Couverture de Morts violentes à la Doutre
Morts violentes à la Doutre




Ballade à Angers, le vieux quartier de La Doutre. Des noms de rues, citation de quelques monuments, une atmosphère. On regrettera peut-être le manque de détails sur les lieux parcourus ; ceci est un roman policier, pas un guide touristique. Pour en savoir plus, se rendre sur place !

Meurtrie par la vie, Léa Vaulandry s'est réfugiée à Angers, dans le quartier de la Doutre, où elle vit sans espoir, au jour le jour. De son côté, le capitaine de police Stan Kaziewicz, dont la mère est mourante, vient d'être muté au S.R.P.J. de la même ville. Les chemins de ces deux personnages vont se croiser, suite à une série de meurtres qui ensanglantent la Doutre.
Tueur en série ? Règlement de comptes ? Qui saigne à mort ces quinquagénaires bourgeois à la vie privée pas toujours reluisante ? Stan Kaziewicz va tenter de démêler les fils de cette affaire bien embrouillée, où s'enchevêtrent prostitution masculine, harcèlement et corruption.

Comme tout roman policier, nous baignons dans l'invraisemblable. Le monde du crime est-il bien vraisemblable ?  Une oeuvre agréable, qui se lit facilement.


Transition

Auteur(s) :

Fanny LESTRANGE
A aussi commis, entre autres : La Berlue onfrayenne, En toute inconscience, Poings sensibles

Références bibliographiques :

Seringa, 2004, 288 p.
http://www.seringa.net/

Transition

Extrait :

Page 126
Voilà pourquoi il aimait tant évoluer parmi des gens dévoués à endiguer les souffrances de leurs semblables : médecins, personnel infirmier . Cela lui procurait la douce certitude que les citoyens du monde n'étaient pas tous mauvais. Voir s'agiter autour de malades éperdus le bourdonnement de ruche de la machine hospitalière lui semblait toujours une expérience ultra-enrichissante. Moins, bien sûr, quand l'un des malades était votre proche parent. Mais ce n'était pas suffisant pour gâcher le plaisir qu'il éprouvait à être là, au CHU de la Ville d'Angers, exactement au confluent de deux fleuves complémentaires, tout comme la Maine et la Loire, un peu plus bas sur la carte : le flot des misères du corps se jetant dans celui des bienfaits de la charité.
En outre, au centre de cette vaste cité hospitalière angevine, battait un coeur qui en était en quelque sorte la meilleure métaphore : une chapelle dédiée à Sainte-Marie, celle que les chrétiens supplient depuis deux millénaires de prier pour eux, pauvres pêcheurs. Stan avait contemplé la coupole de ladite chapelle avec une profonde satisfaction intérieure. Un coeur, oui, enfermé dans un autre plus vaste, comme ces poupées russes qui s'accueillent les unes les autres avec un humble et docile sentiment de solidarité. Et à l'intérieur de ce coeur, ultime cadeau pour le pélerin de toutes les douleurs qu'il était, qu'il voulait ne jamais cesser d'être, de jolies fresques du XIXe siècle récemment restaurées. Que demander de plus pour se sentir au mieux en accord avec le monde, au diapason de ce que son espèce avait produit de meilleur, le Beau mêlé au Bien ?

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Page 128
- Je ne m'ennuie jamais, dit sombrement sa mère. Depuis le temps que je n'attends plus rien de la vie ! C'est ceux qui espèrent qui s'ennnuient. Quand on rêve pas, on trouve pas la vie ennuyeuse. et puis j'aime autant qu'elle soit plus là, Pierrette. Elle part, je le sens bien, et moi aussi. Ca aurait fini par devenir sinistre. On aurait même plus eu le coeur à se chariboter ! De toute façon, ne te fais pas de bile, le cancer c'est une bête qui chôme pas, le lit sera bientôt occupé par quelqu'un d'autre qu'il aura recruté.
Après un silence, elle ajouta :
- Qu'est-ce que tu veux ! Quand ils sentent venir la fin, dans les hopitaux, ils se croient obligés de mettre les mourants tous seuls, pour ménager une certaine intimité à la famille qui est censée se presser à leur chevet. Moi, je n'ai que toi, alors... Ca prendra pas beaucoup de place, surtout que tu es si discret ! Bon sang, qu'est-ce que j'aimerais fumer ! Ca devrait être autorisé, la dernière cigarette du condamné. De la condamnée... Condamnée à l'ultime boéte, comme dirait Pierrette. Oui, en tout et pour tout je n'ai que toi, Stan, pour ce dernier bout de route.

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Page 130
- Elle va y passer avant moi, Pierrette, déclara sentencieusement Evelina. Elle rêve d'épouvantails, c'est ce qu'elle m'a dit, juste avant son opération ! Pourtant, le docteur Hardelot lui a bien dit que c'était une intervention de deux heures au plus... destinée à la soulager... Rien à faire ! Elle n'en sort pas de ses épouvantails !
- Quel rapport ? s'étonna le policier.
- Une de ces histoires qu'elle m'a racontées, répondit sa mère d'une voix presque gourmande, se délectant de son érudition régionale d'Angevine d'adoption.
- Vas-y, dis-moi, demanda machinalement Stan.
- Quand quelqu'un de ton entourage est pour mourir, expliqua Evelina, il faut construire un épouvantail à son image, et confier à cet épouvantail tout ce que tu peux avoir de rancoeur contre l'agonisant. Comme ça, il s'en va en paix dans l'autre monde, le mort... De ça, au moins, on ne lui tiendra pas rigueur.
Elle regarda son fils sous le nez, un certain temps. Alerté par ce silence, il abaissa sur elle ses prunelles céruléennes, contemplant la vieille femme chétive qui se tassait, diaphane, presque tranlucide, au fond de ce lit d'hôpital. Il devina le sens de l'examen muet qu'il subissait.

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Page 132
Stan haussa les épaules sans répondre. Depuis quand mourir accompagné soulage-t-il la douleur du mourir ? Est-ce que lui, fils unique de cette femme atteinte d'un mal incurable, est-ce que lui pouvait se vanter de lui être d'un réel réconfort, dans son état ? « Si l'on se marie et que l'on fait des enfants quste pour ne pas mourir seul, alors il n'y a pas de regret à avoir d'être resté célibataire. Je me fous éperdment d'avoir quelqu'un pour me tenir la main au moment suprême. » Il songea brusquement aux deux cadavres qui faisaient l'objet de son enquête actuelle. Le corps exangue de ces hommes, répandu sur le bitume avec un mauvaix goût ostentatoire, alors que leur extence s'était tout entière écoulée dans le confort discret et le savoir-vivre bourgeois... C'était la seule façon de mourir dont Stan n'aurait pas voulu : tué par la main d'un autre être humain. Sinon, quelle importance ? Au seuil de la mort, on est toujours seul, plus encore sans doute d'être entouré d'une foule de proches bien vivants. Et quand bien même certains préféraient « passer » dans une pièce emplie de tous leurs parents, est-ce que ce genre de « consolation » est forcément du goût de ceux dont on l'exige ?

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