Couverture de
Puisque rien ne dure






Dans sa robe noire, bien en vue parmi quelques nouveautés, il attire mon regard. Son titre évoque le temps qui passe, la fragilité de la vie. Au dos, ces quelques lignes :

« Je meurs voilà ce qu’elle m’écrit Vincent je meurs viens me voir viens me revoir une dernière fois que je te voie que je te touche que je t’entende viens me revoir Vincent je meurs. Et au bas de la feuille, en tout petit, presque illisible, son prénom, Geneviève, tracé lui aussi au crayon à papier, comme le reste de la lettre, de la même écriture tremblante, défaillante, si ce n’avait pas été ces mots-là on aurait pu croire à l’écriture d’un enfant, on aurait pu sourire, froisser la feuille, la jeter à la poubelle et l’oublier ; mais non, ce n’est pas un enfant, c’est Geneviève qui meurt. »

qui ne sont que reprise du début du texte. Un peu pour conjurer le sort –certain prénom m’est bien trop cher– je décide de le prendre. Je l’ai lu d’une seule traite.

Nous sommes en présence, en fait, d’un roman gigogne. Le titre évoque le temps qui passe, l’introduction l’agonie d’un être. Rien n’est faux, mais le véritable sujet de ce roman, c’est, vu au travers du regard d’un père et d’une mère, la souffrance d’avoir perdu leur enfant, et le déroulement possible de la vie après un tel évènement.


« Vincent roule à vive allure sur l’autoroute. Il va à la rencontre de celle qu’il a aimée, Geneviève, qui se meurt. Sur la route, Vincent repense au passé. À ce qui, quinze ans auparavant, a détruit leur couple. A ce qui les unit au-delà de la mort. Il repense à Clara, leur enfant disparu, à son corps jamais retrouvé, à la douleur jamais éteinte qui a consumé leur amour. Face au drame, Geneviève a choisi la solitude, consignant sa souffrance dans des carnets, comme si l’écriture la maintenait en vie, tandis que Vincent a tenté d’oublier. De prendre la fuite. Mais tous deux partagent pour la vie un malheur inhumain. Lorsque Vincent rejoint Geneviève, c’est une femme rongée de peine et de tristesse, mais aussi une femme qui s’apaise et veut affronter le passé. Dans les derniers gestes, dans les ultimes paroles qui accompagnent la mort, Geneviève et Vincent se retrouvent, et Clara, leur petite fille, revit au fil des souvenirs. Le temps est venu pour Vincent de se réconcilier avec la vie.

Dans un souffle brûlant et avec une bouleversante retenue, Puisque rien ne dure dit la douleur de perdre un enfant. En laissant la parole au père et à la mère, Laurence Tardieu fait entendre la souffrance qui emmure, incompréhensible pour les autres, l’irrémédiable cassure du couple, la façon dont chacun supporte le malheur. Dans ce texte poignant, la vie et la mort sont indissociables, comme l’ombre et la lumière. »

(http://www.editions-stock.fr/livre/stock-246481-Puisque-rien-ne-dure-hachette.html)


Transition

Auteur(s) :

Laurence TARDIEU
Laurence Tardieu est née en 1972 à Marseille. Elle a publié deux romans : Comme un père (2002) et Le Jugement de Léa (prix du roman des libraires Leclerc 2004), parus chez Arléa. Elle est également comédienne.


Références bibliographiques :

Editions Stock, Paris, 2006, 132 pages

Transition

Extrait :

Me voilà de nouveau à ses côtés. Elle a les yeux fermés. Je lui prends la main.

- Veux-tu que nous montions dans ta chambre?

Elle me fait signe que non. Je vais chercher une autre couverture et j'en recouvre son corps. Ses lèvres sont grises, son visage a une pâleur de cire. Elle retient ma main un instant contre elle, puis la relâche. Elle a l'air à bout de forces. J'ouvre le recueil au hasard, me penche vers elle et commence à lire :

Puisque l'aube grandit, puisque voici l'aurore,

Puisque, après m'avoir fui longtemps, l'espoir veut bien
Revoler devers moi qui l'appelle et l'implore,
Puisque tout ce bonheur veut bien être le mien,

C'en est fait à présent des funestes pensées,
C'en est fait des mauvais rêves, ah! c'en est fait
Surtout de l'ironie et des lèvres pincées
Et des mots où l'esprit sans l'âme triomphait.

Je la regarde : elle a rejeté la tête en arrière. Sa bouche est entrouverte. Il émane d'elle une telle impression d'abandon que je reste un instant les yeux rivés sur elle, incapable de reprendre ma lecture. Cette fois, je sais que ce sont nos derniers instants ensemble. Ma gorge se serre. Ne pas céder aux larmes que je sens monter à mes paupières. Je fixe le grain de beauté noir de son cou, de toutes mes forces, jusqu'à ce que ma vue se brouille. C'est alors que j'entends sa voix, un déchirement:

- Comme c'est beau !

Je lève les yeux sur elle : son visage est celui de la joie. Je reste saisi. Je n'ose pas bouger, à peine respirer. Elle est en train de s'en aller, et son départ est un envol. Ses lèvres murmurent quelque chose que je ne comprends pas mais que je devine :

- Continue.

Je reprends le livre. Mes mains tremblent.

Je ne peux pas. Je ne peux pas.

Je la regarde encore : elle attend. Alors, me redressant soudain pour retrouver mon souffle, sans savoir si je pourrai aller jusqu'au bout, je lis, un mot après l'autre, avec lenteur et détermination :

Arrière aussi les poings crispés et la colère
A propos des méchants et des sots rencontrés
Arrière la rancune abominable! arrière
L'oubli qu'on cherche en des breuvages exécrés !
 
Car je veux, maintenant qu'un être de lumière
A dans ma nuit profonde émis cette clarté
D'une amour à la fois immortelle et première,
De par la grâce, le sourire et la bonté...

Je prononce le dernier mot du poème dans un souffle. La joie n'a pas quitté son visage. Je me penche vers elle et je murmure :

- Le corps s'en va mais l'âme est éternelle.

Il me semble, mais je me trompe peut-être, que tout son corps a tressailli. Je l'enlace. Geneviève. Quelque chose brûle en moi, que je n'ai jamais éprouvé : cela ressemble à un feu de douleur et de joie.
 
Et c'est à ce moment, comme je serre Geneviève contre moi et que je dépose un baiser sur ses paupières closes, sans savoir si elle peut encore en éprouver la douceur, que le visage de Clara surgit devant mes yeux, aussi vrai, aussi réel que si mon enfant se tenait à mes côtés. C'est la première fois que je revois ses traits avec une telle netteté. L'image est d'une telle violence que je laisse échapper un gémissement, comme si on m'avait atteint en plein cœur. Je dois m'agripper au bras du fauteuil pour ne pas chanceler. Geneviève est restée immobile : sans doute ne m'entend-elle plus. Après quelques secondes l'image s'évanouit mais dans ma tête demeure un éblouissement. Les larmes coulent en silence le long de mes joues. Cette fois, je ne fais rien pour les retenir: Geneviève est déjà trop loin pour risquer de les surprendre. Je pleure à côté de Geneviève qui s'en va et qui ne sait pas que je pleure, je pleure, seul, je pleure parce que je suis impuissant à retenir Geneviève et que, au moment où je la perds, je retrouve le visage de ma fille que je croyais effacé en moi à tout jamais. Comment la vie peut-elle, dans le même mouvement, retirer et donner ?
pages 120 à 123

Transition

Sois sage ô ma douleur et tiens toi tranquille, parce que c'est la seule manière pour moi de tenir debout, je le sais, la seule manière.
 

Transition