu négatif ; il s'exprime comme une crainte ; par suite il correspond au plus haut degré d'humilité, ce qui convient pour terminer.

Cette prière contient toutes les demandes possibles ; on ne peut pas concevoir de prière qui n'y soit déjà enfermée. Elle est à la prière comme le Christ à l'humanité. Il est impossible de la prononcer une fois en portant à chaque mot la plénitude de l'attention, sans qu'un changement peut-être infinitésimal, mais réel s'opère dans l'âme.



Parole de Dieu, Église et sacrements

Voici le compte-rendu des enseignements donnés par le Père Armogathe lors du week-end de théologie à Foljuif les 3 et 4 février 2001. Il a été rédigé par Martin Dumont à partir des notes prises par Cécile Frolet.

I. L'originalité de l'Écriture :

La première question est de savoir si l'Écriture est la source de notre connaissance de Dieu, de la Révélation. La réponse des Pères de l'Église et des théologiens médiévaux est unanimement positive. A partir de la Réforme qui insiste sur le recours à la seule Écriture (scriptura sola), les catholiques se méfient de cette solution de l'unique source, et formulent plus précisément le fait que le Parole de Dieu, c'est l'Écriture et la Tradition, qui ne sont pas deux sources distinctes, ni même complémentaires. Les protestants eux-mêmes acceptent bientôt non la seule Écriture mais aussi les conciles des huit premiers siècles comme développement de cette Écriture dans le dogme, mais les théologiens catholiques insistent sur le thème de "l'Écriture reçue dans la Tradition". L'expression, courante au 19ème siècle des "deux sources de la Révélation" est cependant refusée par les Pères de Vatican II, tout comme elle avait été refusée par le concile de Trente.

En effet les deux sources sont communes : la Bible appartient à la Tradition et la Tradition est contenue dans la Bible, ce sont les deux aspects de l'unique Révélation. En effet l'exégèse montre que l'Écriture est déjà le fruit d'une tradition, elle est le récéptacle de traditions orales figées par écrit. Les enseignements de Jésus sont eux-mêmes parfois lecture d'un texte, comme lorsqu'il commente Isaïe à la synagogue1. Il s'agit ici d'une lecture mise en abyme, c'est la proclamation et la lecture d'une écriture et non d'une Parole de Dieu : "aujourd'hui s'accomplit à vos oreilles ce passage de l'Écriture", donc ce que dit le Christ, c'est ce qu'Isaïe a annoncé.

Pour les Pères déjà la Bible n'était pas seulement un livre mais une réalité vivante : "l'Esprit du Christ se trouve dans le Corps du Christ" disait saint Augustin2, et les réformateurs n'entendent pas "sola scriptura" comme seulement un texte, ils y voient aussi un tout. On parlera donc de Parole de Dieu plutôt que d'Écriture, car elle s'exprime dans un texte qui n'est pas qu'Écriture, elle est aussi parole donnée, promesse vécue dans une alliance.

La communication divine :

A. Les traditions non juives :

Il y a des grandes religions orientales où il n'y a pas de communication de Dieu aux hommes. En Islam le Coran, dicté par Dieu, est un texte incréé, c'est la lettre du texte qui est essentielle : on a une Écriture mais pas une Parole. Mais dans les religions "occidentales" il y de nombreux moyens de communication entre les dieux et les hommes, par exemple l'oracle de Delphes, medium qui peut rendre intelligibles les messages d'Apollon; il s'agit déjà d'un hieros logos, une parole sacrée. La communication peut aussi se passer de parole, être essentiellement écrite, comme dans la religion romaine où la divination est silencieuse, de même qu'à Delphes il n'y a pas que des oracles mais aussi des messages écrits sur des petits papiers, transcrits par les prêtres. Chez les Hébreux aussi la communication peut se faire par signes (baguettes, etc). Pythagore imposait une discipline de silence pendant de longs mois pour qu'une parole intérieure, celle du dieu, puisse se faire entendre.

B. L'originalité des prophètes hébreux :

La tradition des hébreux d'avoir des porte-paroles de Dieu, qui s'adressent directement au peuple par de longs discours et des gestes prophétiques est dans ce contexte une réelle originalité, d'autant que ces prophètes, d'origine très diverse, n'étaient pas des prêtres. Jean Bottéro3 voit l'originalité du monothéisme d'Israël dans le fait qu'il s'agit d'un Dieu qui parle, et pour dire "je suis le seul" (l'épisode du buisson ardent).

Israël a donc eu une succession d'hommes et de femmes que Dieu s'est donnés lui-même comme porte-parole.
1. Le premier d'entre eux est le prophète Amos4, au 8ème siècle, peu culivé. Amos a conscience de troubler les règles des corporations de prophètes institués5, il souligne que c'est la parole de Dieu qui est en sa bouche, et non sa propre parole. C'est la plus ancienne occurrence de Dieu intimant à quelqu'un d'aller parler en son nom.
2. Isaïe était aristocrate de Jérusalem, il a été institué prophète par Dieu lui-même6.
3. Jérémie, paysan-prêtre. Le Seigneur l'établit "prophète des nations" : "Alors Yahvé étendit la main et me toucha la bouche. Et Yahvé me dit : "voici que j'ai placé mes paroles en ta bouche"". (Jr 1,9) Le Seigneur est attentif à sa parole pour qu'elle s'accomplisse : c'est ce que montre la suite du texte avec le jeu de mots sur "amandier" qui signifie aussi "veilleur", "le premier debout", parce que c'est le premier arbre à fleurir : " la parole de Yahvé me fut adressée en ces termes : "Que vois-tu, Jérémie?" Je répondis : "je vois une branche de "veilleur"". Alors Yahvé me dit : "Tu as bien vu, car je veille sur ma parole pour l'accomplir" (Jr 1, 12).

Il y a donc une grande originalité des prophètes hébreux. Ils ne constituent pas une catégorie sociale, sont très différents dans leurs manières de prophétiser, leurs biographies, mais ils ont en commun d'être porteurs de la parole de Dieu : c'est la saisie par Dieu de la parole du prophète.

C. La Parole de Dieu dans l'Ancien Testament :

L'expression qu'on y trouve le plus souvent est celle de "parole du Seigneur". Elle peut prendre trois sens :
1. La parole de Dieu comme hypostase de la sagesse, la sophia des textes alexandrins. Les chrétiens ont longtemps insisté sur cette vision de la Parole commme hypostase de la divinité, pour la rapprocher du Logos de saint Jean. "justice et vérité marchent à côté de lui" : il y a des éons, créatures inférieures, indépendantes, caractéristiques de Dieu qui leur donne l'existence. Cette vision de la parole de Dieu comme un être en soi, indépendant, a donné naissance au mouvement piétiste juif, le mouvement hassidique. Cette autonomisation peut dégrader la parole en magie : la parole a une forme magique, on effectue des calculs numériques sur elle, on la porte comme un talisman...Il y a toute une série d'histoires concernant le Baalschemtof (?), maître hassidique de Varsovie au tournant du 19ème et du 20ème siècle, qui se fondent sur le pouvoir qu'ont les lettres de l'alphabet elles-mêmes, car créées par Dieu. Ainsi le Baalschemtof, vaincu par un démon dans un duel de magie se retrouve, amnésique et enchaîné nu, sur une île déserte avec un petit enfant pour seul compagnon. Quand celui-ci récite les lettres de l'alphabet, tous les pouvoirs du Baalschemtof lui reviennent progressivement, parce que ces lettres, créées par Dieu, ont un pouvoir propre.
2. La Parole de Dieu : le Dieu qui parle. Le Dieu qui parle est un Dieu créateur, c'est par sa parole qu'il crée ("Et Dieu dit : ..." dans la Genèse). "il parle et cela est, il commande et cela existe" (Ps 33, 9). La Parole de Dieu devient ce qu'elle dit, seul l'homme n'est pas créé que de la Parole de Dieu mais produit du labeur de Dieu et de son Esprit. Le Dieu qui parle est aussi Dieu de l'alliance, par laquelle il maintient le monde qu'il a créé; Dieu donne sa parole, l'engage et est lié par elle, il doit la tenir. On peut même lui rappeler la parole donnée, l'alliance contractée : "Souviens-toi de ce que tu as dit à nos pères", "la promesse faite à nos pères en faveur d'Abraham et de sa race à jamais" (Lc 1, 73)
3. La parole peut être la parole par excellence qu'est le nom de Dieu. Tout le discours prophétique est constitué des mille et une manières de paraphraser le nom imprononçable de Dieu qui est son identité même.

II. Écriture et Révélation : étude de la constitution DEI VERBUM du concile Vatican II :

A. Historique :

La constitution dogmatique de Vatican II est le texte le plus travaillé du concile, il a été étudié tout au long du concile et a été l'objet de polémiques très violentes. Pour le concile de Vatican I avait été préparé un schéma intitulé De fontibus revelationis; pour Vatican II on présente plusieurs textes concurrents, parce que le pluriel du schéma de Vatican I est inadéquat : on propose, entre autres, De revelatione Dei et hominis in Jesu facta (Karl Rahner, jésuite allemand), De traditione et scriptura (Yves Congar, dominicain français). Après des péripéties la rédaction est confiée à une comission restreinte présidée par Mgr Charue, suisse francophone élève du néo-thomiste Charles Journel (auteur de l'Église du verbe incarné).

Le meilleur commentaire sur DEI VERBUM est celui de Henri de Lubac, La révélation divine.

B. Le préambule :

"Dei verbum", c'est le nom du chevalier de l' Apocalypse7, qui porte la Parole de Dieu, c'est-à-dire le Christ. C'est le père de Lubac, un des rédacteurs, qui introduit que la Parole de Dieu, c'est le Christ, la Parole de Dieu est la Vie Eternelle, qui s'exprime par des faits et des mots (contre toute une tradition pour qui la Parole de Dieu c'est seulement les mots). La Révélation divine, c'est l'Incarnation, et non des textes, c'est pourquoi 1 Je 1, 2 est placée en exergue : "nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père et est venue près de nous". Il n'y a plus de distinction entre une "révélation naturelle", par des gestes (les prophètes) et une "révélation surnaturelle", par des mots (le Christ dans les Evangiles). En effet le Christ enseigne aussi par des actes : sa Résurrection est un enseignement en soi. C'est donc l'idée que la Révélation est indissociable du salut, elle n'est pas une connaissance : entendre que Dieu nous aime est porteur de salut. Dès Latran IV est présente l'expression "doctrina salutaris" : l'enseignement du Christ est enseignement de salut, le Christ montre la "via vitae" ("pour nous les hommes et pour notre salut..."). C'est ce que dit saint Jean en 1 Je 5, 11 : "Et voici ce témoignage : c'est que Dieu nous a donné la vie éternelle et que cette vie est dans son fils". Saint Thomas disait que l'objet de la foi, le contenu de la Révélation, est ce qui rend l'homme heureux. Dieu parle pour se révéler lui-même et nous faire connaître le salut, la Révélation n'est pas faite pour que nous nous connaissions mais pour que Dieu se fasse connaître. Ce que Dieu dit en Christ n'a pour norme ni le monde ni l'homme : les interprétations néo-kantiennes du christianisme qui feraient de la Révélation la condition transcendantale de la connaissance de l'homme par lui-même sont une amputation de la Révélation divine. La théologie chrétienne n'est pas une anthropologie, c'est l'inverse : Dieu fait homme nous fait comprendre notre condition, c'est la christologie qui porte une anthropologie; c'est le Christ, Dieu fait homme, qui dévoile l'homme à lui-même en lien avec le dévoilement de Dieu. C'est en répondant à l'appel de Dieu que "l'homme passe infiniment l'homme" (Pascal).

Suivent 6 chapitres :
-La Révélation elle-même
-La transmission de la Révélation divine
-L'inspiration divine et son interprétation divine
-L'Ancien Testament
-Le Nouveau Testament
-La Sainte Écriture dans la vie de l'Église

C. Chapitre 1 : La Révélation elle-même :

Le point de départ est cette fois la lettre de saint Paul aux Ephésiens : "Il plut à Dieu de se révéler lui-même et de faire connaître sa volonté" : la fin à laquelle tend la Révélation et le moyen utilisé pour y arriver sont confondus. Dieu, invisible, conduit l'humanité au salut par le Christ et se révèle à elle par le Christ. Le but est donc qu'il y ait "communion" entre l'homme et lui, "communio" des sacrements et "societas" des fidèles, Église, fondée par le dessein commun de Révélation et Salut de ceux qui sont associés pour créer au sein des hommes une société de salut : "convocatio" (ceux qui ont reçu ensemble l'appel de Dieu). L'homme veut connaître Dieu, mais ce n'est pas cette volonté qui fait que Dieu se fait connaître, l'initiative vient de Dieu.

"Dieu s'adresse aux hommes comme à des amis8, pour les inviter à la société avec lui et les recevoir", continue le texte. C'est le Christ qui est le médiateur, en lui se trouve l'unité de l'homme (voir la belle méditation christologique de l'encyclique Mit brennender Sorge : dans toute humanité blessée c'est le Christ qui est blessé, puisqu'il est la concentration de l'humanité). Il n'y a donc pas lieu de distinguer, comme le font par exemple Hegel et Herder, le texte de l'Evangile de son contenu, il n'y a pas un Evanglium Christi et un Evangelium de Christo. Ainsi au début de l'Evangile de Marc, "commencement de l'Evangile de Jésus-Christ fils de Dieu" (ce qui serait l'Evangelium Christi), c'est aussi "commencement de la bonne nouvelle : Jésus-Christ est fils de Dieu" (ce qui serait Evangelium de Christo). La distinction risque de dissoudre le christianisme, qui est "fondé sur le fait de la vie du Christ" (père Rousselet). Il est donc aussi impossible de tenter de réécrire une "Vie de Jésus" unifiée à partir des Evangiles : chacun retient, a retenu des aspects divers de la vie de Jésus selon ses capacités propres, ses attentes, etc, d'où l'importance que l'Evangile soit tétramorphe. Les chrétiens sont ceux qui croient que Jésus a vécu et vit encore. A la différence des autres religions révélées, dans la religion chrétienne c'est une personne qui est "le chemin, la vérité et la vie". Jésus est le seul maître qui se donne comme objet de la vérité. Donc le Christ est à la fois l'Exégète et l'Exégèse des Écritures. Nul n'a vu Dieu, mais le Fils unique qui est dans le sein du Père a été l'Exégète du Père invisible.

D. Chapitre 3 : L'inspiration divine et son interprétation :

2 Tm 3, 16 : "Toute Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, réfuter, redresser, former à la justice", et 2 P 1, 21 :"Ce n'est pas d'une volonté humaine qu'est jamais venue une prophétie, c'est poussés par l'Esprit Saint que des hommes ont parlé de la part de Dieu". L'idée que l'Écriture est inspirée existe donc très tôt, et son interprétation a toute une histoire.

Clément de Rome, dans une de ses lettres contemporaines des écrits les plus récents du Nouveau Testament dit : "Vous vous êtes plongés dans les écritures sacrées, ces vraies écritures données par l'Esprit Saint" (45, 2).

Saint Augustin est un des premiers à parler de "divina scriptura". Jamais la tradition hébraïque n'employerait une telle expression : la Torah n'est pas sacrée, seul l'est Yavhé. On est donc passé de la Parole de Dieu au concept de l'incarnation de cette parole dans l'Écriture, d'où la vénération des chrétiens pour l'Écriture (le lecteur baise le livre après la lecture, on encense la Bible) : ce qu'on peut toucher de Dieu c'est l'Écriture. Le terme de "Saintes Écritures" est donc un terme neuf, étonnant.

Le concept d'inspiration renvoie à la tradition platonicienne (le daïmon de Socrate) et à Philon d'Alexandrie, il est devenu important quand les communautés chrétiennes ont voulu constituer leur corpus, en distinguant notamment :
-les textes deutérocanoniques : livres de la Sagesse, de Tobie, d'Esther, des Maccabées (1 et 2), qui ne sont pas dans le canon des Écritures juives
-les apocryphes, pseudonymes : textes tardifs qu'on a voulu faire passer pour anciens (par exemple les Actes de Paul datent du 4ème-ème siècle) en les présentant sous le nom des Apôtres.
-les textes apostoliques non canoniques, vraiment chrétiens mais qui n'appartiennent pas au canon.
-l'épître aux Hébreux, dont Origène déjà savait qu'elle n'était pas de saint Paul : c'est un texte canonique anonyme.

Les gnostiques prétendaient avoir une connaissance particulière des Écritures. Ainsi Marcion voulait retirer du canon l'Ancien Testament et ce qui faisait allusion à lui dans le Nouveau. Irénée de Lyon, disciple de Polycarpe (lui-même disciple de saint Jean) écrit un livre contre la "gnose au nom menteur" (il y a en effet une vraie gnose, celle dont parle saint Jean, qui est la connaissance de la Parole de Dieu) : Contre les hérésies. Irénée emploie l'expression de "Dieu auteur des Écritures"; Grégoire le Grand dans ses Moralia in Job écrit : "par la foi, nous croyons que l'auteur du livre est l'Esprit Saint. C'est donc lui-même qui l'a écrit, lui qui l'a dicté : il l'a écrit lui-même, il a été l'inspirateur de l'oeuvre" (préface I, 2).

Cela devient à partir du 16ème siècle une théorie instrumentale, l'homme devient l'instrument auquel Dieu dicte sa Parole. Mais Pie XII, dans A divino afflente spiritu (1943) parle du scribe comme un "instrument de l'Esprit, mais instrument vivant et doué de raison". Mais en 1950 est reprécisé que ce n'est pas parce que l'écriture doit être étudiée comme un texte écrit par les savants qu'il faut oublier qu'elle est la Parole de Dieu.

Une autre facette de l'inspiration est le lien entre inspiration et genre littéraire (Claude Vigé, Bonnefoy).

III. Écriture et Église :

A. La fixation du canon :

Testament est un mot complexe. On trouve dans l'Ancien Testament de nombreux testaments ou discours d'adieu à l'heure de la mort (Isaac Gn 27, Jacob Gn 48 et 49, Moïse Dt 33, Josué Js 23 et 24, Samuel 1 Sm 12, David 1 R 2, Tobie Tb 14, Mattathias 1 M 2, 49-70, etc). En 2 Co 3, 14 on trouve sous la plume de saint Paul la plus ancienne occurrence du terme "Ancien Testament" ("Jusqu'à ce jour en effet lorsqu'on lit l'Ancien Testament ce même voile demeure. Il n'est point retiré : car c'est le Christ qui le fait disparaître").

Le terme de canon vient du grec kanon, issu de la racine sémitique qui désigne le roseau, la canne, comme unité de mesure (cf aussi le canon de Praxitèle comme fixation de mesures pour la sculpture). La mesure du Temple dans Ezechiel (Ez 40, 3sv) se fait au moyen d'un roseau, délimitant donc ce qui est à l'intérieur d'un certain périmètre. Au synode juif de Yavné, environ cent ans après, est fixé le canon juif. La fixation d'un canon peut être vu comme le "certificat de décès de la première littérature chrétienne".

L'histoire de cette fixation est assez obscure :
-On trouve dans un papyrus du 2ème siècle, découvert par l'érudit italien du 18ème siècle Muratori, une liste de 22 écrits
-La 39ème lettre pascale d'Atanase, de 367, constitue une deuxième étape.
-En 1546 seulement, au concile de Trente, un concile fixe de manière définitive le canon des Écritures.

Le problème qui se pose est celui des critères de canonicité des textes : qu'est-ce qui fait qu'un texte peut être dit "Parole de Dieu"?.

1. le critère de l'origine apostolique : Mais l'exégèse montre qu'il est difficile de prouver qui a écrit quoi, et il y a des textes apostoliques dont on connaît par ailleurs l'existence (comme sa lettre que Paul évoque en 2 Co 2, 3-9) et qu'on n'a jamais retrouvés.

2. les critères internes portant sur des données de fond. Mais ces critères sont très subjectifs, comme le montre la tentative gnostique de Marcion, qui avait pris comme critère la représentation de Dieu dans les Écritures ; Dieu étant celui de Jésus-Christ, il refuse tout ce qui est ou a trait à l'Ancien Testament. Luther choisit les textes qui renvoient à un mystère central christologique (la lettre de Jacques est donc refusée).

3. Peut-être le seul critère à prendre en compte est-il alors fonctionnel : cela renvoie au choix de l'Église et à l'usage que fait la communauté des croyants de ces textes (puisque ce sont avant tout des textes d'enseignement). Eusèbe de Césarée dans son Historia Ecclesiastica disait déjà de la deuxième épître de Pierre : "nous avons appris qu'elle n'est pas testamentaire, mais nous l'avons prise en considération parce qu'elle est utile à beaucoup". (3, 3, 1). Il appelle non testamentaires les livres non canoniques. Irénée n'avait pas de doute sur le fait que les Evangiles n'étaient qu'au nombre de quatre. Tertullien, au 2ème siècle affine le vocabulaire théologique en parlant de "novus et veterum testamentum", ce qui ne désigne pas seulement les Testaments comme des discours d'adieux, mais des traités d'alliance (l'ancienne et la nouvelle alliance).

B. La lecture des textes, c'est le problème de l'herméneutique biblique :

La crise est ouverte par saint Paul vis-à-vis de la Torah, dont il dit qu'elle est mal lue, comme à travers un "voile", par les juifs ; il faut donc une herméneutique (de hermeneuein, interpréter), un mode de lecture apporté par le Christ pour lire la Torah en vérité. La mise en place de cette herméneutique se fait en différentes étapes :

1. Très vite, dès la lettre de Barnabé, entre les 1er et 2ème siècles, se mettent en place des interprétations allégoriques.

2. Le dialogue de Justin et Tryphon tente de faire une interprétation christologique des Écritures. Justin, converti au christianisme après une longue quête philosophique dont la conversion est pour lui l'aboutissement et qui sera martyr en 165, dialogue avec Tryphon, un rabbin. Contre Marcion et ceux qui méprisent l'ancienne loi, il veut permettre aux chrétiens de s'approprier toutes les Écritures en montrant que la Torah est christologique, parle du Christ, présent dès la Création et auprès d'Israël.

3. Irénée avec son Contre les hérésies écrit un traité d'herméneutique pour lutter contre les gnostiques. Pour lui chaque phrase de l'Écriture doit être comprise non seulement dans son contexte immédiat mais aussi dans celui de toute la Bible, qui doit elle-même être comprise dans la tradition de la "regula fidei" transmise par les évêques.

4. Saint Augustin (De doctrina christiana l. I et II) établit la distinction entre res et signum (signifiant/signifié); entre signum proprium et improprium (métaphore/allégorie). Le sens littéral est celui voulu par l'Esprit Saint, mais l'Ancien Testament a aussi un sens spirituel pour les chrétiens. Ainsi il y a d'autres sens que le sens littéral pour la Genèse. Certes celui-ci est le premier, mais il faut nécessairement en poser d'autres (De Genesia in litteram).

5. Cette théorie est systématisée au XIIIème siècle avec la théorie des 4 sens de l'Écriture (cf de Lubac, L'exégèse médiévale ou les quatre sens de l'Écriture) : le sens historique, l'allégorique, le moral (le choix à faire en fonction d'un moment précis), l'anagogique (sens final vers lequel il faut tendre) : littera gesta docet (le littéral apprend l'histoire), quid credas allegoria (l'allégorie, ce qu'il faut croire), moralis, quid agas (le moral, comment agir), quo tendas anagogia (l'anagogie, ce à quoi il faut tendre).

6. Avec la Réforme, on assiste à un retour massif au sens littéral (scriptura sola), et les catholiques font de même pour échapper à la critique littérale. Le problème Galilée provient de ce ciseau : d'un côté le discours scientifique cherche à devenir un discours des origines, interprétatif, qui n'est plus seulement description mais étiologie, recherche des causes, et de l'autre un rétrécissement du discours exégétique sur le sens littéral.

7. Au 19ème siècle Lamenais et d'autres appellent à une nouvelle lecture. Mais intervient une nouvelle crise avec le modernisme, et l'exégèse se resserre à nouveau sur un seul discours, le discours scientifique positiviste. Le modernisme provoque un sursaut scientifique de l'Église, pour battre les modernistes sur leur terrain, mais l'encyclique de Pie XII a libéré de ce scientisme, et de Lubac montre que l'interprétation littéraliste n'en est qu'une parmi d'autre valides.

8. Au 20ème, Karl Rahner a mis l'accent sur le caractère communautaire des Écritures, qui sont envoyées à une communauté (ex les lettres de Paul) et sont aussi destinées à la fonder. L'Écriture ne répond pas seulement à un usage individuel, mais aussi à un usage liturgique, la Parole de Dieu est ce qui rassemble l'ekklesia (terme qui désigne le peuple au désert se rassemblant pour écouter la Parole). L'Eucharistie est, elle aussi, Parole de Dieu. L'Église a toujours beaucoup attaché d'importance à ce que la Parole soit lue en public, proclamée, annoncée (et pas seulement parce qu'à certaines époques peu de gens savaient lire!) ; ainsi le terme de "lecteur" désigne un des grades de l'ordre dans l'Église.

C. Parole de Dieu et Corps du Christ :

Dans Corpus mysticum, de Lubac dessine les rapports entre Corpus mysticum (l'Église) et Corpus Christi, l'Eucharistie : c'est à la fois l'Eucharistie qui fait l'Église, la constitue, et l'Église qui fait l'Eucharistie : il n'y a pas d'Eucharistie hors de l'Église. La Parole de Dieu tient ensemble les membres de l'Église pour en faire un corps, et nourrit aussi ce corps de l'intérieur. Il n'y a pas de rassemblement sans la Parole de Dieu (lue et proclamée). La proclamation en public de la Parole est au coeur de tout sacrement. En effet la Parole est toujours dès l'origine une parole destinée à une communauté, une parole qui fait société. Mais chaque lecture de l'Écriture m'est adressée personnellement, et elle est toujours nouvelle car c'est l'Écriture elle-même qui renouvelle mon oreille. L'Écriture ravive la présence divine posée en moi par les sacrements.

D. Écriture et sacrements :

(Ce paragraphe s'appuie sur l'article de M. Figura, "la sacramentalité de la Parole de Dieu", Communio XXVI, I, janv.-fév. 2001)

L'église chrétienne est "le rassemblement de tous les croyants auprès desquels l'Evangile est prêché dans sa pureté et les saints sacrements sont offerts conformément à l'Evangile" dit la Confession d'Augsbourg (chap. 7). Parole et sacrement sont donc ordonnés dans une unité de tension, tant chez les catholiques que chez les protestants : il n'y a pas d'un côté une liturgie de la Parole, protestante, et de l'autre une liturgie des sacrements, catholique. Les théories linguistiques formées pour comprendre le rôle performatif du langage dans les célébrations, le fait que la forme de la célébration est notamment due aux formules qu'on y prononce, toute une théologie de la liturgie, ont abouti au concept d'une unité périchorétique entre parole et sacrement : une unité où aucun n'est premier par rapport à l'autre, mais il y a priorité de l'un sur l'autre à chaque instant.

Par rapport aux sacrements, l'Église distingue l'opus operatum (sacrement qui fonctionne par soi, quelle que soit la qualité du ministre) et l'opus operantis, sacrement où la qualité du ministre joue un rôle. Dans le sacrement ex opere operato , le célébrant n'a qu'à faire ce veut l'Église, même s'il n'a plus la foi. Cependant d'autres activités ne peuvent être que ex opere operantis, par exemple la prédication. Le sacrement a son efficace de la forme (la formule) et de la matière (par ex l'eau pour le baptême). Il y a une deuxième distinction, qui recoupe la première, entre la validité d'un sacrement (ex opere operato) et sa licéité (ex opere operantis). Le premier aspect du sacrement souligne qu'il n'appartient pas au ministre mais au Christ, les sacrements sont ceux du Christ, mais le deuxième aspect c'est que l'Église a été instituée pour recevoir les sacrements. Il y a donc toujours une tension entre l'urgence de pouvoir donner les sacrements aux fidèles et l'obligation de contrôler que ce sont bien les sacrements du Christ que l'on donne.

Le sacrement certes a une dimension sensible et corporelle que n'a pas la Parole; la prédication s'adresse à l'entendement et le sacrement au corps même. Néanmoins il y a présence de l'Écriture Sainte dans tout sacrement, qui n'est pas qu'un acte mécanique : la proclamation de la Parole de Dieu vivante est au coeur du sacrement.



De Cracovie à Czestochowa





Martin Dumont



Rompant le traditionnel cycle des pélés talas (Compostelle, Assise, Terre Sainte et Rome), la situation en Terre Sainte risquant de nous obliger à tronquer le pèlerinage prévu1, les talas sont partis au mois d'août en Pologne, sous la férule de Damien, éminent spécialiste des rapports de l'Église et du Parti communiste après 1945 en Pologne2 depuis une année passée à Varsovie. Munis d'un si bon guide, toutes les portes de la Pologne se sont ouvertes à nos yeux émerveillés, d'abord à Cracovie durant une semaine chargée en visites (le château de Wawel, la vieille ville de Cracovie, les mines de sel de la Wielicka, etc), puis à pied sur les routes de Cracovie à Czestochowa en compagnie de mille deux cents étudiants venus de toute la Pologne. Le monastère de Jasna Gora, à Czestochowa, haut lieu de la nation polonaise et de sa résistance spirituelle, draine vers lui chaque année des milliers de Polonais venus se recueillir devant l'icône de la Vierge Noire; nous avons mis nos pieds dans leurs traces durant une semaine de prière et de chants.

Après une semaine un peu "touriste", qui nous avait cependant déjà plongés dans la vie polonaise, nos rudimentaires connaissances en polonais firent un bond (mesuré, néanmoins...) lors du pélerinage lui-même, qui nous a vraiment permis de prendre la mesure de la vitalité de la foi chrétienne en Pologne, et d'en repartir raffermis et grandis. Le premier choc eut en réalité lieu à Cracovie même, quand, suite à des problèmes d'horaires du père Armogathe, qui finissait de son côté son deuxième roman de science-fiction à une terrasse ombragée en sirotant une salutaire et ambrée Okocim, nous avons assisté à une messe de semaine à l'église des Dominicains de Cracovie. Deuxième messe du mardi soir dans une des nombreuses églises de Cracovie, avant une troisième une heure plus tard : difficile pourtant de trouver une place assise! Nous avons tout de suite été guéris de nos clichés de petits Européens de l'Ouest sur la prétendue religiosité purement sociologique et rituelle des Églises d'Europe de l'Est, et vu que nous aurions beaucoup à apprendre, pour la vie de nos propres communautés, de la ferveur polonaise. Cette foi nous fut immédiatement perceptible malgré la barrière de la langue par la beauté de la liturgie. Tous nous sortîmes avec l'impression d'avoir profondément communié dans cette célébration; l'étrangeté de la langue nous avait au contraire conduits au coeur de la messe, puisque chacun nous devions en faire la transposition mentale dans les structures que nous connaissions, guidés par la beauté des chants et la ferveur de l'assistance, attentifs désormais à d'infimes détails particulièrement perçus et dont la portée nous avait jusque là échappé... Voilà qui promettait le meilleur pour la semaine de marche!

À l'heure des comptes les piqûres de moustiques, innombrables comme les succès d'Ulm aux inter-Ens, la pluie et la fatigue ne comptent plus rien face à la richesse des rencontres avec les étudiants polonais. Le pèlerinage, organisé à la manière du pèlerinage étudiant de Chartres3 nous faisait marcher par groupes d'une centaine. Le nôtre, "international", regroupait des polonais parlant français ou anglais et une dizaine de hongrois. Y sont nées des amitiés solides auxquelles nous espérons bien pouvoir donner d'une manière ou d'une autre des prolongements. Sur la route l'accueil était impressionnant, avec des habitants groupés au bord de la route qui nous saluaient, donnaient qui de l'eau, qui des pommes, etc. À chaque étape les plus chanceux étaient logés également chez l'habitant, occasion là encore de s'émerveiller du soutien apporté par les polonais à ce pèlerinage étudiant, et de la gentillesse de leur accueil.

Nous eûmes bien sûr à coeur de nous illustrer par un tempérament rebelle aux services d'ordre, quittant parfois le bruit des hauts-parleurs le temps de nous retrouver en queue de peloton pour un partage d'Évangile, dire les offices4, chanter. Mais nous fûmes bientôt intégrés à la vie du groupe par les traductions d'enseignements polonais que faisait Damien, les enseignements du père Armogathe (en anglais!) ou l'animation des chants, qui permit à certains de faire briller leur voix de crooner. Après une mémorable interprétation des "Champs Élysées" de Joe Dassin pendant une veillée festive nous étions définitivement adoptés.

Il est impossible de résumer les innombrables discussions, des échanges sur nos études aux plus hautes sphères théologiques, que nous eûmes entre nous et avec les Polonais, et encore plus pour moi de donner un aperçu exhaustif de ce que tous ont vécu différemment, mais il est certain que ces deux semaines d'amitié dans la prière, la découverte d'un pays et de sa beauté, nous ont tous donné, chacun à sa manière, une nouvelle envie d' « avance[r] au large »5 dans notre vie de chrétiens!

M.D.




L'école du Seigneur: Calvin et l'amour de la Création

La théologie calvinienne est réputée austère, voire désespérante: on ne veut souvent y voir qu'un développement laborieux de la fameuse doctrine de la prédestination, que Calvin n'a pourtant nullement été le premier à exposer. S'il est vrai que ce réformateur éprouvait un infini respect de la majesté et de la puissance du Seigneur et insistait sur ce point peut-être davantage que d'autres théologiens, il n'en débordait pas moins d'amour pour ce Dieu assurément lointain mais qui se laisse connaître par ses oeuvres merveilleuses. C'est ce que montre cette prédication fondée sur le livre de Job, plus spécifiquement sur les chapitres 32 à 41, où Élihou essaie, par son discours, de ramener Job dans l'adoration du Seigneur avant que Dieu lui-même ne s'adresse au malheureux pour lui révéler sa gloire. Sans doute un tel passage, où se trouve exprimée avec force toute la distance qui sépare le pécheur de son Père, ne pouvait qu'impressionner vivement Jean Calvin, qui nous apparaît ici comme un prédicateur sensible, amoureux de la Création et soucieux d'y trouver comme une leçon du Seigneur à l'intention de chacun d'entre nous.

Nous voyons que Dieu a si bien disposé le monde que rien plus. Voilà une sagesse admirable, nous y devons être ravis: il y a une vertu infinie en ce que Dieu maintient, et conserve ce qu'il a fait, et que le tout est soutenu en son état. Car il semble bien que ce soit chose impossible.

Voilà donc comme nous devons adorer Dieu en sa puissance. Il y a aussi sa bonté. Car pourquoi a-t-il fait le monde? Pourquoi l'a-t-il rempli de tant de richesse? Pourquoi l'a-t-il ainsi orné? N'est-ce pas pour déclarer son amour envers les hommes, et même sa miséricorde? Comme il est dit aux Psaumes, qu'elle s'étend jusqu'aux bêtes brutes. Et que sera-ce donc de nous, qui lui sommes beaucoup plus prochains, et où il a mis plus de noblesse sans comparaison? Voilà donc la bonté de Dieu qui se montre et déclare: nous voyons sa justice, comme il veille sur ses créatures, qu'il a le soin de nous: et cependant nous voyons ausi d'autre côté ses jugements, nous voyons qu'il gouverne le monde d'une façon si admirable, qu'encore que les méchants ne cherchent qu'à y mordre, si faut-il qu'ils demeurent là confus. Apprenons donc de mieux appliquer notre étude à contempler les oeuvres de Dieu; quand le soleil luit, sachons que Dieu allume cette clarté-là, afin qu'en contemplant et le ciel, et la terre, et toutes choses qui y sont contenues, nous soyons conduits à lui, que nous lui fassions hommage des biens qu'il nous élargit, que rien ne nous empêche qu'ils soient bien notés et marqués de nous. Voilà Dieu qui veut que nous comprenions quel il est, non pas que nous puissions venir jusqu'au bout de cette sagesse (car c'est un abîme trop profond), mais tant y a que selon notre mesure il nous faut être diligents, et mettre peine que nous soyons bons écoliers de Dieu.

Jean Calvin, 46ième sermon sur le livre de Job




Le poème suivant, selon qu'on le lit verticalement ou horizontalement, n'a pas le même sens...

J'abjure maintenant

Rome avec sa croyance

Calvin entièrement

j'ai en grande révérence

J'ai en très grand mépris

la messe et tous les saints

Et en exécration

du pape la puissance

De Calvin la leçon

reçois en diligence

Et ceux qui la confessent

sont heureux à jamais

Tous damnés me paraissent

le pape et ses sujets

Oui Calvin et Luther

je veux aimer sans cesse

Brûleront en enfer

ceux qui suivent la messe.








1
Luc, 11, 1
2
in Histoire d'une âme, chap. 11.
3
Sermon 1. La traduction qui suit est celle de Jarczyk et Labarrière.
4
Matthieu, 6, 8.
5
Matthieu, 7, 7.
6
Matthieu, 7, 8.
7
Luc, 11, 13.
8
Épître aux Romains, 8, 26-27.
9
Actes des Apôtres, 4, 32.
10
Matthieu, 6, 6.
1
«Dans 5 heures, je verrai Jésus», coll. Lumière, série Témoins de la Lumière, Le Sarment-Fayard, 1989.
2
p. 96
3
p. 102
4
p. 33
5
p.104, lettre du Père Thomas, conseiller spirituel de Jacques, citée dans le journal.
6
p. 143
7
p. 80
8
Jn 6, 39
9
1 Tm 2,3
10
p.123
11
Mt 7, 21
12
Lc 6, 47
13
p. 77
14
p. 82
15
p. 183
16
Mt 12, 50
17
Jn 9, 31
18
p. 229
19
p.232
1
Ep 3,18.
1
Cette lettre citée par le père J.-M. Perrin constitue l'«autobiographie spirituelle» de Simone Weil. En voici un passage: « Depuis lors [sa découverte du Pater] je me suis imposé pour unique pratique de le réciter une fois chaque matin avec une attention absolue. Si pendant la récitation mon attention s'égare ou s'endort, fût-ce d'une manière infinitésimale, je recommence jusqu'à ce que j'aie obtenu une foi une attention absolument pure. Il m'arrive alors parfois de recommencer une fois encore par pur plaisir, mais je ne le fais que si le désir me pousse.(...)Parfois les premiers mots déjà arrachent ma pensée à mon corps et la transportent en un lieu hors de l'espace d'où il n'y a ni perspective ni point de vue. L'espace s'ouvre. L'infinité de l'espace ordinaire de la perception est remplacée par une infinité à la deuxième ou quelque fois troisième puissance. En même temps cette infinité s'emplit de part en part de silence, un silence qui n'est pas l'absence de son, qui est l'objet d'une sensation positive, plus positive que celle d'un son. Les bruits, s'il y en a, ne me parviennent qu'après avoir traversé ce silence.»
1
Lc 4, 16-30 : "On lui remit le livre du prophète Isaïe et, déroulant le livre, il trouva le passage où il était écrit : ....".
2
Tractatus 27 in Johannem, Patrologie Latine (P. L.) 35, 1618.
3
Ancien dominicain, enseignant à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, auteur notamment de La naissance des Dieux.
4
Am 7, 14-15 : "Je ne suis pas prophète, je ne suis pas fils de prophète; je suis bouvier et pinceur de sycomores. Mais Yavhé m'a pris de derrière le troupeau et Yahvé m'a dit : "Va, prophétise à mon peuple Israël"".
5
Ces corporation sont évoquées en 2 R 2, 3 : "les frères prophètes résidant à Béthel sortirent à la rencontre d'Elisée".
6
Is 6, 5-10 : "Malheur à moi, je suis perdu! car je suis un homme aux lèvres impures [...) L'un des séraphins vola vers moi, tenant dans sa main une braise qu'il avait prise avec des pinces sur l'autel. Il m'en toucha la bouche et me dit : "voici, ceci a touché tes lèvres, ta faute est effacée, ton péché pardonné". Alors j'entendis la voix du Seigneur qui disait : "Qui enverrai-je? Qui ira pour nous?" Et je dis: "Me voici, envoie-moi"".
7
Ap 19, 11-13 : "Alors je vis le ciel ouvert, et voici un cheval blanc; celui qui le monte s'appelle "fidèle" et "vrai", il juge et fait la guerre avec justice. Ses yeux? une flamme ardente; sur sa tête plusieurs diadèmes; inscrit sur lui, un nom qu'il est seul à connaître; le manteau qui l'enveloppe est trempé de sang; et son nom ? le Verbe de Dieu."
8
cf. Ex 33, 11 "Yahvé parlait à Moïse face à face, comme un homme parle à son ami", et Je 15, 14-15 "Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître, mais je vous appelle amis, parce que tout ce que j'ai entendu de mon Père, je vous l'ai fait connaître."
1
Le pélerinage en Terre Sainte n'est que partie remise, n'est-ce pas?
2
Maîtrise bien sûr consultable à la bibliothèque des lettres, pour ceux qui veulent en savoir plus.
3
Le pélé de Chartres a lieu tous les ans au printemps. À bon entendeur...
4
On peut dire les Laudes tous les jours de la semaine à Paris en cave tala à 8h00...
5
Lc, 5, 4.
  1. 1Nouveau testament - Traduction Oecuménique de la Bible, Éditions du Cerf - Les Bergers et les Mages, Paris : 1980, pp. 57

2Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/YHWH

  1. 3Nouveau testament - Traduction Oecuménique de la Bible, Éditions du Cerf - Les Bergers et les Mages, Paris : 1980, pp. 58

4Merci à l'équipe de Bible Time (http://www.bibletime.info/) et à son outil d'étude biblique, qui ne tourne malheureusement que sous KDE, un environnement de Gnome-Linux.

5http://www.eglise-armenienne.com/Spiritualite/Notre_Pere.htm

6voir http://hrodland.free.fr/cris_et_ecrits/jesus-dit-001.html

7Évangile de Thomas, phrase 113, Jean-Yves Leloup, 1986, collection « Spiritualités vivantes » Albin Michel

8http://www.eglise-armenienne.com/Spiritualite/Notre_Pere.htm

  1. 9Collectif et Evêques des Pays-Bas, Le Cathéchisme Hollandais, Une introduction à la foi catholique, Idoc France, Paris : 2ème trimestre 1968, p.165

  1. 10Nouveau testament - Traduction Oecuménique de la Bible, Editions du Cerf - Les Bergers et les Mages, Paris : 1980, pp. 57-58

  1. 11Nouveau testament - Traduction Oecuménique de la Bible, Editions du Cerf - Les Bergers et les Mages, Paris : 1980, p. 232

12http://www.eglise-armenienne.com/Spiritualite/Notre_Pere.htm