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C'est du moins le texte qui nous a été transmis par les premiers disciples, les premières communautés de croyants, au travers des filtres du temps, de la transmission orale, des pertes liées aux traductions successives de l'araméen au grec, puis au latin. Et aussi au travers des modifications apportées par les Pères des églises -sa forme actuelle n'a-t-elle pas été arrêtée au 4ème siècle- au fil des prises de pouvoir, des besoins politiques du moment, et ce jusqu'à sa mise en forme œcuménique provisoirement définitive de 1966, si œcuménique que certains s'en sont déjà retirés. D'aucuns s'étonnent que cette prière, LA prière selon les églises nombreuses qui font référence à la vie de Jésus, soit profondément juive. On nous dit qu'elle « s'apparente, pour le contenu aussi bien que pour la forme, aux prières juives et en particulier à la « prière des Dix-huit Demandes » que les Juifs récitent encore aujourd'hui »1, la Amidha. Quoi d'étonnant en cela ? Jésus n'était-il pas Juif ? Ses premiers disciples ne priaient-ils pas dans les synagogues, en bons Juifs qu'ils étaient ? N'est-ce pas pour les exclure qu'a été inventée la 19ème demande, dite prière des Minim (les « apostats », ceux qui ont abandonné leur religion) ? Que nous reste-t-il de l'original araméen ? Bien d'autres choses pourraient nous étonner. Ainsi, dans l'évangile de Matthieu, ce texte est précédé d'indications précises sur comment prier. Entre autres, il est préconisé de ne pas rabâcher à l'image des païens qui « pensent que c'est à force de paroles qu'ils seront exaucés ». Curieuse introduction à un texte formalisé, appelé à être repris en toutes occasions. Au travers de cette introduction, il m'apparaît que Le Notre Père n'est qu'un exemple, qu'une proposition. Il s'inscrit dans une tradition de prière qu'il ne condamne pas, il corrige la façon de prier, et peut-être aussi le rôle qui a été assigné à la prière. Et c'est bien ce qui justifie les différences existantes dans les évangiles de Matthieu et de Luc. Notre Père, donc, dans la version de votre choix. Espérons que, au moins en esprit, nous y retrouvons bien la proposition de Jésus. |
Père, Notre Père céleste, Notre Père qui es aux cieux.NotreLuc retire, d'entrée de jeu, tout risque d'appropriation introduite par le Notre de Matthieu. Ce Notre n'est pas signe de propriété privée, n'est pas signe d'appartenance à une quelconque famille, une quelconque église. Ce Notre doit être pris dans son sens universel. Il signe notre appartenance commune à tout ce qui fait notre univers, la création dans son ensemble. Il à même valeur que lorsque nous parlons de nos propres parents. Père qui es aux cieuxLa prière s'adresse au Père, le créateur, YHWH, « Je suis celui qui suis », « Je suis qui je serai »2. « L'expression "qui es aux cieux" ne veut pas localiser le Père ; elle correspond à une tournure sémitique qui affirme simultanément que Dieu domine la terre entière (dans les cieux) et que Dieu, par son amour paternel, tout près des hommes (Notre Père) »3 « N'appelez personne sur la terre votre "Père" : car vous n'en avez qu'un seul, le Père céleste. » (Mat 23, 9) « Est-ce l'éternel que vous en rendrez responsable, Peuple insensé et dépourvu de sagesse? N'est-il pas ton père, ton créateur? N'est-ce pas lui qui t'a formé, et qui t'a affermi ? » (Dt 32, 6)4 L'adresse en elle-même n'est pas indispensable, puisque celui à qui l'on s'adresse est réputé connaître ce dont nous avons besoin. Mais, pauvres humains que nous sommes, nous avons besoin de nommer celui à qui nous faisons notre demande. C'est, pour nous, une entrée en matière qui autorise l'expression même. C'est aussi une façon d'attirer l'attention de la personne à qui nous nous adressons. |
Fais-toi
reconnaître comme Dieu,
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Fais venir ton règne, Que ton règne vienne« Les disciples lui disaient : Le Royaume, quand viendra-t-il ? Jésus répondit : Ce n'est pas en guettant qu'on le verra venir. On ne dira pas : Voici qu'il est là, ou il est ici. Le Royaume du Père est répandu sur toute la terre et les hommes ne le voient pas. »7
Le règne de Dieu, inauguré par le Christ, est encore rejeté de par le monde ; nous demandons qu'il soit bientôt manifesté et définitivement reconnu sur toute la terre. Tous ceux qui ont entr'aperçu le royaume de Dieu savent combien ce règne est l'avènement tant attendu… 8
Et nous sommes là, dans l'attente que le Paradis vienne à nous. Royaume ou République ? Et qui est Roi ? Vous ? Pas moi, en tous cas ! Ce règne n'est que Service, au service du plus petit d'entre nous. Mais de celui-ci, s'agît-il seulement d'un homme ? |
Fais
se réaliser ta volonté sur la terre à
l'image du
ciel,
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Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour.22
Jésus dit ensuite à ses disciples: C'est pourquoi
je
vous dis: Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que
vous
mangerez, ni pour votre corps de quoi vous serez vêtus.
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Pardonnes-nous
nos péchés, car nous-mêmes nous
pardonnons à
tous ceux qui ont des torts envers nous,
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Et
ne nous expose pas à la tentation,
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Notre Père, selon Matthieu 6, 9-15Vous donc, priez ainsi : « Notre Père céleste, fais toi connaître comme Dieu, fais venir ton règne, fais se réaliser ta volonté sur la terre à l'image du ciel. Donnes-nous aujourd'hui le pain dont nous avons besoin, pardonne nous nos torts envers toi, comme nous-mêmes nous avons pardonné à ceux qui avaient des torts envers nous, et ne nous expose pas à la tentation, mais délivre nous du Tentateur. »
En effet si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera à vous aussi ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos fautes.10
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Notre Père, selon Luc 11, 2-4Il leur dit : quand vous priez, dîtes : « Père, Fais-toi reconnaître comme Dieu, Fais venir ton règne, Donnes-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour, Pardonnes-nous nos péchés, car nous-mêmes nous pardonnons à tous ceux qui ont des torts envers nous, Et ne nous expose pas à la tentation. »11
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Le Notre Père des catholiques et des protestantsNotre Père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour. Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du mal.
Car c'est à toi qu'appartiennent le règne, la puissance et la gloire,pour les siècles des siècles ! Amen.9
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Le Notre Père selon l'église apostolique d'ArménieNotre Père qui es au cieux, Que ton nom soit sanctifié, Que ton royaume vienne Que ta volonté soit sur terre comme au ciel Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien Remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs Ne nous laisse pas entrer en tentation, Mais délivre-nous du malin. Car à toi sont le royaume, la puissance et la gloire. Amen.12
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Notre Père qui es au cieux,
Que ton nom soit sanctifié,
Que ton royaume vienne
Que ta volonté soit sur terre comme au ciel
Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien
Remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs
Ne nous laisse pas entrer en tentation,
Mais délivre-nous du malin.
Car à toi sont le royaume, la puissance et la gloire.
Amen.12
(d'après le site http://bibel.lu/spip.php?article692)
Luc 11,1-13
Contexte
Le chapitre 11 poursuit le thème de la formation des disciples par Jésus. Luc rassemble dans ces versets plusieurs enseignements de Jésus sur la prière, une parabole qui invite à persévérer dans la demande, une exhortation à la confiance envers le Père des cieux.
Un jour, quelque part, Jésus était en prière.
La prière de Jésus a été mentionnée à plusieurs reprises au cours de cet évangile. Lors du baptême (3,21), avant le choix des disciples (6,12), après la multiplication des pains (9,18), avant la transfiguration (9,28) et ici avant la transmission du "Pater". Luc tient à montrer que Jésus enseigne aux disciples sa propre prière.
Quand il eut terminé, un de ses disciples lui demanda : « Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean Baptiste l’a appris à ses disciples. »
Au chapitre 5,33 les pharisiens avaient fait remarquer à Jésus que les disciples de Jean priaient et jeûnaient beaucoup alors que les disciples de Jésus, eux, mangeaient et buvaient comme tout le monde. Ici un disciple de Jésus demande à son maître de lui apprendre à prier comme Jean l’apprend à ses disciples, - implicitement , de lui enseigner la prière qui caractérise le groupe des disciples de Jésus.
Il leur répondit : « Quand vous priez, dites :
La prière des disciples de Jésus s’apparente aux prières juives et en particulier à la prière "des Dix-huit Demandes" que les juifs récitent encore aujourd’hui. Elle sen distingue par la grande simplicité avec laquelle Dieu est invoqué. L’ordre des demandes est lui aussi caractéristique de l’enseignement de Jésus : d’abord la demande répétée à Dieu pour Dieu-même - toute préoccupation de triomphe politique ou religieux se trouve exclue - ensuite les requêtes exprimant les besoins essentiels des disciples. Cette prière est transmise par Matthieu et par Luc sous deux formes différentes. La version de Luc est plus brève : 5 demandes au lieu de 7. Quelle est la forme la plus ancienne ? On l’ignore mais on relève de part et d’autre des indices d’adaptation à l’usage de communautés de milieu différents. [1]
Père,
l’invocation est simple. Luc omet la précision apportée par Matthieu : Notre Père (qui es aux cieux). Il accentue ainsi le fait que Jésus apprend à ses disciples à prier avec ses propres mots de Fils. (10,21 et en 22,42, 23,34.46).
que ton nom soit sanctifié,
c’est une demande classique dans le judaïsme. Le nom désigne l’être d’une personne, or Dieu dans l’A.T. est celui qu’on ne peut nommer parce que nommer quelqu’un revient à le connaître, et Dieu transcende toute connaissance que l’on peut avoir de lui. Le nom de Dieu est donc sanctifié : adoré dans le culte et manifesté dans la vie grâce à la pratique des commandements. Lorsque la prière présente demande à Dieu d’agir pour que soit sanctifié son Nom, elle lui demande de se manifester comme Père.
que ton règne vienne,
le Règne est déjà arrivé (10,11) mais reste à accomplir dans la sanctification du Nom.
Donne-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour.
A la différence de Matthieu qui demande le pain d’aujourd’hui, Luc le demande pour chaque jour, pour toute la vie engagée à la suite du Christ. Que le besoin du pain soit toujours référé à celui qui seul peut y subvenir, le Père "qui sait ce dont vous avez besoin"(12,30) [2]
Pardonne-nous nos péchés,car nous-mêmes nous pardonnons à tous ceux qui ont des torts envers nous.
Selon l’enseignement de Jésus, nos devoirs envers Dieu sont indissociables des devoirs envers nos frères, aussi la demande de pardon que nous adressons à Dieu doit-elle être fondée sur notre propre disposition à pardonner. Tandis que Matthieu situe ce pardon fraternel à l’instant qui précède la prière, Luc l’étend à toute la durée de la vie chrétienne.
Et ne nous expose pas à la tentation, littéralement ne nous introduis pas dans la tentation,
Luc omet la finale de Matthieu délivre de nous du Tentateur, mais attribue lui aussi la tentation à Satan (4,2.13, 8,12-13,) et non pas à Dieu. Mais parce que Dieu est souverain et que Satan ne peut s’opposer à lui à égal, le disciple prie Dieu non pas de lui épargner l’épreuve mais de veiller à ce qu’elle ne soit pas au-dessus de ses forces.
Jésus leur dit encore,
la parabole suivante est propre à Luc et met en lumière l’aspect de demande de la prière précédente et la persévérance qu’elle requiert parfois.
Supposons que l’un de vous ait un ami et aille le trouver en pleine nuit pour lui demander : ’Mon ami, prête-moi trois pains : un de mes amis arrive de voyage, et je n’ai rien à lui offrir.’
Trois fois le terme d’amis - l’insistance n’est pas sans lien avec la pointe de la parabole. Il s’agit donc de trois personnages, le demandeur est lié aux deux autres, il supplie l’un pour subvenir aux besoins de l’autre. Sa demande : du pain, rappelle la prière de Jésus : Donne-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour.
Et si, de l’intérieur, l’autre lui répond : ’Ne viens pas me tourmenter ! Maintenant, la porte est fermée ; mes enfants et moi, nous sommes couchés. Je ne puis pas me lever pour te donner du pain’,
Le refus est clair et la demande n’affecte pas l’ami confortablement installé à l’intérieur, derrière la porte fermée, sa famille et lui couchés ; il ne veut pas être tourmenté et ne veux pas se déranger.
moi, je vous l’affirme : même s’il ne se lève pas pour les donner par amitié, il se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami, et il lui donnera tout ce qu’il lui faut.
Jésus part de ce refus d’agir par amitié pour conclure qu’un autre motif conduira à exaucer la prière du demandeur de pain et qui est liée à l’audace de sa démarche effrontée.
Eh bien, moi, je vous dis : Demandez, vous obtiendrez ; cherchez, vous trouverez ; frappez, la porte vous sera ouverte. Celui qui demande reçoit ; celui qui cherche trouve ; et pour celui qui frappe, la porte s’ouvre.
Ces paroles, insérées à la jointure des deux paraboles, articulent la demande tenace de l’homme et la générosité infinie du don de Dieu. Demander, chercher, frapper à la porte, trois expressions pour caractériser la prière, à chacune d’elle répond l’action de Dieu au passif, comme si dans le fait de demander était déjà reçu le don, dans la démarche de chercher, la certitude de trouver ce que l’on cherche et dans l’initiative de frapper à la porte, l’ouverture de celle-ci. Ce que vient illustrer la parabole suivante
Quel père parmi vous donnerait un serpent à son fils qui lui demande un poisson ? ou un scorpion, quand il demande un oeuf ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père céleste donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! »
Des liens d’amitié on passe à ceux d’un père avec son fils. La parabole joue sur la ressemblance entre le serpent et le poisson, le scorpion et l’oeuf. Quel père tromperait son enfant en jouant d’un faux-semblant qui envenimerait non seulement sa confiance mais aussi son existence ? A fortiori le Père du ciel qui est bon, ne va-t-il pas décevoir la confiance de ses enfants, il exauce leur demande en leur donnant l’Esprit Saint, l’inimaginable don caché dans chacune de leur prière dès lors qu’ils se tournent vers Dieu pour lui dire Père.
"L’évangile de Luc", Hugues Cousin
[1] Mt 6,9, v, note TOB
[2] c, note TOB
(d'après le site de http://www.eglise-armenienne.com/Spiritualite/Notre_Pere.htm)
Le
Notre Père a
été enseigné par le Christ
lui-même à ses disciples, comme étant
la prière devant être adressée
à Dieu le Père, ce qui en fait la
prière par excellence du chrétien.
Jésus en prononça les paroles alors qu'il mettait
en garde contre l'hypocrisie et le rabâchage dans la
prière : " Et quand vous priez, ne soyez pas comme
les hypocrites qui aiment faire leurs prières debout dans
les synagogues et les carrefours, afin d'être vus des hommes.
En vérité, je vous le déclare : ils
ont reçu leur récompense. Pour toi, quand tu veux
prier, entre dans ta chambre la plus retirée,
vérrouille ta porte et adresse ta prière
à ton Père qui est là dans le secret.
Et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. Quand
vous priez, ne rabâchez pas comme les païens ; ils
s'imaginent que c'est à force de paroles qu'ils se feront
exaucer. Ne leur ressemblez donc pas, car votre Père sait ce
dont vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez. Vous donc,
priez ainsi : Notre Père..." (Mt 6, 7-9). |
C'est pourquoi je vous déclare : Tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l'avez reçu et cela vous sera accordé. Et quand vous êtes debout en prière, si vous avez quelque chose contre quelqu'un, pardonnez, pour que votre Père qui est aux cieux vous pardonne aussi vos fautes.4
Mais si vous ne pardonnez pas, votre Père céleste ne vous pardonnera pas non plus vos fautes.(ce verset n'est pas attesté par tous les témoins, à rapprocher de Mt 6, 15)5
"113. Les disciples lui disaient : Le Royaume, quand viendra-t-il ?Jésus répondit : Ce n'est pas en guettant qu'on le verra venir.On ne dira pas : Voici qu'il est là, ou il est ici.Le Royaume du Père est répandu sur toute la terreet les hommes ne le voient pas."6
Il était un jour, quelque part, en prière. Quand il eut fini, un de ses disciples lui dit : " Seigneur, aprends-nous à prier, comme Jean l'a appris à ses disciples. " (Luc 11, 1)" Gardez-vous de pratiquer votre religion devant les hommes pour attirer leurs regards ; sinon, pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux. Quand donc tu fais l'aumône, ne le fais pas claironner devant toi, comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues, en vue de la gloire qui vient des hommes. En vérité, je vous le déclare: ils ont reçu leur récompense. Pour toi, quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites qui aiment faire leurs prières debout dans les synagogues et les carrefours afin d'être vus des hommes. En vérité, je vous le déclare : ils ont reçu leur récompense. Pour toi, quand tu veux prier, entre dans ta chambre la plus retirée, verrouille ta porte et adresse ta prière à ton Père qui est là dans le secret. Et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens ; ils s'imaginent que c'est à force de paroles qu'ils se feront exaucer. Ne leur ressemblez donc pas, car votre Père sait ce dont vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez." (Matthieu 6, 1-8)Ainsi, pas de balancement d'horloger, pas de génuflexion, de courbettes, tourné vers le lieu de son choix. Prier, oui, mais dans le secret de sa chambre, à l'insu de tous. C'est une affaire entre le Père et moi.
" Observations sur la traduction de quelques phrases [modifier]Nos offenses [modifier]Le texte latin, correspondant à la majorité des manuscrits grecs, dit littéralement « Remets-nous nos dettes ». Le texte liturgique français, inspiré d'autres manuscrits grecs, dit « Pardonne-nous nos offenses ». Dans d'autres langues, comme l'anglais, on a aussi choisi de s'écarter du texte latin.Ne nous soumets pas à la tentation [modifier]La traduction de cette formule est un sujet de débat au sein de l'Église catholique[3]. Les orthodoxes ont tranché récemment et renoncé en 2004 à la traduction œcuménique[2]L'idée que Dieu pourrait vouloir tenter une personne pour la faire pécher parait critiquable à certains théologiens[4].Ainsi, certains pensent que la phrase veut dire « Ne nous abandonne pas lors du grand jugement ». Jusque dans les années 1970, la traduction catholique (non officielle) en était « ne nous laissez pas succomber à la tentation ». Cependant, le verbe employé dans le texte original grec, ??????????, de ????????, n'a pas cette connotation. Il signifie bien « introduire, amener dans ». De même, dans le texte latin, inducare in, signifie aussi bien faire entrer (dans quelque chose) que entraîner à (quelque chose).En conséquence, les orthodoxes francophones se sont prononcés pour l'emploi de la formule « Ne nous laisse pas entrer dans l'épreuve »La tentation fait partie du plan de Dieu pour les justes, d'après les écritures. « Dieu les a mis à l'épreuve et il les a trouvés dignes de lui ; comme l'or au creuset, il les a éprouvés, comme un parfait holocauste, il les a agréés » (Sagesse, 3) Même Jésus, puisqu'il était parfaitement humain, a été tenté en toutes choses comme nous le sommes, mais sans jamais pécher (He 4:15). « Aucune tentation ne vous est survenue qui n'ait été humaine, et Dieu, qui est fidèle, ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces : mais avec la tentation il préparera aussi le moyen d'en sortir, afin que vous puissiez la supporter » (1Co 10:13).Pour le chrétien convaincu, ce qui pose problème dans ce passage n'est donc pas tellement l'épreuve envoyée par Dieu, mais au contraire l'idée de demander à Dieu de ne pas conduire son fidèle quelque part : si Dieu l'y conduit, n'est-ce pas bon pour lui? Le psaume 22 se fait l'écho de cette certitude : « Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien. Sur des prés d'herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre ; j'habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours. »La première clef du passage est que la « tentation » n'est pas nécessairement la « convoitise » (au sens commun) ou même l'épreuve, mais au sens étymologique, tout ce qui nous retient: « teneo, tenere, tentum », c'est la même racine que « tenir », « rétention ». La convoitise est certainement une épreuve, et l'épreuve peut conduire à une tentation-rétention, mais de deux manières. Celui qui n'a pas résisté à l'épreuve se trouve bloqué par son échec; mais aussi, plus subtilement, celui qui craint l'épreuve se trouve bloqué par sa propre peur. Dans les deux cas, il faut retrouver les moyens d'avancer.La deuxième clef du passage est que pour le chrétien, même si Dieu l'accompagne comme un berger fidèle, l'Homme est Libre: il est maître de son destin. Et quand l'Homme mène sa barque, avec ses moyens limités, il lui arrive de se bloquer lui-même. Pour s'en sortir, il prie Dieu de le guider : le Berger intervient sur les brebis bloquées par les ronces.Ce que les chrétiens demandent ici à Dieu, c'est - dans ce cas - de ne pas les laisser s'enfoncer (inducare) dans leur propre enfermement (tentationem), mais de leur donner les moyens de s'en sortir. Cette demande est prolongée par celle du dernier verset, « délivre-nous du Mal ». Le « mal » dans l'absolu n'est pas telle ou telle interdiction, mais d'une manière générale tout ce qui éloigne de Dieu. Ici, de même, le chrétien demande d'être délivré de ce qui le retient d'aller vers Dieu.Dans la Bible traduite par André Chouraqui[5], traduite directement des textes orignaux dans un style volontairement sémitisant, on peut se faire une autre idée des versets de Luc:2. Il leur dit: « Quand vous priez, dites: Père, ton nom se consacre; ton règne vient. 3. Donne-nous chaque jour notre part de pain ! 4. Remets-nous nos fautes, puisque nous aussi nous les avons remises à tous nos débiteurs. Et ne nous fais pas pénétrer dans l'épreuve ! »Et celui de Matthieu: 9. Vous donc, priez ainsi: ‹ Notre père des ciels, ton nom se consacre, 10. ton royaume vient, ton vouloir se fait, comme aux ciels sur la terre aussi. 11. Donne-nous aujourd'hui notre part de pain. 12. Remets-nous nos dettes, puisque nous les remettons à nos débiteurs. 13. Ne nous fais pas pénétrer dans l'épreuve, mais délivre-nous du criminel. ›"7
" Prière donnée par Jésus, origine, versions [modifier]Selon le Nouveau Testament, Jésus Christ a donné cette prière en réponse à une question des apôtres sur la façon de prier : Jésus leur a répondu « Quand vous priez, dites : "Notre Père…" ». Les évangiles de Matthieu (6: 9-13) et Luc (11: 2-4) citent ainsi cette prière, avec quelques différences selon les manuscrits.Le début du Notre Père a des similarités avec le Kaddish juif (prière de sanctification du nom de Dieu), puis il s'en écarte et devient une prière origiale sans exemple dans l'Ancien Testament.La version française du texte a été adoptée en 1966 par l'Eglise catholique romaine et le Conseil œcuménique des Églises pour l'espace francophone.Il subsiste cependant d'autres versions française. Les plus connues sont celles employées par les catholiques dans leur prières personnelles entre le XVIIe siècle et 1970 qui emploient le vouvoiement[1], mais aussi la traduction orthodoxe qui date de 2004"8
Que Dieu existe ou n'existe pas,que je crois en Dieu ou que je n'y crois pas,cela ne change rien !Ne pas croire, n'empèche pas l'existance de Dieu. Croire n'implique pas l'existance de Dieu. Tout au plus, le fait de croire donne une raison à ma propre existance.
A rapprocher de la parabole sur les oiseaux
On peut pardonner en esprit, sans que ce pardon ne résiste à l'épreuve des faits.Pourtant, je lui avais bien pardonné. Certes, on n'oublie pas les souffrances subies. J'ai pu cependant affirmer lui avoir pardonné. Et il a fallu que je le rencontre, j'avais alors 31 ans. Je ne l'avais pas revu depuis qu'il avait quitté la maison, j'avais dix ans. Je m'étais préparé à cette rencontre, j'avais rêvé ce que nous nous dirions. Le corps n'a pas suivi. Lorsque je l'ai vu, c'est de colère qu'il s'est agit.
4Nouveau Testament 164 - Marc 11, 24-25
5Nouveau Testament 164 - Marc 11, 26
6Evangile de Thomas -
7Wikipédia
8Wikipédia
Collectif. Evangile de Thomas.
Collectif. Nouveau testament - Traduction Oecuménique de la Bible. Ed. Editions du Cerf - Les Bergers et les Mages, Paris: 1980.
Collectif et Evêques des Pays-Bas, Une introduction à la foi catholique. Ed. Idoc - France, Paris: 2ème trimestre 1968.
Wikipédia. «Prière donnée par Jésus, origine, versions», 19 mars 2007. http://fr.wikipedia.org/wiki/Notre_Père.
# |
Traduction française |
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1 |
Yitgaddal vèyitqaddash sh'meh rabba |
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2 |
dans le monde qu'Il a créé selon Sa volonté |
Bè'alma di vèrah khir'outeh |
|
3 |
et puisse-t-Il établir Son royaume |
vèyamlikh malkhouteh |
|
4 |
veytzmakh pourqaneh viqarev meshi'heh |
||
5 |
de votre vivant et de vos jours |
be'hayekhon ouv'yomekhon |
|
6 |
et [des jours] de toute la Maison d'Israël |
ouv'hayei dekhol bet Israël |
|
7 |
promptement et dans un temps proche; et dites Amen.a |
bè'agala ouvizman qariv ve'imrou amen |
בַעֲגָלָא וּבִזְמַן קָרִיב. וְאִמְרוּ אָמֵן |
Les deux lignes suivantes sont répondues par l'assemblée des fidèles, avant d'être reprises par l'officiant : |
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8 |
Puisse Son grand Nom être béni |
yèhè sh'meh rabba mevarakh |
|
9 |
à jamais et dans tous les temps des mondes. |
le'alam oulèal'mè 'almayya |
|
10 |
Béni et loué et glorifié et exalté, |
Yitbarakh vèyishtabba'h vèyitpa'ar vèyitromam |
|
11 |
et élevé et vénéré et élevé et loué |
vèyitnasse vèyithaddar vèyit'alè vèyit'hallal |
|
12 |
soit le Nom du Saint (Transcendant), béni soit-Il.a |
sh'meh dèQoudsha, berikh hou. |
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13 |
au dessus (et au-dessusc) de toutes les bénédictions |
l'eëlla (ouleëlla mikol) min kol birkhata |
|
14 |
et cantiques, et louanges et consolations |
vèshirata tushbe'hata vènèkhèmata |
|
15 |
qui sont dites dans le monde; et dites Amen.a |
da'amiran bèal'ma ve'imrou amen |
דַאֲמִירָן בְעָלְמָא. וְאִמְרוּ אָמֵן |
Le 'Hatzi Kaddish finit ici. |
|||
16 |
eQue soient reçues (acceptées) les prières et supplications |
Titqabbal tz'lotèhone ouva'out'hone |
|
17 |
de toute la Maison d'Israël |
dekhol bet Israël |
|
18 |
devant leur Père qui Est au ciel, et dites Amen.a |
qodam avouhon divishmayya, vè'imrou amen |
קֳדָם אֲבוּהוֹן דִי בִשְמַיָא וְאִמְרוּ אָמֵן |
Le Kaddish des Rabbanim inclut: |
|||
19 |
Pour Israël et ses rabbanim et leurs étudiants (disciples) |
'al Israël vè'al rabbanane vè'al talmidehone |
|
20 |
et tous les étudiants de leurs étudiants |
vè'al kol talmideï talmidèhone |
|
21 |
et tous ceux qui s'affairent dans la Torah |
vè'al kol maan di'os'kine bi'orayta |
|
22 |
ici et en tout autre lieu |
di bè'atra hadein vèdi bèkhol atar vè'atar |
|
23 |
que soit [instaurée] sur eux et vous une paix abondante, |
yèhè lèhone oul'khone sh'lama rabba |
|
24 |
la faveur et la grâce et la miséricorde et une vie longue |
'hinna vè'hisda vè'ra'hameï vè'hayyeï arikheï |
|
25 |
une large subsistance et le salut |
um'zoneï rèvi'heï oufourqana |
|
26 |
de la part de leur Père aux cieux [et sur terre]; |
min qodam avouhon di'vishmayya [vè'ar'a] |
|
27 |
et dites Amen.a |
vè'imrou amen |
וְאִמְרוּ אָמֵן |
Toutes les variantes, sauf le 'Hatzi Kaddish concluent par les lignes suivantes: |
|||
28 |
eQu'il y ait une grande paix venant du Ciel, |
Yehe sh'lama rabba min shemayya |
|
29 |
[ainsi qu']une [bonne] vie |
[vè]'hayyim [tovim] |
|
30 |
et la satiété, et la salvation, et le réconfort, et la sauvegarde |
vèsava viyshou'a vènè'hama vèshèzava |
|
31 |
et la guérison, et la rédemption et le pardon et l'expiation |
ourefou'a ougue'oulla ousli'ha vekhappara |
|
32 |
et le soulagement et la délivranced |
vèrèva'h vèhatsala |
|
33 |
lanou oulèkhol 'amo Israël vè'imrou amen |
||
34 |
'Osse shalom bimeromav |
||
35 |
l'établisse [dans Sa miséricorde] parmi nous |
hou [bèra'hamav] ya'asse shalom 'alenou |
|
36 |
et sur tout [son peuple] Israël, et dites Amen.a |
vè'al kol ['amo] Israël, vè'imrou amen |
וְעַל כָּל [עַמּוֹ] יִשְרָאֵל וְאִמְרוּ אָמֵן. |
Dans le Kaddish deIt'haddata, les lignes 2 et 3 sont remplacées par ce qui suit:
# |
Traduction française |
||
---|---|---|---|
37 |
dans le monde qui sera renouvelé |
Be'alma dèhou 'atid lè'it'haddata |
|
38 |
et [où] Il ressucitera les morts |
oul'a'haya metaya |
|
39 |
et les élèvera à la vie éternelle |
oul'assaqa yathone lè'hayyey 'alma |
|
40 |
et rebâtira la ville de Jérusalem |
oulèmivnè qarta diYroushlem |
|
41 |
et rétablira Son temple en son enceinte |
oulèshakhlala heikh'leh bègavvah |
|
42 |
et retirera les cultes (idolâtres) étrangers de la terre |
oulmè'qar poul'hana noukhra'a mèar'a |
|
43 |
et le service céleste reprendra |
oulaatava poul'hana dishmayya li'atreh |
|
44 |
et le Saint, béni soit-Il, régnera |
vèyamlikh qoudsha bèrikh hou |
|
45 |
dans Sa royauté et Sa splendeur... |
b'malkhuteh viqareh |
בְּמַלְכוּתֵהּ וִיקָרֵהּ |
Le texte entre crochets varie selon la tradition personnelle ou communautaire.
(b) Cerains prononceront la ligne 1 Yitgaddel veyitqaddesh plutôt que Yitgaddal veyitqaddash : cette tournure est hébraïque, et non araméenne.
(c) Le texte entre parenthèses à la ligne 13 est substitué durant les jours redoutables.
(e) Lors du "kaddish complet", certains incluent:
Avant la ligne 16, "accepte notre prière avec merci (miséricorde) et faveur"
Avant la ligne 28, "Puisse le Nom de Dieu être béni, maintenant et à jamais" (Ps. 113:2)
Avant la ligne 34, "Mon aide vient de Dieu, créateur des cieux et de la terre" (Ps. 121:2)
« Ne
rabâchez-pas... »
Pour l'homme de foi, la prière est une question de vie ou de mort : sans elle, la foi ne peut que s'essouffler. Notre vie de prière puise à la fois dans un jaillissement de mots venus des profondeurs de l'âme, et dans toutes ces prières que nous « récitons » seuls ou à plusieurs. Le Notre Père est assurément la plus importante de toutes, celle qui n'a pas été inventée par des hommes, mais donnée directement par le Christ à ses disciples. C'est la prière par excellence des chrétiens, celle que nous apprenons le plus souvent en premier dans notre enfance et que nous récitons ensuite le plus fréquemment.
Mais nous sommes peut-être parfois tellement habitués à dire le Notre Père qu'à force de le répéter nous risquons de ne plus le réciter que du bout des lèvres, de « râbacher » au lieu de prier. Combien de fois avons-nous récité le Notre Père un peu distraitement, sans y penser? Réfléchir au Notre Père pris dans sa totalité, ou verset par verset, peut donc nous aider à en redécouvrir le sens, pour que la récitation « par coeur » monte véritablement de nos coeurs, et que, tout en étant la prière de la communauté des chrétiens, elle nourrisse la foi de chacun.
Bonne lecture!
Arnaud Basson,
Laurence Bur, Jérôme Moreau, Marie Walckenaer
« Notre pain, celui qui est surnaturel, donne-le-nous aujourd'hui »
« Et remets-nous nos dettes, de même que nous aussi nous avons remis à nos débiteurs »
« Et ne nous jette pas dans l'épreuve, mais protège-nous du mal »
Laurence Bur
« Seigneur,
apprends-nous à
prier1 »
: c'est en réponse à cette demande (dans
l'Évangile
de Luc) que le Christ enseigne à ses disciples la
prière
du Notre Père. Elle vient donc répondre
à un
constat d'incapacité à prier. La demande que les
disciples adressent à Jésus est bien plus
profonde que
s'ils lui disaient par exemple : « qu'est-ce que la
prière? ». Telle qu'elle est
formulée, leur
demande laisse penser que l'on ne peut savoir ce qu'est la
prière
qu'en priant. « Dieu fait le don de la
prière à
celui qui prie », dit Saint Jean Climaque. La seule
définition de la prière serait alors tautologique
: il
faut prier pour savoir ce qu'est la prière.
Reste qu'en
enseignant ce que nous appelons le Pater à ses disciples, le
Christ ne leur apprend pas seulement une prière
particulière,
mais bien ce qu'est la prière véritable. Si le
Notre
Père est la prière par excellence des
chrétiens,
à la fois récitée en commun lors des
offices,
mais aussi priée personnellement dans le silence, c'est
précisément parce qu'elle est comme la source de
toute
autre prière. C'est bien ce que suggère Sainte
Thérèse
de Lisieux lorsqu'elle parle ainsi de son expérience de la
prière : « Quelquefois, lorsque mon
esprit est dans
une si grande sécheresse qu'il m'est impossible d'en tirer
une
pensée pour m'unir au Bon Dieu, je récite
très
lentement un Notre Père et puis la salutation
angélique,
alors ces prières me ravissent, elles nourrissent mon
âme.2 »
Le Notre Père n'est pas pris ici comme une prière
trop
bien connue, rabâchée, qui est
récitée les
yeux fermés, mais bien comme ce qui vient nourrir la
prière
plus personnelle lorsqu'elle s'essouffle. En quoi le Notre
Père
est-il ainsi la source d'où coule toute autre
prière?
En quoi apprenons-nous à prier en priant le Notre
Père?
La demande fait-elle partie de la prière ? Que peut-on demander? Telles sont les questions que, dans un tout autre contexte certes, se pose à sa manière Socrate, lorsque dans son dialogue avec le religieux Euthyphron, il essaie de démontrer à ce dernier que la piété ne consiste pas à adresser des demandes aux dieux en échange des louanges qui leur sont rendues. Apparaît donc l'intuition fondamentale que les actes de piété, parmi lesquels la prière, ne peuvent pas être (du moins pas seulement) des demandes, des « prières » au sens courant (prier quelqu'un de faire ceci ou cela, dit-on). C'est précisément l'idée que reprend Maître Eckhart lorsqu'il donne dans l'un de ses sermons allemands son interprétation de l'épisode évangélique des marchands dans le temple, chassés par Jésus3. Maître Eckhart montre que ces marchands que le Christ jette hors du temple sont peut-être en vérité nous-mêmes.
« Voyez, ce sont tous des marchands, ceux qui se préservent de péchés grossiers et seraient volontiers des gens de bien et font leurs bonnes oeuvres pour honorer Dieu, comme jeûner, veiller, prier, et quoi que ce soit ; [ces bonnes oeuvres], ils les font cependant pour que Notre Seigneur leur donnne quelque chose en retour, ou pour que Dieu leur fasse en retour quelque chose qui leur soit agréable : ce sont tous des marchands. Ils veulent donner une chose pour une autre, et veulent ainsi commercer avec Notre Seigneur. »
Il ne s'agit pas de prier Dieu pour en
tirer
quelque chose, mais bien parce qu'il est Dieu et
pour nulle
autre raison. Cela pourrait donc revenir à dire que,
finalement, si dans ma prière je demande quoi que ce soit
à
Dieu, les marchands sont toujours dans le temple, et je suis l'un
d'eux. C'est d'une certaine façon en ce sens que l'on peut
comprendre la parole suivante du Christ : « Votre
Père
sait ce qu'il vous faut avant que vous le lui demandiez.4 »
Reste qu'on ne saurait en conclure radicalement que prière
et
demande s'excluent, puisque le Christ dit aussi :
« Demandez
et l'on vous donnera5 »,
ou encore : « Quiconque demande reçoit6 »,
et que, surtout, le Notre Père est lui-même
composé
de demandes (cinq chez Luc et sept chez Matthieu). Ces demandes du
Notre Père nous apprennent ce que doit être la
demande
adressée à Dieu pour qu'elle soit une vraie
prière.
Les demandes du Notre Père ne sont pas des demandes pour
moi,
elles ne visent pas à satisfaire mes
intérêts
personnels, mais plutôt à me rapprocher de Dieu.
La
demande est ordonnée au salut : il ne s'agit d'adresser des
demandes à Dieu que dans la mesure où ces
demandes
visent à notre salut. Et inversement, toute demande est
susceptible de figurer dans notre prière pour autant qu'elle
ne risque pas, en étant exaucée, de nous
éloigner
de Dieu. La demande n'a donc sa place dans la prière, et
n'est
prière, que si elle est un acte de conversion,
c'est-à-dire
de conversion du regard : il s'agit de demander non pas en fonction
de notre regard sur nous-mêmes, de notre vision humaine du
bien, mais en fonction du regard que Dieu porte sur nous et qui nous
appelle à devenir ses Fils. Telle est donc la condition pour
que la demande relève d'une prière et non pas
d'un
commerce avec Dieu.
C'est dire du même coup que nous ne
pouvons pas compter que sur nous-mêmes dans la
prière,
car il est difficile de savoir ce qui dans nos demandes peut
être
contraire à la volonté de Dieu, obstacle
à notre
salut. Apparaît ainsi un autre trait de la prière,
sur
lequel insiste Saint Paul, à savoir que toute
prière
est en vérité prière de l'Esprit Saint
en nous.
Ce n'est pas une fois pour toutes que les disciples ont demandé au Christ de leur apprendre à prier ; c'est à chaque fois que nous prions, et en particulier dans l'épreuve de la foi, que nous sommes susceptibles d'adresser cette prière à Dieu. Nous commençons très souvent notre prière par une invocation à l'Esprit Saint pour que naisse en nous l'esprit de prière, nécessaire pour que nous sachions adresser les vraies demandes à Dieu. Et peut-être que finalement la plus importante des demandes, celle qui rend possible toutes les autres, est celle qui consiste à demander à Dieu l'Esprit Saint. Après avoir dit aux disciples : « Demandez et l'on vous donnera », c'est précisément la demande de l'Esprit Saint et nulle autre que le Christ évoque : « Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l'Esprit Saint à ceux qui l'en prient.7 » L'Esprit Saint n'intervient donc pas seulement au début de la prière, mais il donne le souffle qui portera toute la prière. La prière est donc toujours la prière de l'Esprit Saint en nous, car par nous-mêmes nous ne savons pas prier. Voilà ce que dit admirablement Saint Paul dans l'Epître aux Romains :
«Pareillement, l'Esprit vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons que demander pour prier comme il faut ; mais l'Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables, et celui qui sonde les coeurs sait quel est le désir de l'Esprit et que son intercession pour les saints correspond aux vues de Dieu.8 »
Toute prière doit donc commencer par un aveu : par nous-mêmes, nous sommes incapables de prier. Toute prière commence par un appel à l'Esprit Saint, est portée par le souffle de l'Esprit Saint, est entièrement prière de l'Esprit Saint en nous. Ainsi seulement la prière en commun de plusieurs croyants réunis prend-elle tout son sens. Si la prière n'était qu'un dialogue personnel de l'âme avec Dieu, la prière en commun serait dépourvue de sens. L'union de prière est possible précisément parce que la prière est d'abord prière de l'Esprit en chacun de nous. Lorsque nous prions, nous ne sommes pour ainsi dire jamais seuls, même dans la prière que nous faisons quotidiennement dans le secret de notre « vie privée ». La prière, aussi personnelle soit-elle, se fait toujours en communion par l'Esprit avec les autres chrétiens. Or, il semble que c'est là précisément une des choses que nous apprend le Notre Père sur la prière en général.
Nous disons le Notre Père aussi bien en commun que lorsque nous sommes seuls. C'est bien sûr le cas d'autres prières, mais le Notre Père a ceci de particulier que nous le récitons à la première personne du pluriel, que nous soyons seuls ou avec un groupe de croyants. Le premier mot du Notre Père mérite que l'on s'y arrête : que nous disions Notre Père, montre d'emblée que nous nous inscrivons dans une communauté, dans l'Église. Le Notre Père est ainsi par excellence la prière catholique, c'est-à-dire universelle. Son premier mot est en quelque sorte le signe de la communion de la famille dispersée dans le temps et dans l'espace. « La multitude des croyants n'avait qu'un seul coeur et une seule âme9 », dit le texte des Actes des Apôtres. Si donc dans les faits nous prions quotidiennement en privé, comme le Christ nous invite à le faire, en nous retirant « dans le secret10 », entre quatre murs, la prière n'est jamais à proprement parler un acte privé; nous prions toujours dans l'Église. Et les paroles du Notre Père dans notre prière silencieuse n'ont un sens que si nous avons toujours à l'esprit cette universalité de la prière, si, lorsque nous disons Notre, nous ne pensons pas Mon, mais nous nous efforçons d'être en communion de coeur avec les autres croyants.
Le Notre Père nous rend donc
attentifs à
ceci, que dans la prière véritable, chacun prie
toujours par l'Esprit Saint, pour tous, pour son salut propre et pour
celui de tous. C'est en ce sens que le Notre Père peut
être
pris comme la prière à laquelle se nourrit toute
autre
prière, qui nous fait comprendre que, paradoxalement, nous
ne
commençons à prier que lorsque nous confessons
d'abord
que nous ne savons pas prier.
Jean-Rémi Lanavère
Les messes mises en musique par les
Bach, Mozart,
Charpentier et autres compositeurs de renom ne comportent que
très
rarement un « Pater noster »,
alors qu'on y
peut admirer une kyriale (Kyrie-Sanctus-Agnus
Dei),
un Gloria ainsi qu'un Credo,
qui semblent ainsi former
comme l'ossature de la messe. Non que ces compositeurs soient des
impies, mais parce que le Notre Père n'apparaît
pas
comme une prière propre de la messe. Et c'est un fait, il
fait
partie de ces quelques textes de la messe que nous disons volontiers
en dehors du cadre liturgique, ce qui n'est pas le cas du Credo
ou de l'Agnus Dei ,que nous concevons mal
arrachés à
leur ancrage liturgique.
Faudrait-il dire pour autant que le
Notre Père n'est qu'un ajout, un ornement, ce que l'histoire
de son introduction dans la messe romaine par Saint Grégoire
nous laisse suggérer ? Pour que nous ne nous
laissions
pas aller à ces suggestions qui sont en contradiction avec
ce
que le Christ nous a dit de cette prière, essayons
brièvement,
à partir de la considération de sa place dans le
déroulement de la messe, d'en
pénétrer, pour
autant qu'il est possible, la signification et la raison
d'être
du Pater dans le cadre de la messe.
Il existe bien des partitions de la
messe, en
liturgie de la parole et liturgie de l'Eucharistie, par exemple.
Retenons pour notre part celle-ci: on peut raisonnablement distinguer
six parties dans la messe: la préparation du sacrifice,
l'instruction, l'oblation, la consécration, la communion et
l'action de grâce.
Le Notre Père, situé
entre la consécration et la communion, est
traditionnellement
rattaché à cette dernière partie. Ce
qui clôt
la consécration, c'est la doxologie finale, et ce qui ouvre
la
communion, c'est le Notre Père. Plus
précisément,
le Notre Père se trouve dans la première
subdivision de
la partie «communion», nommée tout
naturellement
«la préparation à la
communion».
Cette
préparation est constituée de trois groupes de
prières,
qui nous introduisent à la communion: le Pater,
l'Agnus
Dei, et deux oraisons dites par le
célébrant. Il
s'agit donc, pour approcher le sens de cette prière des
prières qu'est le Notre Père au sein de la messe,
de
voir en quoi elle introduit mieux qu'aucune autre à recevoir
le pain eucharistique.
Dans la courte préface
prononcée par
le prêtre - « Comme nous l'avons
appris du
Sauveur, et selon son commandement, nous osons
dire » -,
portons l'attention sur ce verbe
« oser ». Il
signifie la crainte, et la confiance permettant de la
surmonter.
Pourquoi la crainte ? Parce que par lui-même,
l'homme ne peut se faire l'égal de Dieu, en proclamant qu'il
est son fils. Les Juifs ne s'y trompèrent pas, eux qui
accusèrent de blasphème celui qui avait l'audace,
l'orgueil de faire de Dieu son père.
Pourquoi la
confiance ? D'une part parce que c'est Jésus
lui-même
qui nous a demandé, sur le mode impératif, de
prier le
Père ainsi: « Vous donc, priez
ainsi »
(Mt 6, 9). D'autre part, et surtout, parce que Jésus nous
révèle:
-que nous étions des frères,
ce que le meurtre d'Abel par Caïn avait mis en doute:
« et
tous, vous êtes des frères »
(Mt 28, 8);
-que
nous étions ses frères:
« Voyez quelle
manifestation d'amour le Père nous a donnée pour
que
nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le
sommes! »
(1 Jn 3, 1). Or le Père a dit: « Celui-ce
est mon
Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur »
(Mt 3, 17).
Par conséquent nous sommes frères du Christ, fils
d'un
même Père, mais non par le même mode de
filiation:
le Christ est fils par nature, nous sommes filles et fils par
adoption.
La confiance l'emporte d'autant plus qu'au moment où
l'on récite le Notre Père, le Christ est
présent
réllement en son corps et en son sang sur l'autel.
Après
avoir actualisé l'institution de l'Eucharistie, le
prêtre
actualise cette autre institution du Christ qu'est le Notre
Père
-« et divina institutione
formati ». De plus,
le prêtre est entièrement configuré au
Christ, et
comme le Christ avait parlé en lui lors de la
consécration,
c'est le Fils qui parle au Père lors de la
récitation
du Notre Père. Enfin, l'assemblée des
fidèles,
en se préparant à communier, se
prépare à
ce qui fait d'elle une assemblée, et une
assemblée de
filles et fils de Dieu.
En effet, c'est l'Eucharistie qui fait
l'Eglise,
et qui fait que nous puissions dire Notre
Père et non
Mon Père. Le prêtre dit dans la
prière
eucharistique numéro trois : « Quand nous
serons
nourris de son corps et de son sang et remplis de l'Esprit Saint,
accorde nous d'être un seul corps et un seul esprit dans le
Christ ». En communiant, nous devenons le corps du
Christ.
Or, le corps mystique du Christ, c'est l'Eglise.
Saint Paul
dit dans la première Epître aux Corinthiens
(versets
16-17) : « La coupe de
bénédiction que nous
bénissons n'est-elle pas communion au sang du
Christ ? Le
pain que nous rompons n'est-il pas communion au sang du
Christ ?
Parce qu'il n'y a qu'un pain, à plusieurs nous ne sommes
qu'un
corps, car tous nous participons à ce pain
unique ».
Et ce corps, c'est un corps de Fils et de Filles de Dieu. Certes,
c'est du baptême que nous devenons fils de Dieu :
« Car
vous êtes tous Fils de Dieu, par la foi dans le Christ
Jésus.
Vous tous en effet baptisés dans le Christ, vous avez
revêtu
le Christ » (Galates, 3, 26 sq). Mais c'est dans
l'Eucharistie que nous vivons de la vie du Christ
(« Qui
mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. De
même
que le Père, qui est vivant, m'a envoyé et que je
vis
par le Père, de même celui qui mange lui aussi
vivra par
moi », Jean 6, 56-57), d'une vie de grâce
surabondante.
Le Notre Père, placé là où
il est devient proprement mystagogique : il est
comme une voie
menant aux saints mystères, qui nous
révèlent
notre identité d'enfants de Dieu rassemblés au
sein
d'une même Eglise, épouse de Celui qui est
présent
sacramentellemnt dans le pain auquel nous communions.
Il nous
prépare à cette communion en nous faisant prendre
conscience de l'unique paternité qui est la nôtre
:
« N'appelez personne votre Père sur la
terre, car
vous n'en avez qu'un, le Père
céleste »
(Matthieu 23, 9), lorsque nous devenons le corps du Christ,
« fils
unique de Dieu né du Père avant tous les
siècles ».
Saint Augustin écrit : « Recevez ce que
vous êtes
et devenez ce que vous recevez ».
On voit par là que le Notre
Père a
toute son importance à cette place précise de la
liturgie eucharistique. Cette importance se marque aussi
historiquement, en ce que, d'après le témoignage
de
saint Grégoire le Grand, dans l'Eglise primitive, lorsque
les
prêtres et les fidèles étaient
pressés par
le temps et à cause de la menace d'exécution, la
messe
se réduisait à la consécration,
à la
récitation du Notre Père et à la
communion.
Le
Notre Père a donc bien sa place au coeur de l'Eucharistie,
elle que Vatican II a qualifiée de
« source et
sommet de la vie chrétienne »: la plus
haute façon
de prier le Notre Père, c'est sans nul doute de le prier
à
la messe.
J.-R.L.
Matthieu Cassin
=0.5
Pour les Pères, il s'agit de
l'oraison
dominicale, c'est-à-dire la prière du
Seigneur,
plus que du Notre Père. En effet, c'est la
nouveauté de
cette prière qui est mise en avant, et son
caractère
particulier : elle est enseignée par le Christ, Fils de Dieu
;
Dieu, en son Fils, apprend à ses enfants comment le prier.
«
Celui qui nous a fait vivre nous a aussi montrer comment prier.
»
Cyprien, De Oratione dominica, 2. Si le notre
Père est
la prière par excellence de la communauté
rassemblée
par la célébration du Jour du Seigneur, il est
tout
autant prière quotidienne, puisque prière
essentielle.
Origène, dans le Sur la Prière,
18-20, montre
que le Christ rassemble là son enseignement sur la
prière
: à partir du texte de Mt, 6, 5-8, qui
précède
immédiatement le texte même du Notre
Père, il
reprend les attaques contre la Vaine Gloire (), thème
récurrent dans son oeuvre, homélies et
traités,
qui est recherchée parmi les hommes, non auprès
de
Dieu. Au contraire, c'est en présence du Seigneur, dans la
chambre secrète qu'est la conscience, dans
l'église où
le Christ est présent, que la prière a son lieu
nouveau.
Origène dégage, à cette
étape,
deux éléments de nouveauté dans la
prière.
Le type de parole change ; ce n'est plus rabâcher, bavarder,
paroles qui ont toujours un rapport avec les biens terrestres, et qui
donc sont paroles vaines, creuses, () ; ce sont les mots
mêmes
du Christ, et suffisamment brefs pour que l'esprit puisse tenter de
s'y appliquer tout entier. C'est aussi d'un nom nouveau que Dieu est
appelé : si Père et fils sont parfois
employés
dans l'Ancien Testament, c'est dans un sens métaphorique, et
pour Origène, les fils y sont toujours sujets. Au contraire,
le Christ nous fait ses frères, les fils par l'adoption d'un
même Père, Jn, 1, 2, et nous a donné
l'Esprit qui
nous fait dire « Abba », Rm 8, 14-15. Le Verbe nous
façonne à sa ressemblance, nous faisant l'image
de
l'Image qu'il est du Père.
« Jésus-Christ,
Notre Seigneur, a fixé pour de nouveaux disciples d'une
nouvelle alliance une nouvelle forme de prière. Il fallait
en
effet qu'en ce domaine un vin nouveau soit versé dans des
outres neuves et une pièce nouvelle cousue à un
vêtement nouveau. » Tertullien, De
Oratione, 1, 1.
De cette nouveauté, les Pères explorent des
aspects
divers selon leurs sensibilités, mettant en
lumière tel
ou tel point, s'attardant davantage sur le plus
problématique,
passant sur ce qui est hors de leurs préoccupations du
moment,
ou de celles de leur auditoire. On s'attardera sur quelques points :
qui peut dire « Notre Père », et comment
le dire ;
le Notre Père présenté comme
résumé
de la foi, puisqu'il est la prière ; la sanctification ; la
nature du pain.
Le Notre Père est la
prière des
enfants de Dieu, donc la prière d'après le
baptême.
« Comment en effet celui qui n'est pas encore
né
pourrait-il dire Notre Père ? » Augustin, Sermones,
59. Reprenant le thème de la nouvelle naissance,
développé
en Jn 3, dans l'entretien avec Nicodème, et l'appliquant
à
la filiation adoptive, Augustin souligne la
nécessité
d'appartenance à la communauté
ecclésiale pour
pouvoir dire en vérité Notre Père, ce
que
d'autres rappellent (Théodore de Mopsueste, Résumé
des fables hérétiques, 5, 28 ; etc.).
Car prière
du Fils, elle ne peut être vraie que dans l'Esprit, Ga 4, 47
;
Rm 8, 14-17. C'est l'Esprit qui prie en l'homme, c'est dans l'Esprit
que l'homme peut prier en vérité. Or c'est au
baptême
que l'Esprit est communiqué à l'homme.
« En sorte
qu'après avoir reçu l'Esprit et la
vérité
par la sanctification [ c'est-à-dire le baptême ]
qui
vient de lui, nous puissions aussi adorer en Esprit et en
vérité.
» Cyprien, De Oratione, 1, 2 ; Jn 4,
23-24.
Or,
puisque la prière se fait dans l'Esprit, elle
s'étend à
tout le corps mystique du Christ, en chacun de ses membres. Augustin,
dans le De Sermone in monte, 2, 4, 16, rappelle
l'universalité
du Salut et l'annonce faite aux Nations, en même temps que la
bonté du Christ. « Le Fils de Dieu est unique et
pourtant il n'a pas voulu être seul ; il a daigné
avoir
des frères [...]. Dans sa fraternité, il appelle
les
peuples des Nations et le Fils unique a d'innombrables
frères
qui puissent dire notre Père. » Tout homme qui
accueille
l'Esprit et fait en lui les oeuvres du Père peut le prier
ainsi. C'est remettre en mémoire le lien
nécessaire des
oeuvres et de la prière, de la vie et de la foi. Cyprien le
formule autrement : appeler Dieu « Père
» doit
nous rappeler d'agir comme ses enfants, nous rappeler que nous sommes
sont temple. Ce que l'on peut rapprocher des recomandations qu'il
fait auparavant sur la modestie du corps et de la voix, sur la
communion ecclésiale dans la prière.
Mais plus
largement, les Pères voient cette prière,
puisqu'elle
est celle que le Christ a enseignée, comme le
résumé
de la vie chrétienne, sous tous ses aspects : non seulement
c'est la prière parfaite, mais elle est aussi
règle de
vie et résumé de foi. On trouve à ce
sujet chez
Augustin l'exemple de ces interprétations
numériques,
de ces rapprochements autour d'un nombre symbolique qu'il affectionne
; dans le De Sermone in monte, 1, 11, 38, il
rapproche les
sept dons de l'Esprit, les sept premières
béatitudes et
les sept demandes du Notre Père :
crainte de Dieu, pauvreté en esprit, sanctification du Nom
piété, douceur, venue du Règne
science, pleurs, volonté de Dieu
force, faim et soif de justice, pain quotidien
conseil, miséricorde, pardon de nos fautes
intelligence, pureté de coeur, ne pas tomber en tentation
sagesse, paix, libération du mal.
Mais
il est d'autres
lectures, et pour beaucoup, le Notre Père résume
tous
les aspects de la vie chrétienne en ce qu'il est appel
à
la sainteté et à la conversion des moeurs.
«
C'est de ces brèves paroles que se servit Notre Seigneur,
comme s'il voulait dire que la prière ne consiste pas en
mots
mais en moeurs, amour, application au bien [...]. Or la
prière
doit se faire en vue de la conduite [...] la prière
véritable
est rectitude morale, amour envers Dieu, et zèle pour ce en
quoi il se complaît. » Théodore de
Mopsueste,
Cathéchèses, 3, 5.
Origène, lui, dans
l'Homélie 19, 4 rapproche confession et
mode de vie,
foi chrétienne et vie chrétienne, rappelant
à
ses auditeurs le poids des mots prononcés. « Celui
qui
dit "Notre Père" professe par cette appellation à
la fois la rémission des péchés,
l'abrogation
des peines, la justice, la sainteté, la
rédemption, la
filiation adoptive, l'héritage et la fraternité
avec le
Monogène, la communication de l'Esprit. [...]. Il dit "Notre
Père", rapportant sa prière au corps tout entier,
ne songeant en rien à lui-même, mais en tout au
prochain. Il supprime ainsi les inimitiés,
réprime
l'arrogance, élimine l'envie ; il proclame la
charité
mère de tous les biens et chasse
l'inégalité
dans les choses humaines [...] il manifeste l'égale
dignité
du roi avec le pauvre, puisque nous avons tous en commun les biens
les plus grands et les plus nécessaires. » C'est
lier et
rapprocher sans cesse parole et action, temps passé dans
l'église et vie quotidienne, relation "communautaires"
et relations dans le monde.
Cyprien, dans le De Oratione
dominica, 15, développe même,
à l'occasion de
son commentaire de la demande « que ta volonté...
»
une sorte d'hymne du bien-vivre chrétien.
«
L'humilité dans la conduite, la fermeté dans la
foi,
La
vérité dans les paroles et dans les actes, la
justice
Dans les oeuvres la mansuétude et dans les moeurs
la rectitude.
Ne point savoir faire injure et savoir la tolérer
quand elle est faite,
Avec les frères, conserver la paix,
et le Seigneur, l'aimer de tout son coeur.
Chérir en lui le
Père, et craindre le Dieu,
Ne rien mettre au monde
au-dessus du Christ, or il nous a mis au-dessus de lui.
A son
amour, s'attacher inébranlablement ; à sa croix,
se
lier indissolublement.
Et quand il est temps de lutter pour son
honneur et pour son nom,
Montrer, lors de l'interrogatoire, cette
fermeté qui fait de nous des confesseurs,
Montrer, dans la
torture, cette foi qui fait de nous des lutteurs,
Montrer, à
l'heure de la mort, cette acceptation de la souffrance qui
fait de
nous des triomphateurs.
Voici la vie de qui veut être
cohéritier du Christ,
Voici l'obéissance aux
préceptes de Dieu,
Voici l'accomplissement de la volonté
paternelle. »
C'est rassembler là un programme d'imitation du Christ, qu'évoque l'obéissance à la volonté paternelle. Si les commentaires du Notre Père donnent rarement naissance à une prière directement adressée à Dieu, bien plus souvent ils se déploient en invitation à la prière, ou à une vie à laquelle la prière donne forme.
Sans passer, en revue chaque demande,
on
s'arrêtera au commentaire de deux d'entre elles, celles qui
ont
sans doute soulevé - avec celle sur la tentation - le plus
de
commentaires ; non pour exposer les positions de chacun, mais pour
dégager les lignes principales d'interprétation
et leur
apport possible à la compréhension et
à la
méditation des mots mêmes de la prière
; à
la prière, donc.
Origène, dans le Sur la
Prière, s'attarde longuement sur la glorification
du Nom
divin. Pour rappeler d'abord sa définition du nom, qui
«
désigne la nature propre et incontestable de
l'être
nommé », et donc qui est immuable pour Dieu seul.
S'appuyant sur les Psaumes, il montre qu'exalter le Nom de Dieu,
c'est « participer à l'effluve divine »,
et qu'il
faut pour cela lui construire une demeure en soi-même, cf. Ps
30, 1. Car, de même que pour la deuxième demande,
celle
de la venue du Règne, il paraît étrange
de
demander ce qui est déjà : le Nom de Dieu est
saint,
son Règne est établi ; mais c'est en nous qu'il y
a
encore à l'accomplir, ou tout au moins à
l'achever, en
détruisant le péché, en laissant
souffler en nos
coeurs l'Esprit. C'est prier pour que la volonté de Dieu
nous
amende, et de terre que nous sommes, pécheurs, nous fasse
ciel. Un ouvrage abusivement attribué à Jean
Chrysostome, l'Opus imperfectum in Matthaeum, Hom.
XIV,
souligne la justesse de la formule employée dans la
prière
: ce n'est pas « Père, sanctifie ton Nom
en nous »,
ni « Sanctifions ton nom », mais une
formule
impersonnelle ; « de même que l'homme ne peut pas
faire
le bien s'il n'a pas l'aide de Dieu, ainsi Dieu ne réalise
pas
le bien en l'homme si l'homme ne le veut pas. » Par
l'attention
au moindre détail d'un texte essentiel, l'auteur patristique
sait retrouver dans un mot ou un tour en apparence insignifiant, et
à
propos de chaque élément, de chaque demande de la
prière, la totalité de l'économie du
salut et de
la bonté divine, mettre en lumière la totale
liberté
humaine en même temps que la nécessité
de la
grâce.
La question du pain demandé est plus
complexe, car les Pères sont partagés sur le sens
à
donner aux mots employés pour qualifier ce pain. En effet,
le
texte de Mt comporte un adjectif, , qui peut recevoir deux
interprétations que présente Origène, Sur
la
Prière, 27 : soit le mot vient d' + ,
supersubstantiel ou
approprié, nécessaire, soit il vient d',
quotidien ou
de demain. Les Pères latins sont rares à poser la
question, car jusqu'à la Vulgate, le mot
est traduit
par quotidianum. Origène
préfère le
premier sens, car ce pain est alors nettement celui qui vient du ciel
et nous communique l'immortalité divine. Il le rapproche de
l'Arbre de vie, la Sagesse de Pr 3, 18. Si le deuxième sens
était à retenir, il faudrait comprendre, pour
Origène,
qu'il s'agit du pain du siècle à venir, du monde
nouveau où le Christ régnera, accordé
par
anticipation aux fidèles. Mais nous sommes
déjà
entrés dans un deuxième débat, qui est
celui du
pain spirituel et du pain matériel. Pour rester encore un
peu
dans le premier débat, arrêtons-nous à
Jérôme
; son retour au texte grec pour établir une traduction
latine
plus fidèle que les Veterae Latinae
l'amène en
effet à s'interroger sur le sens de l'adjectif grec, qui
n'est
plus pour lui masqué par la traduction latine traditionnelle
;
puisqu'il est interdit de penser au lendemain, il ne peut s'agir
selon Jérôme de demander dans la prière
par
excellence qu'est l'oraison dominicale ce qui « peu de temps
après sera éliminé et
digéré. »
(In in Titum, 2, 14). Jean Cassien s'attache au
contraire à
développer les deux sens et à les expliciter :
« La
première qualification [supersubstantialem]
exprime sa
noblesse et le caractère de sa substance qui
élèvent
au-dessus de toute substance et font qu'il dépasse par sa
sublime grandeur et sainteté toutes les
créatures. Le
deuxième [quotidianum] exprime l'usage
qu'il faut en
faire et son utilité : le mot quotidianum
montre que
sans ce pain, nous ne pouvons vivre un seul jour de la vie
spirituelle. » Conférences IX,
21.
En
outre, les Pères sont divisés, selon l'accent
principal
de leur spiritualité et de leur pastorale, sur le sens
à
donner au pain, spirituel, matériel ou les deux. Certains
penchent pour le seul pain spirituel : « Le
véritable
pain est celui qui nourrit l'homme véritable [...] et qui
élève celui qui s'en nourrit à l'image
du
Créateur. » Origène, Sur la
Prière,
27, 2. « Nous faisons injure à la
puissance et à
la miséricorde infinie de Dieu si nous lui demandons quoique
ce soit en dehors de la gloire de son royaume [...]. Il est certain
qu'il nous accordera libéralement, avec les richesses
célestes, aussi les terrestres. » Ephrem, Parénèse,
74. Les Cappadociens insistent au contraire, dans d'autres contextes,
sur la nécessité de demander le pain que produit
le
travail, mais de ne demander que le pain, non la richesse. «
Il
veut que nous soyons toujours ceints pour le voyage et tout
prêts
à prendre notre essor vers le ciel, ne demandant pour le
corps
que ce que la nécessité commande »
prêche
Jean Chrysostome, In Mt, Hom. XIX, 5. C'est que selon les urgences du
temps, il est nécessaire de mettre l'accent davantage sur la
pauvreté matérielle ou sur l'exigence spirituelle
;
c'est aussi qu'il est plus facile de parler à des moines ou
à
une petite communauté fervente de pain spirituel
qu'à
l'assistance d'une église. Et plutôt que d'opposer
les
interprétations mieux vaut les rapprocher et
reconnaître
leur valeur, puisqu'elles se complètent plus qu'elle ne
s'excluent. Demander le strict nécessaire en termes de biens
matériels, le pain, c'est aussi laisser place au pain
spirituel et le chercher plus que tout le reste. Cyprien rappelle que
« dans le dessein de Dieu, chacune de ces deux
interprétations est utile au Salut », que nous
demeurions chaque jour en Christ et qu'ayant renoncé au
monde,
nous ne demandions que de quoi survivre en ce jour. Toute
interprétation qui écarterait trop radicalement
le pain
matériel réduirait l'essentiel de l'homme
à un
pur esprit, et tendrait au gnosticisme ; toute
interprétation
qui ne verrait que le pain matériel réduirait
l'homme à
la terre.
On trouve ces lectures du Notre Père dont on a tenté de donner ici quelques brefs aperçus, dans des oeuvres très diverses, commentaires exégétiques, homélies, catéchèses pré- ou post-baptismales, traités dogmatiques ou sur la prière, ce qui explique leur diversité d'approche et de ton et permet ce foisonnement de lectures. Un exemple encore, chez Ambroise, De Sacramentis, V, 27, sur la dette : « Tu étais riche, fais à l'image et à la ressemblance de Dieu. Tu as perdu ce que tu possédais, c'est-à-dire l'humilité [...] tu as perdu ton argent, tu t'es fait nu comme Adam, tu as accepté du diable une dette qui n'était pas nécessaire. Et par là, toi qui étais libre dans le Christ, tu t'es fait le débiteur du diable. » Par un retour à la relation concrète de débiteur à créancier, ici appliquée à l'homme et au diable, Ambroise explicite pour ses catéchumènes l'image implicite contenue dans la prière du Seigneur, la dette qu'est le péché, en en présentant les protagonistes. La clarté et la force ne sont pas toujours et chez tous de cet ordre, et la prière par excellence, on l'a dit, n'a pas fait jaillir une prière de feu dont on ait trace écrite. Comme si l'on ne pouvait qu'expliquer ce qui contient déjà tout, et le laisser monter au coeur. Tertullien, une dernière fois : « L'oraison dominicale est vraiment l'abrégé de tout l'Evangile. [...] Dans quelques mots, que d'oracles rejoignent les Prophètes, les Evangiles, les Apôtres ! Que de discours du Seigneur, de paraboles, d'exemples, de préceptes ! Que de devoirs exprimés ! Hommage rendu à Dieu par le titre de Père, témoignage de foi en son Nom, acte de soumission à sa volonté, rappel de l'espérance en la venue de son Règne, demande de la vie dans le pain, aveu suppliant de nos dettes, fervente requête pour être défendus des tentations. Quoi d'étonnant ? Dieu seul a pu nous apprendre comment il voulait être prié. C'est donc lui qui règle la religion de la prière, l'anime de son Esprit, au moment où elle sort de sa bouche, et lui communique le privilège de nous transporter au ciel en touchant le coeur du Père par les paroles du Fils. » De Oratione 2 ; 9. Que tout commentaire fasse revenir, le coeur plus ouvert, au texte, pour que celui-ci soit prière plus vraie en l'Esprit.
M.C.
Nathalie Ray
Devant le thème de ce Sénevé, j'ai eu l'idée de choisir une phrase du Notre-Père et de la méditer... Et puis je suis tombée (par hasard ?) à la Procure sur le livre de Jacques Fesh «Dans 5 heures, je verrai Jésus 1» dont j'avais beaucoup entendu parler. Et là... le «que ta volonté soit faite» transparaissait à chaque ligne ! Je vous livre donc ma méditation sur le sujet, à l'aide de ce livre que je vous conseille fortement... au coeur de notre prison quotidienne.
Mais que je vous présente d'abord Jacques Fesch. Il est un condamné à mort pour vol prémédité et meurtre non prémédité, guillotiné en 1957 à l'âge de 27 ans, après quatre ans d'incarcération à la prison de la Santé. C'est là qu'il a rencontré Dieu, grâce à son avocat et grâce à Dieu Lui-même ! C'est une conversion fulgurante : «C'est alors qu'un cri jaillit de ma poitrine, un appel au secours : «Mon Dieu ! »et instantanément, comme un vent violent qui passe sans qu'on sache d'où il vient, l'esprit du Seigneur me prit à la gorge. [...] A partir de ce moment-là, j'ai cru, avec une conviction inébranlable qui ne m'a pas quitté depuis.2» «Dans 5 heures je verrai Jésus» nous livre le testament qu'il a rédigé durant les deux derniers mois de sa vie sous la forme d'un journal pour sa fille Véronique, âgée alors de six ans. Pour qu'elle connaisse la vie de son père et surtout son combat pour se purifier et essayer d'être digne de rencontrer Jésus face à face.
Que ta volonté soit faite... Cela signifie, au premier abord, laisser Dieu agir à sa guise dans notre vie et donc accepter que tout ce qui va nous arriver sera son bon vouloir. Pour Jacques, son avenir est tout tracé : c'est la guillotine. Ce qui signifie purement et simplement que Dieu désire non seulement sa mort, mais une agonie lucide ! Comment accepter cela ? Et pourtant, il y réussi merveilleusement bien : à aucun moment il ne se révolte contre ce qui lui arrive. «Il ne m'appartient pas de discuter cet arrêt mais seulement de me soumettre de tout mon coeur à la volonté de Dieu.3» Tout cela peut paraître évidemment barbare... mais Dieu n'est pas seulement un Dieu de justice, il est aussi et surtout le Dieu d'Amour et de Miséricorde que nous révèle l'Evangile. Il faut donc aller plus loin et voir dans tout ce qui nous arrive (et nous ne sommes pas condamnés à l'échafaud...) l'amour de Dieu pour nous, la grâce qu'il nous fait : Jacques voit en la prison sa conversion et en sa condamnation la grâce d'offrir sa mort et de pouvoir la préparer, non pas en toute sérénité, loin de là car il ne se sent jamais prêt, mais en toute lucidité. «Je comprends que tout ce qui est arrivé et que j'appelais un horrible coup du sort, procède de la bonté divine... «Je ne veux pas la mort de l'impie, mais qu'il se détourne de ses voies et qu'il vive»... mais que de drames pour en arriver là !4» Il ne faut donc pas seulement accepter ce qui nous arrive de bon ou de mauvais (à nos yeux) mais aussi le considérer comme un bien, une grâce de Dieu et en remercier le Seigneur ! «C'est pourquoi tu ne dois pas accepter ton châtiment comme une dette qu'on rembourse, mais tu dois croire que par ce châtiment, c'est Dieu, l'infini de son amour, qui se donne à toi.5» De quoi essayer de relire toute sa vie sous un autre regard...
On est loin de la soumission passive à un Dieu janséniste, juste et lointain, mais on est dans la confiance absolue en l'Enfant de la crèche, en Christ mort par Amour sur la croix. Confiance ! Il n'y a que cette confiance en Dieu qui puisse expliquer le courage et la volonté de Jacques : «Il faut avoir confiance, se dire qu'il est préférable qu'il en soit ainsi, même si nous pensons le contraire.6» Et cette confiance permet l'abandon total, qui est celui de Jacques («Jésus fait tout de moi et moi je le laisse faire, même s'il me fait un peu mal.7»), de Thérèse de Lisieux («Aimer, c'est tout donner et se donner soi-même.») et de Jésus sur la croix («Entre tes mains, je remets mon esprit.»).
Cependant, la confiance en Dieu est si facile à perdre... En lisant ce livre, on se demande comment Jacques a tenu jusqu'au bout, avec un parcours certes en montagnes russes quand il s'agit du moral, mais au beau fixe quand il s'agit de l'abandon et de la confiance. D'un point de vue simplement humain, c'est impossible ! Dieu nous accorde-t-il donc la grâce d'avoir confiance en Lui ? Le «Tout est grâce» de Bernanos signifierait-il donc que tout nous est donné par la grâce, que rien ne vient de nous seuls ? C'est la Petite Voie de Thérèse. Mais je diverge... vers un ancien Sénevé ! Tout cela est très beau théoriquement, mais dans la pratique ? Comment faire confiance, toujours confiance, en un Dieu qui permet toutes sortes de choses horribles (je vous épargnerai le listing...) ? Et non seulement faire confiance, ne pas se rebeller, mais croire que tout cela fait partie du «plan de Dieu» ?
Si Dieu existait, il ne permettrait pas tout cela... refrain bien connu auquel nous avons, en tant que chrétiens, l'habitude de répondre que le mal ne vient pas de Dieu, mais de la liberté des hommes. Ce qui me convenait très bien jusque là... mais comment «caser» la volonté de Dieu dans tout ça ? Dieu aurait-il une volonté concernant notre propre vie, mais pas en ce qui concerne l'humanité et le mal en général ? Je n'ai pas trouvé de réponse satisfaisante à cela... seulement une piste : Dieu ne fait pas supporter à chacun plus qu'il ne le peut et il lui donne sa grâce et sa force pour cela. Reste à comprendre la volonté de Dieu dans la souffrance des autres... Notre intelligence n'est pas encore capable de comprendre le sens de la souffrance des innocents et se rebelle.
Une autre approche, au lieu de se demander si le mal qui est dans le monde est la volonté de Dieu (ce qui me paraît tout de même être une hérésie...) est de rechercher quelle est la volonté de Dieu. Pour cela, rien de mieux que l'Evangile et Jésus qui nous dit : «C'est la volonté de celui qui m'a envoyé que je ne perde rien de tout ce qu'il m'a donné, mais que je le ressuscite au dernier jour.8» La volonté de Dieu est donc «que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité9» qu'est le Christ : n'est-ce-pas là une preuve que la volonté de Dieu est une volonté d'Amour, puisqu'il veut tous ses enfants avec lui, dans son royaume, pour l'éternité ? Quitte à ce que certains aient besoin de passer par le mal et la souffrance... «A certains, il est donné une vie paisible et heureuse parce qu'ils ont su se préserver de la pourriture et du péché. Et Dieu, qui aime répandre avec profusion ses largesses, leur prodigue nombre de satisfactions terrestres, parce qu'ils en feront bon usage. Aux autres, ces mêmes largesses seraient cause de leur mort spirituelle et s'il existe dans une âme, même totalement corrompue, encore une petite lueur d'amour, à cause d'elle le Seigneur la sauvera en lui donnant les moyens de recevoir la plénitude de la vie.10»
La volonté de Dieu est donc de nous sauver... mais il faut, pour être sauvé, faire la volonté de Dieu ! «Ce n'est pas en me disant Seigneur, Seigneur, qu'on entrera dans le royaume des cieux, mais c'est en faisant la volonté de mon Père qui est dans les cieux.11» Le même passage dans Luc nous dit «Pourquoi m'appelez-vous Seigneur, Seigneur et ne faites vous pas ce que je vous dis ?12» La volonté de Dieu est donc que nous obéissions aux commandements du Christ et plus particulièrement à son «Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés». Que votre volonté soit faite... ce n'est donc pas seulement l'acceptation plus ou moins passive de ce qui nous arrive, mais également une ligne de conduite à tenir : il faut que nos actes, notre volonté s'accordent à la volonté de Dieu. C'est un engagement, rude évidemment, surtout qu'il s'agit de le tenir toujours et partout. «Il n'y a jamais eu encore une telle lutte en moi, d'une part le souhait permanent de vivre selon la volonté divine, et d'autre part les tentations et les révoltes exacerbées par trois ans de cellule. L'ange et la bête !13», nous confie Jacques. Que de fois n'avons-nous pas envie d'abandonner cette lutte, qui semble trop difficile et jamais gagnée ?
Et pourtant, elle en vaut le coup ! Dieu ``récompense'' ceux qui lui font toujours confiance et qui font sa volonté. «Parce que j'accepte de tout coeur cette volonté du Père, je reçois joies sur joies. [...] Celui qui s'abandonne ainsi, ce n'est plus un coeur de chair qu'il a dans la poitrine, mais un globe de feu.14» Dieu n'abandonne pas ceux qui se jettent éperdument dans ses bras, même au milieu des plus grandes épreuves, et leur accorde des grâces d'autant plus grandes que leur épreuve est difficile à traverser : «Je me dirige vers ma mort, l'accepte, l'offre et Dieu dans sa bonté me montre sa satisfaction.15» Faire la volonté de Dieu nous fait également entrer dans la grande famille de Jésus : «Car quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là m'est un frère et une soeur et une mère.16» Et en faisant partie de cette grande famille, de la Communion des Saints, nous pouvons intercéder auprès de Dieu pour les êtres qui nous sont chers et pour tous les hommes : «Nous savons que Dieu n'écoute pas les pécheurs, mais si quelqu'un est religieux et fait sa volonté, celui-là il l'écoute.17» Est-ce un hasard si, cinq jours avant la mort de Jacques, sa femme Pierrette communie pour la première fois depuis dix ans ? si quelques co-détenus se sont convertis ? Jacques, comme Thérèse et sa pluie de roses, promet de veiller sur sa fille, sur les personnes de sa famille et, n'en doutons pas même s'il n'en parle pas, sur ses compagnons de détention, d'hier et d'aujourd'hui.
La confiance et l'amour de Jacques pour son Dieu resteront intacts jusqu'au bout... même si la dernière nuit est loin d'être facile ! Et pourtant... «Mon avocat vient de venir m'avertir que l'exécution aurait lieu demain, vers les 4h du matin. Que la volonté du Seigneur soit faite en toute chose ! J'ai confiance en l'amour de Jésus et je sais qu'il commandera à ses anges de me porter dans leurs mains.18» «Je crois que je vais arrêter ce journal là où il en est, vu que j'entends des bruits inquiétants. Pourvu que je tienne le coup. Sainte Vierge, à moi ! Adieu à tous et que le Seigneur vous bénisse.19»
N.R.
Pierre Guy
Cet après-midi, je suis assis au soleil sur le bord d'un cours d'eau. Je rêve et je reviens en arrière. La vie est apparue dans l'eau. Tiens ! Nous aussi avons grandi dans l'eau avant de naître. Sommes-nous maintenant en surface ? Pas si sûr... et si nous étions encore dans un ruisseau ? Le Pape ne parle-t-il pas par bulles ?
Au commencement, l'eau claire et limpide est bercée d'une douce lumière. Bien sûr, il y a parfois des tourbillons, mais ce sont surtout les hommes qui, s'agitant en tous sens, troublent l'eau.
Sous l'eau, c'est parfois difficile d'imaginer qu'il y ait une surface, et derrière la surface, un monde si nouveau, et le soleil vu de face et sans filtre. Pourtant, c'est limpide, c'est vrai. Il y a eu cet être profondément différent, si léger. Il nageait au-dessus des hommes, voulant leur apprendre à s'élever par la grâce. Beaucoup n'ont pas compris, alors ils l'ont cloué. Mais bientôt les eaux se sont ouvertes sur lui, une lumière immense d'en haut est venue, illuminant le fond de l'eau un instant. Il est monté dans la lumière... Il nous a envoyé son Esprit, et l'eau est devenue la vie.
Comment donc s'élever ? Il faut nous aussi être légers ! Donner, se laisser emporter ! Le pécheur, c'est celui qui prend quelque chose dans l'eau au lieu de donner. Si l'on est trop lourd, comment monter ? Il faut aussi cesser de s'agiter inutilement... cela crée des remous ! Certains se donnent tellement qu'ils parviennent à nager juste sous la surface... il n'y a presque plus rien entre eux et Dieu. Et lorsqu'ils meurent, Il n'a qu'à se baisser un petit peu pour les recueillir au creux de ses mains. C'est plus difficile d'aller chercher les hommes au fond de l'eau. Ils peuvent se dissoudre rapidement...
Je sens toujours près de nous Marie, je la vois baignant Jésus dans l'eau du ruisseau avec amour. Je vois aussi ses bras de mère attendrie pour chacun de nous, prête à nous soutenir si nous voulons sortir de l'eau ou simplement si l'eau est trop chaude. La plus patiente et la plus douce des mères...
Le baptême nous dit tout cela : nous sommes sous l'eau, et il faut tendre vers l'air libre. Emergeons ! Au-delà de la surface, il y a la vraie profondeur et la vraie lumière, Dieu. Je suis dans une église comme un poisson dans l'eau. Elle me donne des nageoires pour m'élever ; mais surtout, ses vitraux de toutes les couleurs me laissent entrevoir la vraie lumière.
Cet après-midi, les âmes du ciel sont assises au soleil sur le bord du cours d'eau, et nous regardent.
Pourquoi ne pas dire alors avec humour:
Notre Père,
Qui es sur Terre,
Que ton nom soit sanctifié,
Que ton règne vienne,
Que ta volonté soit faite sous les eaux comme en Haut ;
Donne-nous aujourd'hui nos poissons de ce jour,
Pardonne-nous nos remous, comme nous pardonnons aussi, à ceux qui font des tourbillons,
Et ne nous soumets pas à la tentation,
Mais délivre-nous des crabes.
Angoulême,
3/09/01
Palaiseau, 18/10/01
P.G.
Saint François d'Assise
Chez les franciscains, le
Notre Père
était la prière de base de l'Office des
frères
non prêtres. C'était aussi la formule
préférée
des premiers frères, au temps où ils ne
disposaient pas
encore de bréviaires. Pour mieux le
prier, Saint
François a recouru à un
procédé
extrêmement courant au Moyen Âge: la paraphrase
d'une
prière en la commentant groupe de mots par groupe de mots.
On
parle alors de « prière
tropée »,
ou « farcie ». Nous
vous présentons
ici le texte du Notre Père tel qu'il a
été
« tropé » par Saint
François, à
qui il servait de canevas de prédication ou de
prière.
Il peut sans doute encore inspirer la nôtre.
Notre
Père très saint,
notre Créateur, notre
Rédempteur,
notre Sauveur et notre Consolateur.
Qui
es aux cieux,
dans les anges et dans les saints,
les
illuminant pour qu'ils te connaissent,
car tu es,
Seigneur, la lumière;
les enflammant pour qu'ils
t'aiment,
car tu es, Seigneur, l'amour;
habitant en
eux et les emplissant de ta divinité,
pour
qu'ils aient le bonheur,
car tu es, Seigneur, le bien
souverain, le bien éternel,
de qui vient tout
bien, sans qui n'est aucun bien.
Que ton nom
soit sanctifié,
que devienne toujours plus lumineuse
en nous
la connaissance que nous avons de toi,
afin
que nous puissions mesurer
la largeur de tes
bienfaits,
la longueur de tes promesses,
la
hauteur de ta majesté,
la profondeur de tes
jugements1.
Que
ton règne vienne:
dès maintenant règne
en nous par la grâce,
et plus tard introduis-nous dans ton
royaume
où sans ombre enfin nous te
verrons,
où deviendra parfait notre amour pour
toi,
bienheureuse notre union avec toi,
éternelle
notre jouissance de toi.
Que ta volonté
soit faite sur la terre comme au ciel:
Que nous
t'aimions :
de tout notre coeur en pensant toujours à toi
;
de toute notre âme en te désirant toujours;
de
tout notre esprit en dirigeant vers toi tous nos élans
et
ne poursuivant toujours que ta seule gloire;
de toutes nos forces
en dépensant toutes nos énergies
et tous
les sens de notre âme et de notre corps
au
service de ton amour et de rien d'autre.
Que
nous aimions nos proches comme nous-mêmes :
en les attirant
tous à ton amour selon notre pouvoir,
en partageant leur
bonheur comme s'il était le nôtre,
en les aidant à
supporter leurs malheurs,
en ne leur faisant nulle
offense.
Donne-nous aujourd'hui notre pain
de ce jour:
ton Fils bien-aimé, notre Seigneur
Jésus-Christ,
pour que nous puissions nous rappeler,
mieux
comprendre et vénérer
l'amour qu'il a eu pour
nous
et tout ce que pour nous il a dit, fait et
souffert.
Pardonne-nous nos offenses
par
ta miséricorde ineffable,
par la vertu de la Passion de ton
Fils bien-aimé,
par les mérites et par
l'intercession de la Vierge Marie
et de tous les élus.
Comme
nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés
Et
ce que nous ne pardonnons pas pleinement,
toi, Seigneur, fais que
nous leur pardonnions pleinement:
que nous aimions vraiment nos
ennemis à cause de toi,
que nous arrivions à te
prier sincèrement pour eux;
qu'à personne nous ne
rendions le mal pour le mal
mais que nous tâchions de faire
du bien à tous, en toi !
Et ne nous
soumets pas à la tentation,
qu'elle soit manifeste
ou sournoise,
soudaine, ou lancinante et prolongée.
Mais
délivre-nous du mal
passé, présent et
futur. (Amen).
Simone Weil
Nous fuyons
le vide intérieur
parce
que Dieu pourrait
s'y glisser.
[
Cahiers (1956), 3 ]
Simone
Weil |
Biographie
(http://www.dicocitations.com/auteur/4598/citation.php?id=4598&debut=50)
Ce texte de Simone Weil est issu du volume intitulé Attente de Dieu, recueil de lettres et de textes récoltés par un de ses derniers interlocuteurs, le père dominicain Jean-Marie Perrin, qui en a rédigé l'introduction qui suit.
Pour comprendre toute la
portée de ce
texte, il est indispensable de se souvenir de ce que fut pour Simone
Weil la découverte du Pater, sa première
prière,
sa première rencontre quotidienne avec le Christ (cf. Lettre
41).
Pourtant
certaines formules doivent être corrigées. Simone
Weil
était intensément frappée par la
transcendance
de Dieu; elle n'avait pas encore expérimenté sa
proximité, la joie et la confiance filiales qu'il verse dans
l'âme de ses enfants; elle ne savait encore qu'imparfaitement
ce témoignage de l'Esprit, que nous sommes tous enfants de
Dieu.
Notre-Seigneur veut que les siens sachent que le
Père du ciel est infiniment plus Père que tous
les
parents de la terre: "Si vous êtes mauvais, vous savez
donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre
Père
qui est dans les cieux" (Mat.,VII, 11). "Même les
cheveux de votre tête sont comptés" (Mat., X, 30).
C'est notre Père; il n'y a rien de réel en nous qui ne procède de lui. Nous sommes à lui. Il nous aime, puisqu'il s'aime et que nous sommes à lui. Mais c'est le Père qui est dans les cieux. Non ailleurs. Si nous croyons avoir un père ici-bas, ce n'est pas lui, c'est un faux Dieu. Nous ne pouvons pas faire un seul pas vers lui. On ne marche pas verticalement. Nous ne pouvons diriger vers lui que notre regard. Il n'y a pas à le chercher, il faut seulement changer la direction du regard. C'est à lui de nous chercher. Il faut être heureux de savoir qu'il est infiniment hors de notre atteinte. Nous avons ainsi la certitude que le mal en nous, même s'il submerge tout notre être, ne souille aucunement la pureté, la félicité, la perfection divines.
Dieu seul a le pouvoir de se nommer lui-même. Son nom n'est pas prononçable pour des lèvres humaines. Son nom est sa parole. C'est le Verbe. Le nom d'un être quelconque est un intermédiaire entre l'esprit humain et cet être, la seule voie par laquelle l'esprit humain puisse saisir quelque chose de cet être quand il est absent; il est dans les cieux. Son nom est la seule possibilité pour l'homme d'avoir accès à lui. C'est le Médiateur. L'homme a accès à ce nom, quoiqu'il soit aussi transcendant. Il brille dans la beauté et l'ordre du monde et dans la lumière intérieure de l'âme humaine. Ce nom est la sainteté elle-même; il n'y a pas de sainteté hors de lui; il n'a donc pas à être sanctifié. En demandant cette sanctification, nous demandons ce qui est éternellement avec une plénitude de réalité à laquelle il n'est pas en notre pouvoir d'ajouter ou de retrancher même un infiniment petit. Demander ce qui est réellement, infailliblement, éternellement, d'une manière tout à fait indépendante de notre demande, c'est la demande parfaite. Nous ne pouvons pas nous empêcher de désirer; nous sommes désir; mais ce désir qui nous cloue à l'imaginaire, au temps, à l'égoïsme, nous pouvons, si nous le faisons passer tout entier dans cette demande, en faire un levier qui nous arrache de l'imaginaire dans le réel, du temps dans l'éternité, et hors de la prison du moi.
Il s'agit maintenant de quelque chose qui doit venir, qui n'est pas là. Le règne de Dieu, c'est le Saint-Esprit emplissant complètement toute l'âme des créatures intelligentes. L'Esprit souffle où il veut. On ne peut l'appeller. Il ne faut même pas penser d'une manière particulière à l'appeler sur soi ou sur tels ou tels autres, ou même sur tous, mais l'appeler purement et simplement; que penser à lui soit un appel et un cri. Comme quand on est à la limite de la soif, qu'on est malade de soif, on ne se représente plus l'acte de boire par rapport à soi-même, ni même en général l'acte de boire. On se représente seulement l'eau, l'eau prise en elle-même, mais cette image de l'eau est comme un cri de tout l'être.
Nous ne sommes absolument, infailliblement certains de la volonté de Dieu que pour le passé. Tous les événements qui se sont produits, quels qu'ils soient, sont conformes à la volonté du Père tout-puissant. Cela est impliqué par la notion de tout-puissance. L'avenir aussi, quel qu'il doive être, une fois accompli, se sera accompli conformément à la volonté de Dieu. Nous ne pouvons rien ajouter ni soustraire à cette conformité. Ainsi, apeès un élan de désir vers le possible, de nouveau, dans cette phrase, nous demandons ce qui est. Mais non plus une réalité éternelle comme la sainteté du Verbe. Ici l'objet de notre demande est ce qui se produit dans le temps. Mais nous demandons la conformité infaillible et éternelle de ce qui se produit dans le temps avec la volonté divine. Après avoir, par la première demande, arraché le désir au temps pour l'appliquer sur l'éternel, et l'avoir ainsi transformé, nous reprenons ce désir devenu lui-même d'une certaine manière éternel pour l'appliquer de nouveau au temps. Alors notre désir perce le temps pour trouver derrière l'éternité. C'est ce qui arrive quand nous savons faire de tout événement accompli, quel qu'il soit, un objet de désir. C'est là tout autre chose que la résignation. Le mot d'acceptation même est trop faible. Il faut désirer que tout ce qui s'est produit se soit produit, et rien d'autre. Non pas parce que ce qui s'est produit est bien à nos yeux; mais parce que Dieu l'a permis, et que l'obéissance du cours des événements à Dieu est par elle-même un bien absolu.
Cette association de notre
désir à
la volonté toute-puissante de Dieu doit s'étendre
aux
choses spirituelles. Nos ascensions et nos défaillances
spirituelles et celles des êtres que nous aimons ont un
rapport
avec l'autre monde, mais sont aussi des
événements qui
se produisent ici-bas dans le temps. À ce titre ce sont des
détails dans l'immense mer des
événements,
ballotés avec toute cette mer d'une manière
conforme à
la volonté de Dieu. Puisque nos défaillances
passées
se sont produites, nous devons désirer qu'elles se soient
produites. Nous devons étendre ce désir
à
l'avenir pour le jour où il sera devenu du passé.
C'est
une correction nécessaire à la demande que le
règne
de Dieu arrive. Nous devons abandonner tous les désirs pour
celui de la vie éternelle, mais nous devons
désirer la
vie éternelle elle-même avec renoncement. Il ne
faut pas
s'attacher même au détachement. L'attachement au
salut
est encore plus dangereux que les autres. Il faut penser à
la
vie éternelle comme on pense à l'eau quand on
meurt de
soif, et en même temps désirer pour soi et pour
les
êtres chers la privation éternelle de cette eau
plutôt
que d'en être comblé malgré la
volonté de
Dieu, si pareille chose était concevable.
Les trois
demandes précédentes ont rapport aux trois
Personnes de
la Trinité, le Fils, l'Esprit et le Père, et
aussi aux
trois parties du temps, le présent, l'avenir et le
passé.
Les trois demandes qui suivent portent sur les trois parties du temps
plus directement et dans un autre ordre, présent,
passé,
avenir.
Le Christ est notre pain. Nous ne
pouvons le
demander que pour maintenant. Car il est toujours là,
à
la porte de notre âme, qui veut entrer, mais il ne viole pas
le
consentement. Si nous consentons à ce qu'il entre, il entre;
dès que nous ne voulons plus, aussitôt, il s'en
va. Nous
ne pouvons pas lier aujourd'hui notre volonté de demain,
faire
aujourd'hui un pacte avec lui pour que demain il soit en nous
même
malgré nous. Notre consentement à sa
présence
est la même chose que sa présence. Le consentement
est
un acte, il ne peut être qu'actuel. Il ne nous a pas
été
donné une volonté qui puisse s'appliquer
à
l'avenir. Tout ce qui n'est pas efficace dans notre volonté
est imaginaire. La partie efficace de la volonté est
efficace
immédiatement, son efficacité n'est pas distincte
d'elle-même. La partie efficace de la volonté
n'est pas
l'effort, qui est tendu vers l'avenir. C'est le consentement, le oui
du mariage. Un oui prononcé dans l'instant, mais
prononcé
comme une parole éternelle, car c'est le consentement
à
l'union du Christ avec la partie éternelle de notre
âme.
Il
nous faut du pain. Nous sommes des êtres qui tirons
continuellement notre énergie du dehors, car à
mesure
que nous la recevons nous l'épuisons dans nos efforts. Si
notre énergie n'est pas quotidiennement
renouvelée,
nous devenons sans force et incapables de mouvement. En dehors de la
nourriture proprement dite, au sens littéral du mot, tous
les
stimulants sont pour nous des sources d'énergie. L'argent,
l'avancement, la considération, les décorations,
la
célébrité, le pouvoir, les
êtres aimés,
tout ce qui met en nous de la capacité d'agir est comme du
pain. Si un de ces attachements pénètre assez
profondément en nous, jusqu'aux racines vitales de notre
existence charnelle, la privation peut nous briser et même
nous
faire mourir. On appelle cela mourir de chagrin. C'est comme mourir
de faim. Tous ces objets d'attachement constituent, avec la
nourriture propement dite, le pain d'ici-bas. Il dépend
entièrement des circonstances de nous l'accorder ou de nous
le
refuser. Nous ne devons rien demander au sujet des circonstances,
sinon qu'elles soient conformes à la volonté de
Dieu.
Nous ne devons pas demander le pain d'ici-bas.
Il est une
énergie transcendante, dont la source est au ciel, qui coule
en nous dès que nous le désirons. C'est vraiment
une
énergie ; elle exécute des actions par
l'intermédiaure de notre âme et de notre corps.
Nous
devons demander cette nourriture. Au moment que nous la demandons et
par le fait même que nous la demandons, nous savons que Dieu
veut nous la donner. Nous ne devons pas supporter de rester un seul
jour sans elle. Car quand les énergies terrestres, soumises
à
la nécessité d'ici-bas, alimentent seules nos
actes,
nous ne pouvons faire et penser que le mal. « Dieu
vit que
les méfaits de l'homme se multipliaient sur la terre, et que
le produit des pensées de son coeur était
constamment,
uniquement mauvais. » La
nécessité qui nous
contraint au mal gouverne tout en nous, sauf l'énergie
d'en-haut au moment où elle entre en nous. Nous ne pouvons
pas
en faire des provisions.
Au moment de dire ces paroles, il faut
déjà
avoir remis toutes nos dettes. Ce n'est pas seulement la
réparation
des offenses que nous avons subies. C'est aussi la reconnaissance du
bien que nous pensons avoir fait, et d'une manière tout
à
fait générale tout ce que nous attendons de la
part des
êtres et des choses, tout ce que nous croyons être
notre
dû, ce dont l'absence nous donnerait le sentiment d'avoir
été
frustrés. Ce sont tous les droits que nous croyons que le
passé nous donne sur l'avenir. D'abord le droit à
une
certaint permanence. Quand nous avons eu la jouissance de quelque
chose pendant longtemps, nous croyons que c'est à nous, et
que
le sort nous doit de nous en laisser encore jouir. Ensuite le droit
à
une compensation pour chaque effort, quelle que soitla nature de
l'effort, travail, souffrance ou désir. Toutes les fois
qu'un
effort est sorti de nous et que l'équivalent de cet effort
ne
revient pas vers nous sous la forme d'un fruit visible, nous avons un
sentiment de déséquilibre, de vide, qui nous fait
croire que nous sommes volés. L'effort de subir une offense
nous fait attendre le châtiment ou les excuses de
l'offenseur,
l'effort de faire du bien nous fait attendre la reconnaissance de
l'obligé ; mais ce sont seulement des cas
particuliers
d'une loi univerdelle de notre âme. Toutes les fois que
quelque
chose est sorti de nous nous avons absolument besoin qu'au moins
l'équivalent rentre en nous, et parce que nous en avons
besoin
nous croyons y avoir droit. Nos débiteurs, ce sont tous les
êtres, toutes les choses, l'univers entier. Nous croyons
avoir
des créances sur toutes choses. Dans toutes les
créances
que nous croyons posséder, il s'agit toujours d'une
créance
imaginaire du passé sur l'avenir. C'est à elle
qu'il
faut renoncer.
Avoir remis à nos débiteurs,
c'est avoir renoncé en bloc à tout le
passé.
Accepter que l'avenir soit encore vierge et intact, rigoureusement
lié au passé par des liens que nous ignorons,
mais tout
à fait libre des liens que notre imagination croit lui
imposer. Accepter la possibilité qu'il arrive et en
particulier qu'il nous arrive n'importe quoi, et que le jour de
demain fasse de toute notre vie passée une chose
stérile
et vaine.
En renonçant d'un coup à tous les
fruits du passé sans exception, nous pouvons demander
à
Dieu que nos péchés passés ne portent
pas dans
notre âme leurs misérables fruits de mal et
d'erreur.
Tant que nous nous accrochons au passé, Dieu
lui-même ne
peut empêcher en nous cette horrible fructification. Nous ne
pouvons pas nous attacher au passé sans nous attacher
à
nos crimes, car ce qui est le plus essentiellement mauvais en nous
nous est inconnu.
La principale créance que nous
croyons avoir sur l'univers, c'est la continuation de notre
personnalité. Cette créance implique toutes les
autres.
L'instinct de conservation nous fait sentir cette continuation comme
une nécessité, et nous croyons qu'une
nécessité
est un droit. Comme le mendiant qui disait à Talleyrand
« Monseigneur, il faut que je
vive » et à
qui Talleyrand répondait « Je n'en vois
pas la
nécessité. » Notre
personnalité
dépend entièrement des circonstances
extérieures,
qui ont un pouvoir illimité pour l'écraser. Mais
nous
aimerions mieux mourir que de le reconnaître.
L'équilibre
du monde est pour nous un cours de circonstances tel que notre
personnalité reste intacte et semble nous appartenir. Toutes
les circonstances passées qui ont blessé notre
personnalité nous semblent des ruptures
d'équilibre qui
doivent infailliblement un jour ou l'autre être
compensées
par des phénomènes en sens contraire. Nous vivons
de
l'attente de ces compensations. L'approche imminente de la mort est
horrible surtout parce qu'elle nous force à savoir que ces
compensations ne se produiront pas.
La remise des dettes,
c'est le renoncement à sa propre personnalité.
Renoncer
à tout ce que j'appelle moi. Sans aucune exception. Savoir
que
dans ce que j'appelle moi il n'y a rien, aucun
élément
psychologique, que les circonstances ne puissent faire
disparaître.
Accepter cela. Être heureux qu'il en soit ainsi.
Les
paroles « que ta volonté soit
accomplie »,
si on les prononce de toute son âme, impliquent cette
acceptation. C'est pourquoi on peut dire quelques moments plus
tard :
« Nous avons remis à nos
débiteurs. »
La
remise des dettes, c'est la pauvreté spirituelle, la
nudité
spirituelle, la mort. Si nous acceptons complètement la
mort,
nous pouvons demander à Dieu de nous faire revivre purs du
mal
qui est en nous. Car lui demander de remettre nos dettes, c'est lui
demander d'effacer le mal qui est en nous. Le pardon, c'est la
purification. Le mal qui est en nous et y reste, Dieu
lui-même
n'a pas le pouvoir de le pardonner. Dieu nous a remis nos dettes
quand il nous a mis dans l'état de perfection.
Jusque-là
Dieu nous remet nos dettes partiellement, dans la mesure où
nous remettons à nos débiteurs.
La seule épreuve pour l'homme, c'est d'être abandonné à lui-même au contact du mal. Le néant de l'homme est alors expérimentalement vérifié. Bien que l'âme ait reçu le pain surnaturel au moment qu'elle l'a demandé, sa joie est mêlée de crainte parce qu'elle n'a pu le demander que pour le présent. L'avenir reste redoutable. Elle n'a pas le droit de demander du pain pour le lendemain, mais elle exprime sa crainte sous forme de supplication. Elle finit par là. Le mot « Père » a commencé la prière, le mot « mal » la termine. Il faut aller de la confiance à la crainte. Seule la confiance donne assez de force pour que la crainte ne soit pas une cause de chute. Après avoir contemplé le nom, le royaume et la volonté de Dieu, après avoir reçu le pain surnaturel et avoir été purifiée du mal, l'âme est prête pour la véritable humilité qui couronne toutes les vertus. L'humilité consiste à savoir que dans ce monde toute l'âme, non seulement ce qu'on appelle le moi, dans sa totalité, mais aussi la partie surnaturelle de l'âme qui est Dieu présent en elle, est soumise au temps et aux vicissitudes du changement. Il faut accepter absolument la possibilité que la partie surnaturelle de l'âme disparaisse. L'accepter comme événement qui ne se produirait que conformément à la volonté de Dieu. Le repousser comme étant quelque chose d'horrible. Il faut en avoir peur ; mais que la peur soit comme l'achèvement de la confiance.
Les six demandes se
répondent deux à
deux. Le pain transcendant est la même chose que le nom
divin.
C'est ce qui opère le contact de l'homme avec Dieu. Le
règne
de Dieu est la même chose que sa protection
étendue sur
nous contre le mal ; protéger est une fonction
royale. La
remise de nos dettes à nos débiteurs est la
même
chose que l'acceptation totale de la volonté de Dieu. La
différence est que dans les trois premières
demandes
l'attention est tournée seulement vers Dieu. Dans les trois
dernières, on ramène l'attention sur soi afin de
se
contraindre à faire de ces demandes un acte réel
et non
imaginaire.
Dans la première moitié de la
prière, on commence par l'acceptation. Puis on se permet un
désir. Puis on le corrige en revenant à
l'acceptation.
Dans la seconde moitié, l'ordre est
changé ; on
finit par l'expression du désir. C'est que le
désir est
devenu négatif ; il s'exprime comme une
crainte ;
par suite il correspond au plus haut degré
d'humilité,
ce qui convient pour terminer.
Cette prière contient
toutes les demandes possibles ; on ne peut pas concevoir de
prière qui n'y soit déjà
enfermée. Elle
est à la prière comme le Christ à
l'humanité.
Il est impossible de la prononcer une fois en portant à
chaque
mot la plénitude de l'attention, sans qu'un changement
peut-être infinitésimal, mais réel
s'opère
dans l'âme.
Voici le compte-rendu des enseignements donnés par le Père Armogathe lors du week-end de théologie à Foljuif les 3 et 4 février 2001. Il a été rédigé par Martin Dumont à partir des notes prises par Cécile Frolet.
La première question est de savoir si l'Écriture est la source de notre connaissance de Dieu, de la Révélation. La réponse des Pères de l'Église et des théologiens médiévaux est unanimement positive. A partir de la Réforme qui insiste sur le recours à la seule Écriture (scriptura sola), les catholiques se méfient de cette solution de l'unique source, et formulent plus précisément le fait que le Parole de Dieu, c'est l'Écriture et la Tradition, qui ne sont pas deux sources distinctes, ni même complémentaires. Les protestants eux-mêmes acceptent bientôt non la seule Écriture mais aussi les conciles des huit premiers siècles comme développement de cette Écriture dans le dogme, mais les théologiens catholiques insistent sur le thème de "l'Écriture reçue dans la Tradition". L'expression, courante au 19ème siècle des "deux sources de la Révélation" est cependant refusée par les Pères de Vatican II, tout comme elle avait été refusée par le concile de Trente.
En effet les deux sources sont communes : la Bible appartient à la Tradition et la Tradition est contenue dans la Bible, ce sont les deux aspects de l'unique Révélation. En effet l'exégèse montre que l'Écriture est déjà le fruit d'une tradition, elle est le récéptacle de traditions orales figées par écrit. Les enseignements de Jésus sont eux-mêmes parfois lecture d'un texte, comme lorsqu'il commente Isaïe à la synagogue1. Il s'agit ici d'une lecture mise en abyme, c'est la proclamation et la lecture d'une écriture et non d'une Parole de Dieu : "aujourd'hui s'accomplit à vos oreilles ce passage de l'Écriture", donc ce que dit le Christ, c'est ce qu'Isaïe a annoncé.
Pour les Pères déjà la Bible n'était pas seulement un livre mais une réalité vivante : "l'Esprit du Christ se trouve dans le Corps du Christ" disait saint Augustin2, et les réformateurs n'entendent pas "sola scriptura" comme seulement un texte, ils y voient aussi un tout. On parlera donc de Parole de Dieu plutôt que d'Écriture, car elle s'exprime dans un texte qui n'est pas qu'Écriture, elle est aussi parole donnée, promesse vécue dans une alliance.
Il y a des grandes religions orientales où il n'y a pas de communication de Dieu aux hommes. En Islam le Coran, dicté par Dieu, est un texte incréé, c'est la lettre du texte qui est essentielle : on a une Écriture mais pas une Parole. Mais dans les religions "occidentales" il y de nombreux moyens de communication entre les dieux et les hommes, par exemple l'oracle de Delphes, medium qui peut rendre intelligibles les messages d'Apollon; il s'agit déjà d'un hieros logos, une parole sacrée. La communication peut aussi se passer de parole, être essentiellement écrite, comme dans la religion romaine où la divination est silencieuse, de même qu'à Delphes il n'y a pas que des oracles mais aussi des messages écrits sur des petits papiers, transcrits par les prêtres. Chez les Hébreux aussi la communication peut se faire par signes (baguettes, etc). Pythagore imposait une discipline de silence pendant de longs mois pour qu'une parole intérieure, celle du dieu, puisse se faire entendre.
La tradition des hébreux d'avoir des porte-paroles de Dieu, qui s'adressent directement au peuple par de longs discours et des gestes prophétiques est dans ce contexte une réelle originalité, d'autant que ces prophètes, d'origine très diverse, n'étaient pas des prêtres. Jean Bottéro3 voit l'originalité du monothéisme d'Israël dans le fait qu'il s'agit d'un Dieu qui parle, et pour dire "je suis le seul" (l'épisode du buisson ardent).
Israël a donc eu une
succession d'hommes et
de femmes que Dieu s'est donnés lui-même comme
porte-parole.
1. Le premier d'entre eux est le prophète
Amos4,
au 8ème siècle, peu culivé. Amos a
conscience de
troubler les règles des corporations de prophètes
institués5,
il souligne que c'est la parole de Dieu qui est en sa bouche, et non
sa propre parole. C'est la plus ancienne occurrence de Dieu intimant
à quelqu'un d'aller parler en son nom.
2. Isaïe était
aristocrate de Jérusalem, il a été
institué
prophète par Dieu lui-même6.
3. Jérémie, paysan-prêtre. Le Seigneur
l'établit "prophète des nations" : "Alors
Yahvé étendit la main et me toucha la bouche. Et
Yahvé
me dit : "voici que j'ai placé mes paroles en ta
bouche"". (Jr 1,9) Le Seigneur est attentif à sa
parole pour qu'elle s'accomplisse : c'est ce que montre la suite du
texte avec le jeu de mots sur "amandier" qui signifie aussi
"veilleur", "le premier debout", parce que c'est
le premier arbre à fleurir : " la parole de Yahvé
me fut adressée en ces termes : "Que vois-tu,
Jérémie?"
Je répondis : "je vois une branche de "veilleur"".
Alors Yahvé me dit : "Tu as bien vu, car je veille sur ma
parole pour l'accomplir" (Jr 1, 12).
Il y a donc une grande originalité des prophètes hébreux. Ils ne constituent pas une catégorie sociale, sont très différents dans leurs manières de prophétiser, leurs biographies, mais ils ont en commun d'être porteurs de la parole de Dieu : c'est la saisie par Dieu de la parole du prophète.
L'expression qu'on y trouve le plus
souvent est
celle de "parole du Seigneur". Elle peut prendre trois sens
:
1. La parole de Dieu comme hypostase de la sagesse, la sophia
des textes alexandrins. Les chrétiens ont longtemps
insisté
sur cette vision de la Parole commme hypostase de la
divinité,
pour la rapprocher du Logos de saint Jean. "justice et
vérité
marchent à côté de lui" : il y a des
éons,
créatures inférieures, indépendantes,
caractéristiques de Dieu qui leur donne l'existence. Cette
vision de la parole de Dieu comme un être en soi,
indépendant,
a donné naissance au mouvement piétiste juif, le
mouvement hassidique. Cette autonomisation peut dégrader la
parole en magie : la parole a une forme magique, on effectue des
calculs numériques sur elle, on la porte comme un
talisman...Il y a toute une série d'histoires concernant le
Baalschemtof (?), maître hassidique de Varsovie au tournant
du
19ème et du 20ème siècle, qui se
fondent sur le
pouvoir qu'ont les lettres de l'alphabet elles-mêmes, car
créées par Dieu. Ainsi le Baalschemtof, vaincu
par un
démon dans un duel de magie se retrouve,
amnésique et
enchaîné nu, sur une île
déserte avec un
petit enfant pour seul compagnon. Quand celui-ci récite les
lettres de l'alphabet, tous les pouvoirs du Baalschemtof lui
reviennent progressivement, parce que ces lettres,
créées
par Dieu, ont un pouvoir propre.
2. La Parole de Dieu : le Dieu
qui parle. Le Dieu qui parle est un Dieu créateur, c'est par
sa parole qu'il crée ("Et Dieu dit : ..." dans la
Genèse). "il parle et cela est, il commande et cela
existe" (Ps 33, 9). La Parole de Dieu devient ce qu'elle dit,
seul l'homme n'est pas créé que de la Parole de
Dieu
mais produit du labeur de Dieu et de son Esprit. Le Dieu qui parle
est aussi Dieu de l'alliance, par laquelle il maintient le monde
qu'il a créé; Dieu donne sa parole, l'engage et
est lié
par elle, il doit la tenir. On peut même lui rappeler la
parole
donnée, l'alliance contractée : "Souviens-toi de
ce que tu as dit à nos pères", "la promesse
faite à nos pères en faveur d'Abraham et de sa
race à
jamais" (Lc 1, 73)
3. La parole peut être la parole
par excellence qu'est le nom de Dieu. Tout le discours
prophétique
est constitué des mille et une manières de
paraphraser
le nom imprononçable de Dieu qui est son identité
même.
La constitution dogmatique de Vatican II est le texte le plus travaillé du concile, il a été étudié tout au long du concile et a été l'objet de polémiques très violentes. Pour le concile de Vatican I avait été préparé un schéma intitulé De fontibus revelationis; pour Vatican II on présente plusieurs textes concurrents, parce que le pluriel du schéma de Vatican I est inadéquat : on propose, entre autres, De revelatione Dei et hominis in Jesu facta (Karl Rahner, jésuite allemand), De traditione et scriptura (Yves Congar, dominicain français). Après des péripéties la rédaction est confiée à une comission restreinte présidée par Mgr Charue, suisse francophone élève du néo-thomiste Charles Journel (auteur de l'Église du verbe incarné).
Le meilleur commentaire sur DEI VERBUM est celui de Henri de Lubac, La révélation divine.
"Dei verbum", c'est le nom du chevalier de l' Apocalypse7, qui porte la Parole de Dieu, c'est-à-dire le Christ. C'est le père de Lubac, un des rédacteurs, qui introduit que la Parole de Dieu, c'est le Christ, la Parole de Dieu est la Vie Eternelle, qui s'exprime par des faits et des mots (contre toute une tradition pour qui la Parole de Dieu c'est seulement les mots). La Révélation divine, c'est l'Incarnation, et non des textes, c'est pourquoi 1 Je 1, 2 est placée en exergue : "nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père et est venue près de nous". Il n'y a plus de distinction entre une "révélation naturelle", par des gestes (les prophètes) et une "révélation surnaturelle", par des mots (le Christ dans les Evangiles). En effet le Christ enseigne aussi par des actes : sa Résurrection est un enseignement en soi. C'est donc l'idée que la Révélation est indissociable du salut, elle n'est pas une connaissance : entendre que Dieu nous aime est porteur de salut. Dès Latran IV est présente l'expression "doctrina salutaris" : l'enseignement du Christ est enseignement de salut, le Christ montre la "via vitae" ("pour nous les hommes et pour notre salut..."). C'est ce que dit saint Jean en 1 Je 5, 11 : "Et voici ce témoignage : c'est que Dieu nous a donné la vie éternelle et que cette vie est dans son fils". Saint Thomas disait que l'objet de la foi, le contenu de la Révélation, est ce qui rend l'homme heureux. Dieu parle pour se révéler lui-même et nous faire connaître le salut, la Révélation n'est pas faite pour que nous nous connaissions mais pour que Dieu se fasse connaître. Ce que Dieu dit en Christ n'a pour norme ni le monde ni l'homme : les interprétations néo-kantiennes du christianisme qui feraient de la Révélation la condition transcendantale de la connaissance de l'homme par lui-même sont une amputation de la Révélation divine. La théologie chrétienne n'est pas une anthropologie, c'est l'inverse : Dieu fait homme nous fait comprendre notre condition, c'est la christologie qui porte une anthropologie; c'est le Christ, Dieu fait homme, qui dévoile l'homme à lui-même en lien avec le dévoilement de Dieu. C'est en répondant à l'appel de Dieu que "l'homme passe infiniment l'homme" (Pascal).
Suivent 6 chapitres :
-La Révélation
elle-même
-La transmission de la Révélation
divine
-L'inspiration divine et son interprétation divine
-L'Ancien Testament
-Le Nouveau Testament
-La Sainte
Écriture dans la vie de l'Église
Le point de départ est cette fois la lettre de saint Paul aux Ephésiens : "Il plut à Dieu de se révéler lui-même et de faire connaître sa volonté" : la fin à laquelle tend la Révélation et le moyen utilisé pour y arriver sont confondus. Dieu, invisible, conduit l'humanité au salut par le Christ et se révèle à elle par le Christ. Le but est donc qu'il y ait "communion" entre l'homme et lui, "communio" des sacrements et "societas" des fidèles, Église, fondée par le dessein commun de Révélation et Salut de ceux qui sont associés pour créer au sein des hommes une société de salut : "convocatio" (ceux qui ont reçu ensemble l'appel de Dieu). L'homme veut connaître Dieu, mais ce n'est pas cette volonté qui fait que Dieu se fait connaître, l'initiative vient de Dieu.
"Dieu s'adresse aux hommes comme à des amis8, pour les inviter à la société avec lui et les recevoir", continue le texte. C'est le Christ qui est le médiateur, en lui se trouve l'unité de l'homme (voir la belle méditation christologique de l'encyclique Mit brennender Sorge : dans toute humanité blessée c'est le Christ qui est blessé, puisqu'il est la concentration de l'humanité). Il n'y a donc pas lieu de distinguer, comme le font par exemple Hegel et Herder, le texte de l'Evangile de son contenu, il n'y a pas un Evanglium Christi et un Evangelium de Christo. Ainsi au début de l'Evangile de Marc, "commencement de l'Evangile de Jésus-Christ fils de Dieu" (ce qui serait l'Evangelium Christi), c'est aussi "commencement de la bonne nouvelle : Jésus-Christ est fils de Dieu" (ce qui serait Evangelium de Christo). La distinction risque de dissoudre le christianisme, qui est "fondé sur le fait de la vie du Christ" (père Rousselet). Il est donc aussi impossible de tenter de réécrire une "Vie de Jésus" unifiée à partir des Evangiles : chacun retient, a retenu des aspects divers de la vie de Jésus selon ses capacités propres, ses attentes, etc, d'où l'importance que l'Evangile soit tétramorphe. Les chrétiens sont ceux qui croient que Jésus a vécu et vit encore. A la différence des autres religions révélées, dans la religion chrétienne c'est une personne qui est "le chemin, la vérité et la vie". Jésus est le seul maître qui se donne comme objet de la vérité. Donc le Christ est à la fois l'Exégète et l'Exégèse des Écritures. Nul n'a vu Dieu, mais le Fils unique qui est dans le sein du Père a été l'Exégète du Père invisible.
2 Tm 3, 16 : "Toute Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, réfuter, redresser, former à la justice", et 2 P 1, 21 :"Ce n'est pas d'une volonté humaine qu'est jamais venue une prophétie, c'est poussés par l'Esprit Saint que des hommes ont parlé de la part de Dieu". L'idée que l'Écriture est inspirée existe donc très tôt, et son interprétation a toute une histoire.
Clément de Rome, dans une de ses lettres contemporaines des écrits les plus récents du Nouveau Testament dit : "Vous vous êtes plongés dans les écritures sacrées, ces vraies écritures données par l'Esprit Saint" (45, 2).
Saint Augustin est un des premiers à parler de "divina scriptura". Jamais la tradition hébraïque n'employerait une telle expression : la Torah n'est pas sacrée, seul l'est Yavhé. On est donc passé de la Parole de Dieu au concept de l'incarnation de cette parole dans l'Écriture, d'où la vénération des chrétiens pour l'Écriture (le lecteur baise le livre après la lecture, on encense la Bible) : ce qu'on peut toucher de Dieu c'est l'Écriture. Le terme de "Saintes Écritures" est donc un terme neuf, étonnant.
Le concept d'inspiration renvoie
à la
tradition platonicienne (le daïmon de Socrate) et à
Philon d'Alexandrie, il est devenu important quand les
communautés
chrétiennes ont voulu constituer leur corpus, en distinguant
notamment :
-les textes deutérocanoniques : livres de la
Sagesse, de Tobie, d'Esther, des Maccabées (1 et 2), qui ne
sont pas dans le canon des Écritures juives
-les
apocryphes, pseudonymes : textes tardifs qu'on a voulu faire passer
pour anciens (par exemple les Actes de Paul datent du
4ème-ème
siècle) en les présentant sous le nom des
Apôtres.
-les textes apostoliques non canoniques, vraiment chrétiens
mais qui n'appartiennent pas au canon.
-l'épître aux
Hébreux, dont Origène déjà
savait qu'elle
n'était pas de saint Paul : c'est un texte canonique
anonyme.
Les gnostiques prétendaient avoir une connaissance particulière des Écritures. Ainsi Marcion voulait retirer du canon l'Ancien Testament et ce qui faisait allusion à lui dans le Nouveau. Irénée de Lyon, disciple de Polycarpe (lui-même disciple de saint Jean) écrit un livre contre la "gnose au nom menteur" (il y a en effet une vraie gnose, celle dont parle saint Jean, qui est la connaissance de la Parole de Dieu) : Contre les hérésies. Irénée emploie l'expression de "Dieu auteur des Écritures"; Grégoire le Grand dans ses Moralia in Job écrit : "par la foi, nous croyons que l'auteur du livre est l'Esprit Saint. C'est donc lui-même qui l'a écrit, lui qui l'a dicté : il l'a écrit lui-même, il a été l'inspirateur de l'oeuvre" (préface I, 2).
Cela devient à partir du 16ème siècle une théorie instrumentale, l'homme devient l'instrument auquel Dieu dicte sa Parole. Mais Pie XII, dans A divino afflente spiritu (1943) parle du scribe comme un "instrument de l'Esprit, mais instrument vivant et doué de raison". Mais en 1950 est reprécisé que ce n'est pas parce que l'écriture doit être étudiée comme un texte écrit par les savants qu'il faut oublier qu'elle est la Parole de Dieu.
Une autre facette de l'inspiration est le lien entre inspiration et genre littéraire (Claude Vigé, Bonnefoy).
Testament est un mot complexe. On trouve dans l'Ancien Testament de nombreux testaments ou discours d'adieu à l'heure de la mort (Isaac Gn 27, Jacob Gn 48 et 49, Moïse Dt 33, Josué Js 23 et 24, Samuel 1 Sm 12, David 1 R 2, Tobie Tb 14, Mattathias 1 M 2, 49-70, etc). En 2 Co 3, 14 on trouve sous la plume de saint Paul la plus ancienne occurrence du terme "Ancien Testament" ("Jusqu'à ce jour en effet lorsqu'on lit l'Ancien Testament ce même voile demeure. Il n'est point retiré : car c'est le Christ qui le fait disparaître").
Le terme de canon vient du grec kanon, issu de la racine sémitique qui désigne le roseau, la canne, comme unité de mesure (cf aussi le canon de Praxitèle comme fixation de mesures pour la sculpture). La mesure du Temple dans Ezechiel (Ez 40, 3sv) se fait au moyen d'un roseau, délimitant donc ce qui est à l'intérieur d'un certain périmètre. Au synode juif de Yavné, environ cent ans après, est fixé le canon juif. La fixation d'un canon peut être vu comme le "certificat de décès de la première littérature chrétienne".
L'histoire de cette fixation est assez
obscure :
-On trouve dans un papyrus du 2ème siècle,
découvert par l'érudit italien du
18ème siècle
Muratori, une liste de 22 écrits
-La 39ème lettre
pascale d'Atanase, de 367, constitue une deuxième
étape.
-En 1546 seulement, au concile de Trente, un concile fixe de
manière définitive le canon des
Écritures.
Le problème qui se pose est
celui des
critères de canonicité des textes : qu'est-ce qui
fait
qu'un texte peut être dit "Parole de Dieu"?.
1.
le critère de l'origine apostolique : Mais
l'exégèse
montre qu'il est difficile de prouver qui a écrit quoi, et
il
y a des textes apostoliques dont on connaît par ailleurs
l'existence (comme sa lettre que Paul évoque en 2 Co 2, 3-9)
et qu'on n'a jamais retrouvés.
2. les critères
internes portant sur des données de fond. Mais ces
critères
sont très subjectifs, comme le montre la tentative gnostique
de Marcion, qui avait pris comme critère la
représentation
de Dieu dans les Écritures ; Dieu étant celui de
Jésus-Christ, il refuse tout ce qui est ou a trait
à
l'Ancien Testament. Luther choisit les textes qui renvoient
à
un mystère central christologique (la lettre de Jacques est
donc refusée).
3. Peut-être le seul critère
à prendre en compte est-il alors fonctionnel : cela renvoie
au
choix de l'Église et à l'usage que fait la
communauté
des croyants de ces textes (puisque ce sont avant tout des textes
d'enseignement). Eusèbe de Césarée
dans son
Historia Ecclesiastica disait déjà de la
deuxième
épître de Pierre : "nous avons appris qu'elle
n'est
pas testamentaire, mais nous l'avons prise en considération
parce qu'elle est utile à beaucoup". (3, 3, 1). Il
appelle non testamentaires les livres non canoniques.
Irénée
n'avait pas de doute sur le fait que les Evangiles n'étaient
qu'au nombre de quatre. Tertullien, au 2ème
siècle
affine le vocabulaire théologique en parlant de "novus et
veterum testamentum", ce qui ne désigne pas seulement les
Testaments comme des discours d'adieux, mais des traités
d'alliance (l'ancienne et la nouvelle alliance).
La crise est ouverte par saint Paul
vis-à-vis
de la Torah, dont il dit qu'elle est mal lue, comme à
travers
un "voile", par les juifs ; il faut donc une herméneutique
(de hermeneuein, interpréter), un mode de lecture
apporté
par le Christ pour lire la Torah en vérité. La
mise en
place de cette herméneutique se fait en
différentes
étapes :
1. Très vite, dès la lettre de
Barnabé, entre les 1er et 2ème
siècles, se
mettent en place des interprétations
allégoriques.
2.
Le dialogue de Justin et Tryphon tente de faire une
interprétation
christologique des Écritures. Justin, converti au
christianisme après une longue quête philosophique
dont
la conversion est pour lui l'aboutissement et qui sera martyr en 165,
dialogue avec Tryphon, un rabbin. Contre Marcion et ceux qui
méprisent l'ancienne loi, il veut permettre aux
chrétiens
de s'approprier toutes les Écritures en montrant que la
Torah
est christologique, parle du Christ, présent dès
la
Création et auprès d'Israël.
3. Irénée
avec son Contre les hérésies
écrit un
traité d'herméneutique pour lutter contre les
gnostiques. Pour lui chaque phrase de l'Écriture doit
être
comprise non seulement dans son contexte immédiat mais aussi
dans celui de toute la Bible, qui doit elle-même
être
comprise dans la tradition de la "regula fidei" transmise
par les évêques.
4. Saint Augustin (De
doctrina christiana l. I et II) établit la
distinction
entre res et signum (signifiant/signifié); entre signum
proprium et improprium (métaphore/allégorie). Le
sens
littéral est celui voulu par l'Esprit Saint, mais l'Ancien
Testament a aussi un sens spirituel pour les chrétiens.
Ainsi
il y a d'autres sens que le sens littéral pour la
Genèse.
Certes celui-ci est le premier, mais il faut nécessairement
en
poser d'autres (De Genesia in litteram).
5. Cette théorie
est systématisée au XIIIème
siècle avec
la théorie des 4 sens de l'Écriture (cf de Lubac,
L'exégèse
médiévale ou les quatre sens
de l'Écriture) : le sens historique,
l'allégorique,
le moral (le choix à faire en fonction d'un moment
précis),
l'anagogique (sens final vers lequel il faut tendre) : littera gesta
docet (le littéral apprend l'histoire), quid credas
allegoria
(l'allégorie, ce qu'il faut croire), moralis, quid agas (le
moral, comment agir), quo tendas anagogia (l'anagogie, ce à
quoi il faut tendre).
6. Avec la Réforme, on assiste à
un retour massif au sens littéral (scriptura sola), et les
catholiques font de même pour échapper
à la
critique littérale. Le problème
Galilée provient
de ce ciseau : d'un côté le discours scientifique
cherche à devenir un discours des origines,
interprétatif,
qui n'est plus seulement description mais étiologie,
recherche
des causes, et de l'autre un rétrécissement du
discours
exégétique sur le sens littéral.
7. Au
19ème siècle Lamenais et d'autres appellent
à
une nouvelle lecture. Mais intervient une nouvelle crise avec le
modernisme, et l'exégèse se resserre à
nouveau
sur un seul discours, le discours scientifique positiviste. Le
modernisme provoque un sursaut scientifique de l'Église,
pour
battre les modernistes sur leur terrain, mais l'encyclique de Pie XII
a libéré de ce scientisme, et de Lubac montre que
l'interprétation littéraliste n'en est qu'une
parmi
d'autre valides.
8. Au 20ème, Karl Rahner a mis
l'accent sur le caractère communautaire des
Écritures,
qui sont envoyées à une communauté (ex
les
lettres de Paul) et sont aussi destinées à la
fonder.
L'Écriture ne répond pas seulement à
un usage
individuel, mais aussi à un usage liturgique, la Parole de
Dieu est ce qui rassemble l'ekklesia (terme qui désigne le
peuple au désert se rassemblant pour écouter la
Parole). L'Eucharistie est, elle aussi, Parole de Dieu.
L'Église
a toujours beaucoup attaché d'importance à ce que
la
Parole soit lue en public, proclamée, annoncée
(et pas
seulement parce qu'à certaines époques peu de
gens
savaient lire!) ; ainsi le terme de "lecteur" désigne
un des grades de l'ordre dans l'Église.
Dans Corpus mysticum, de Lubac dessine les rapports entre Corpus mysticum (l'Église) et Corpus Christi, l'Eucharistie : c'est à la fois l'Eucharistie qui fait l'Église, la constitue, et l'Église qui fait l'Eucharistie : il n'y a pas d'Eucharistie hors de l'Église. La Parole de Dieu tient ensemble les membres de l'Église pour en faire un corps, et nourrit aussi ce corps de l'intérieur. Il n'y a pas de rassemblement sans la Parole de Dieu (lue et proclamée). La proclamation en public de la Parole est au coeur de tout sacrement. En effet la Parole est toujours dès l'origine une parole destinée à une communauté, une parole qui fait société. Mais chaque lecture de l'Écriture m'est adressée personnellement, et elle est toujours nouvelle car c'est l'Écriture elle-même qui renouvelle mon oreille. L'Écriture ravive la présence divine posée en moi par les sacrements.
(Ce paragraphe s'appuie sur l'article de M. Figura, "la sacramentalité de la Parole de Dieu", Communio XXVI, I, janv.-fév. 2001)
L'église chrétienne est "le rassemblement de tous les croyants auprès desquels l'Evangile est prêché dans sa pureté et les saints sacrements sont offerts conformément à l'Evangile" dit la Confession d'Augsbourg (chap. 7). Parole et sacrement sont donc ordonnés dans une unité de tension, tant chez les catholiques que chez les protestants : il n'y a pas d'un côté une liturgie de la Parole, protestante, et de l'autre une liturgie des sacrements, catholique. Les théories linguistiques formées pour comprendre le rôle performatif du langage dans les célébrations, le fait que la forme de la célébration est notamment due aux formules qu'on y prononce, toute une théologie de la liturgie, ont abouti au concept d'une unité périchorétique entre parole et sacrement : une unité où aucun n'est premier par rapport à l'autre, mais il y a priorité de l'un sur l'autre à chaque instant.
Par rapport aux sacrements, l'Église distingue l'opus operatum (sacrement qui fonctionne par soi, quelle que soit la qualité du ministre) et l'opus operantis, sacrement où la qualité du ministre joue un rôle. Dans le sacrement ex opere operato , le célébrant n'a qu'à faire ce veut l'Église, même s'il n'a plus la foi. Cependant d'autres activités ne peuvent être que ex opere operantis, par exemple la prédication. Le sacrement a son efficace de la forme (la formule) et de la matière (par ex l'eau pour le baptême). Il y a une deuxième distinction, qui recoupe la première, entre la validité d'un sacrement (ex opere operato) et sa licéité (ex opere operantis). Le premier aspect du sacrement souligne qu'il n'appartient pas au ministre mais au Christ, les sacrements sont ceux du Christ, mais le deuxième aspect c'est que l'Église a été instituée pour recevoir les sacrements. Il y a donc toujours une tension entre l'urgence de pouvoir donner les sacrements aux fidèles et l'obligation de contrôler que ce sont bien les sacrements du Christ que l'on donne.
Le sacrement certes a une dimension
sensible et
corporelle que n'a pas la Parole; la prédication s'adresse
à
l'entendement et le sacrement au corps même.
Néanmoins
il y a présence de l'Écriture Sainte dans tout
sacrement, qui n'est pas qu'un acte mécanique : la
proclamation de la Parole de Dieu vivante est au coeur du sacrement.
Martin Dumont
Rompant le traditionnel cycle des pélés talas (Compostelle, Assise, Terre Sainte et Rome), la situation en Terre Sainte risquant de nous obliger à tronquer le pèlerinage prévu1, les talas sont partis au mois d'août en Pologne, sous la férule de Damien, éminent spécialiste des rapports de l'Église et du Parti communiste après 1945 en Pologne2 depuis une année passée à Varsovie. Munis d'un si bon guide, toutes les portes de la Pologne se sont ouvertes à nos yeux émerveillés, d'abord à Cracovie durant une semaine chargée en visites (le château de Wawel, la vieille ville de Cracovie, les mines de sel de la Wielicka, etc), puis à pied sur les routes de Cracovie à Czestochowa en compagnie de mille deux cents étudiants venus de toute la Pologne. Le monastère de Jasna Gora, à Czestochowa, haut lieu de la nation polonaise et de sa résistance spirituelle, draine vers lui chaque année des milliers de Polonais venus se recueillir devant l'icône de la Vierge Noire; nous avons mis nos pieds dans leurs traces durant une semaine de prière et de chants.
Après une semaine un peu "touriste", qui nous avait cependant déjà plongés dans la vie polonaise, nos rudimentaires connaissances en polonais firent un bond (mesuré, néanmoins...) lors du pélerinage lui-même, qui nous a vraiment permis de prendre la mesure de la vitalité de la foi chrétienne en Pologne, et d'en repartir raffermis et grandis. Le premier choc eut en réalité lieu à Cracovie même, quand, suite à des problèmes d'horaires du père Armogathe, qui finissait de son côté son deuxième roman de science-fiction à une terrasse ombragée en sirotant une salutaire et ambrée Okocim, nous avons assisté à une messe de semaine à l'église des Dominicains de Cracovie. Deuxième messe du mardi soir dans une des nombreuses églises de Cracovie, avant une troisième une heure plus tard : difficile pourtant de trouver une place assise! Nous avons tout de suite été guéris de nos clichés de petits Européens de l'Ouest sur la prétendue religiosité purement sociologique et rituelle des Églises d'Europe de l'Est, et vu que nous aurions beaucoup à apprendre, pour la vie de nos propres communautés, de la ferveur polonaise. Cette foi nous fut immédiatement perceptible malgré la barrière de la langue par la beauté de la liturgie. Tous nous sortîmes avec l'impression d'avoir profondément communié dans cette célébration; l'étrangeté de la langue nous avait au contraire conduits au coeur de la messe, puisque chacun nous devions en faire la transposition mentale dans les structures que nous connaissions, guidés par la beauté des chants et la ferveur de l'assistance, attentifs désormais à d'infimes détails particulièrement perçus et dont la portée nous avait jusque là échappé... Voilà qui promettait le meilleur pour la semaine de marche!
À l'heure des comptes les piqûres de moustiques, innombrables comme les succès d'Ulm aux inter-Ens, la pluie et la fatigue ne comptent plus rien face à la richesse des rencontres avec les étudiants polonais. Le pèlerinage, organisé à la manière du pèlerinage étudiant de Chartres3 nous faisait marcher par groupes d'une centaine. Le nôtre, "international", regroupait des polonais parlant français ou anglais et une dizaine de hongrois. Y sont nées des amitiés solides auxquelles nous espérons bien pouvoir donner d'une manière ou d'une autre des prolongements. Sur la route l'accueil était impressionnant, avec des habitants groupés au bord de la route qui nous saluaient, donnaient qui de l'eau, qui des pommes, etc. À chaque étape les plus chanceux étaient logés également chez l'habitant, occasion là encore de s'émerveiller du soutien apporté par les polonais à ce pèlerinage étudiant, et de la gentillesse de leur accueil.
Nous eûmes bien sûr à coeur de nous illustrer par un tempérament rebelle aux services d'ordre, quittant parfois le bruit des hauts-parleurs le temps de nous retrouver en queue de peloton pour un partage d'Évangile, dire les offices4, chanter. Mais nous fûmes bientôt intégrés à la vie du groupe par les traductions d'enseignements polonais que faisait Damien, les enseignements du père Armogathe (en anglais!) ou l'animation des chants, qui permit à certains de faire briller leur voix de crooner. Après une mémorable interprétation des "Champs Élysées" de Joe Dassin pendant une veillée festive nous étions définitivement adoptés.
Il est impossible de résumer les innombrables discussions, des échanges sur nos études aux plus hautes sphères théologiques, que nous eûmes entre nous et avec les Polonais, et encore plus pour moi de donner un aperçu exhaustif de ce que tous ont vécu différemment, mais il est certain que ces deux semaines d'amitié dans la prière, la découverte d'un pays et de sa beauté, nous ont tous donné, chacun à sa manière, une nouvelle envie d' « avance[r] au large »5 dans notre vie de chrétiens!
M.D.
La théologie calvinienne est réputée austère, voire désespérante: on ne veut souvent y voir qu'un développement laborieux de la fameuse doctrine de la prédestination, que Calvin n'a pourtant nullement été le premier à exposer. S'il est vrai que ce réformateur éprouvait un infini respect de la majesté et de la puissance du Seigneur et insistait sur ce point peut-être davantage que d'autres théologiens, il n'en débordait pas moins d'amour pour ce Dieu assurément lointain mais qui se laisse connaître par ses oeuvres merveilleuses. C'est ce que montre cette prédication fondée sur le livre de Job, plus spécifiquement sur les chapitres 32 à 41, où Élihou essaie, par son discours, de ramener Job dans l'adoration du Seigneur avant que Dieu lui-même ne s'adresse au malheureux pour lui révéler sa gloire. Sans doute un tel passage, où se trouve exprimée avec force toute la distance qui sépare le pécheur de son Père, ne pouvait qu'impressionner vivement Jean Calvin, qui nous apparaît ici comme un prédicateur sensible, amoureux de la Création et soucieux d'y trouver comme une leçon du Seigneur à l'intention de chacun d'entre nous.
Nous voyons que Dieu a si bien disposé le monde que rien plus. Voilà une sagesse admirable, nous y devons être ravis: il y a une vertu infinie en ce que Dieu maintient, et conserve ce qu'il a fait, et que le tout est soutenu en son état. Car il semble bien que ce soit chose impossible.
Voilà donc comme nous devons adorer Dieu en sa puissance. Il y a aussi sa bonté. Car pourquoi a-t-il fait le monde? Pourquoi l'a-t-il rempli de tant de richesse? Pourquoi l'a-t-il ainsi orné? N'est-ce pas pour déclarer son amour envers les hommes, et même sa miséricorde? Comme il est dit aux Psaumes, qu'elle s'étend jusqu'aux bêtes brutes. Et que sera-ce donc de nous, qui lui sommes beaucoup plus prochains, et où il a mis plus de noblesse sans comparaison? Voilà donc la bonté de Dieu qui se montre et déclare: nous voyons sa justice, comme il veille sur ses créatures, qu'il a le soin de nous: et cependant nous voyons ausi d'autre côté ses jugements, nous voyons qu'il gouverne le monde d'une façon si admirable, qu'encore que les méchants ne cherchent qu'à y mordre, si faut-il qu'ils demeurent là confus. Apprenons donc de mieux appliquer notre étude à contempler les oeuvres de Dieu; quand le soleil luit, sachons que Dieu allume cette clarté-là, afin qu'en contemplant et le ciel, et la terre, et toutes choses qui y sont contenues, nous soyons conduits à lui, que nous lui fassions hommage des biens qu'il nous élargit, que rien ne nous empêche qu'ils soient bien notés et marqués de nous. Voilà Dieu qui veut que nous comprenions quel il est, non pas que nous puissions venir jusqu'au bout de cette sagesse (car c'est un abîme trop profond), mais tant y a que selon notre mesure il nous faut être diligents, et mettre peine que nous soyons bons écoliers de Dieu.
Jean Calvin, 46ième sermon sur le livre de Job
Le poème suivant, selon qu'on le lit verticalement ou horizontalement, n'a pas le même sens...
J'abjure maintenant |
Rome avec sa croyance |
Calvin entièrement |
j'ai en grande révérence |
J'ai en très grand mépris |
la messe et tous les saints |
Et en exécration |
du pape la puissance |
De Calvin la leçon |
reçois en diligence |
Et ceux qui la confessent |
sont heureux à jamais |
Tous damnés me paraissent |
le pape et ses sujets |
Oui Calvin et Luther |
je veux aimer sans cesse |
Brûleront en enfer |
ceux qui suivent la messe. |
1Nouveau testament - Traduction Oecuménique de la Bible, Éditions du Cerf - Les Bergers et les Mages, Paris : 1980, pp. 57
3Nouveau testament - Traduction Oecuménique de la Bible, Éditions du Cerf - Les Bergers et les Mages, Paris : 1980, pp. 58
4Merci à l'équipe de Bible Time (http://www.bibletime.info/) et à son outil d'étude biblique, qui ne tourne malheureusement que sous KDE, un environnement de Gnome-Linux.
5http://www.eglise-armenienne.com/Spiritualite/Notre_Pere.htm
6voir http://hrodland.free.fr/cris_et_ecrits/jesus-dit-001.html
7Évangile de Thomas, phrase 113, Jean-Yves Leloup, 1986, collection « Spiritualités vivantes » Albin Michel
8http://www.eglise-armenienne.com/Spiritualite/Notre_Pere.htm
9Collectif et Evêques des Pays-Bas, Le Cathéchisme Hollandais, Une introduction à la foi catholique, Idoc France, Paris : 2ème trimestre 1968, p.165
10Nouveau testament - Traduction Oecuménique de la Bible, Editions du Cerf - Les Bergers et les Mages, Paris : 1980, pp. 57-58
11Nouveau testament - Traduction Oecuménique de la Bible, Editions du Cerf - Les Bergers et les Mages, Paris : 1980, p. 232
12http://www.eglise-armenienne.com/Spiritualite/Notre_Pere.htm