Couverture de

"Le septième jour il se reposa"
A l'instar de Dieu. Ou de l'écrivain. Ou des deux.
L'écrivain, le Créateur.
En sept jours, comme autant de chapitres de la naissance d'un monde,
Jean-Jacques Nuel raconte la création du livre que vous tenez entre
vos mains. Et ce livre, comme la Création, n'est autre qu'un assemblage
de nombres.
Un nom.
Derrière l'ironie mordante du roman de Jean-Jacques Nuel se cache
une tendresse tout aussi acide.
Et l'amour d'un monde.
D'un nom.

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Auteur(s) :

Jean-Jacques NUEL
Jean-Jacques Nuel est né le 14 juillet 1951 à l'Hôtel-Dieu de Lyon et vit encore dans cette ville. Après avoir publié des recueils de poèmes, il se consacre à l'écriture de textes courts, de nouvelles et de récits.
Aucun autre incident de sa vie ne lui semble vraiment notable.

Références bibliographiques :

Editions A contrario, 2005

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Extrait :

L'auteur imaginait déjà le nom dans le dictionnaire; un lexicographe pressé lui demandait de préparer une fiche sur ce nouveau vocable, d'en donner l'étymologie et le sens, la date d'apparition, la phonétique, les éventuels synonymes, d'en décliner le sexe. Si, pour l'origine et le sens, il pouvait reprendre ce qu'il avait un jour lu dans deux dictionnaires étymologiques des noms de famille à la bibliothèque municipale (un nom qui pourrait, selon le premier dictionnaire, qui paraît, selon le second, représenter un diminutif de nu, latin nudus, au sens de pauvre, dépouillé, misérable), il s'avérait nettement plus difficile d'attribuer un genre à ce substantif. Pour le nombre, il relevait à l'évidence du singulier (la dernière lettre n'était pas un s, marque ordinaire du pluriel, ni un x, et le mot n'avait pas l'allure d'un pluriel irrégulier), mais pour le genre: masculin ou féminin? Le doute était permis. Jusqu'à présent, la question ne s'était pas posée. Comme l'auteur n'avait pas eu à faire précéder le nom d'un article, ni d'un déterminant démonstratif ou possessif, ni à l'accompagner d'un pronom personnel, ni à le faire suivre d'un adjectif, ni à l'insérer dans une phrase complète, bref à le mettre en situation grammaticale et logique, la réponse ne revêtait pas un caractère d'urgence. Mais il était bon d'y réfléchir pour ne pas être pris en défaut le jour venu. Spontanément, l'auteur aurait accordé au nom son propre genre, le masculin, le viril, puisqu'il était un homme et que le nom s'accorde à la chose qu'il désigne. Mais, imagina-t-il, une femme, portant le même nom (de naissance ou d'alliance), aurait pu en être tout aussi bien l'auteur. Un transsexuel, également. Il aurait donc voulu lui attribuer un genre neutre, mais celui-ci n'existant pas dans la langue française, il décida finalement qu'à l'instar de quelques mots si rares qu'ils forment un club (après-midi, après-guerre, alvéole, enzyme, palabre.. .), le nom aurait les deux genres, mâle et femelle, femelle et mâle, comme certains êtres ont une double nationalité.

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Lettre à l'auteur,

11 mars 2005
Bonjour,
Ca y est, je l'ai reçu. Et je l'ai lu, d’un seul trait.
Il y a une semaine de cela, le facteur l’a délicatement déposé dans ma boite à lettres. Impatient de voir ce que vous nous aviez concocté, sitôt reçu, je l’ai extrait de son emballage. Premier contact plaisant, instant sacré : découvrir le livre objet, le sentir, le soupeser, l’ouvrir, le feuilleter. Un instant privilégié, magique. La mise en bouche, avant la rencontre avec l’auteur. Pour moi, cette rencontre est essentielle. Rencontrer un livre, c’est rencontrer une personne, la découvrir, l’écouter aussi, peut-être l’apprécier. Le rapport que j’entretien avec les livres (je parle ici des vrais livres, œuvres d’art, qui ne sauraient devenir produit industriel, même si leur diffusion passe nécessairement par une forme d’industrie) est assez proche de celui que j’entretiens avec la musique, la peinture. Même un roman, si léger soit-il, peut être image, expression, appel de son auteur. De la rencontre vécue pourra naître une découverte, une évolution de ma propre pensée, une remise en cause, un approfondissement, une justification, une expression différée.
Premier contact, donc. Une présentation sobre, élégante par sa simplicité. La robe est noire, mate, sans prétention. La couverture eût été glacée, brillante, mon impression en aurait été tout autre, certainement beaucoup moins favorable. Nice to meet you !
Bâtir un roman sur un nom, voilà une idée originale, bien dans la ligne du « Nouvel Usage de l’Ecriture et du Langage », si chère à mon cœur. De même, l’idée d’écriture automatique, un peu folle certes, amusante.
Le sens du nom m’était connu : sans doute bénéficions-nous de sources proches. Mais transformer ce nom propre en nom commun, je n’y avais pas pensé, convaincu que j’étais de sa pérennité, de sa quasi-immortalité, de l’importance de sa relative rareté. Mais l’introduction de ce nouveau mot dans un dictionnaire garantie-t-elle une conservation sans faille du mot ?
Vous auriez pu ajouter quelques autres particularités du nom, plus fragrantes encore écrites en « Arial » (ma police préférée), police plus droite, plus « technique » que « Times New Roman ». Aviez-vous remarqué que le « u » n’est qu’un « n » renversé (en vice versa), le « n » bien ancré en terre, le « u » les bras accrochés au ciel ? Dans sa forme manuscrite, le « e » n’est-il pas un « l » miniature, comme si notre nom s’élançait (encore) vers le ciel, prenait de la hauteur. Dans le même ordre d’idée (le regard tourné vers le ciel), le « nuel » d’  « Emmanuel » est-il à mettre en relation avec « Dieu » ou « avec nous » ? Je ne connais malheureusement pas l’hébreux mais, quoi qu’il en soit, les deux notions sont intéressantes. N’y trouvons nous pas à tous coups l’humanité qui est la nôtre ?
Je saute directement à la fin –je ne vais tout de même pas détailler tout le livre, chapitre par chapitre– qui pourrait paraître morbide. Le passage au cimetière, réaliste (autobiographique ?), trouve bien sa place. Je n’accorde habituellement pas grande place aux cimetières : « laissez les morts avec les morts » Cependant, trouver la trace de ses ancêtres, et visualiser la place qui est la sienne, gravée dans la pierre, les noms alignés en forme d’arbre généalogique est une idée que je ne saurais rejeter a priori. Aujourd’hui, le seul lieu où mon nom est gravé, c’est celui où repose ma fille Blandine. Mon souhait est bien, le jour où je la rejoindrai, que nous soyons enfin réunis. Les dates seront certes mélangées, j’imagine bien ce début d’arbre généalogique que vous décrivez.
Faut-il voir la finale de votre ouvrage avec optimiste ou pessimisme ? Le retour de l’auteur vers une écriture « classique » est-il un retour dans de vieilles ornières, un retour à une vie plus ordinaire, la sortie d’un moment de folie, la mort d’un utopisme ? L’avenir nous le dira peut-être ?
Voilà. Ce livre n’emportera sans doute pas de ces grands prix qui font le commerce. Il aura toujours mon suffrage. Je le proposerai à mes enfants, à mon entourage. Je continuerai aussi à visiter régulièrement votre blog, à qui il manque un espace d’échange, de réaction instantanée.
 

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Message de J.-J. NUEL

30 avril 2005
Cher Roland,
Le Magazine littéraire de mai consacre un article (ci-dessous reproduit) à mon roman Le nom.
C'est pour moi une très grande joie, et une bonne nouvelle pour les jeunes éditions A contrario.
Merci encore pour vos dernières impressions de lecture.
Amitiés,
Jean-Jacques

*

Dans le Magazine littéraire de mai, sous la signature de Claude Mourthé, un article sur Le nom :

"De nos jours, après avoir longuement contemplé les rayons de sa bibliothèque souvent embryonnaire et assisté à quelques émissions pseudo-littéraires à la télé, l'auteur débutant s'installe bravement devant son ordinateur, acheté à crédit, et fouille dans ses souvenirs d'enfance ou ses expériences amoureuses pour transcrire deux cents pages qu'il envoie ensuite en moult exemplaires aux éditeurs dont il a répertorié les noms. Avant de se morfondre durant des mois dans l'attente d'une réponse généralement négative.
Jean-Jacques Nuel, lui, n'a pas d'inspiration. Tel Jean-Pierre Léaud articulant inlassablement le sien devant la glace, dans Baisers volés, tout ce qu'il trouve à confier à son cahier A4 à spirale et à grands carreaux, c'est son nom, sans se lasser d'admirer l'équilibre de ses deux consonnes et de ses deux voyelles. En espérant qu'il figurera un jour dans Le Petit Larousse et dans le Who's who. Le nom est l'oeuvre du temps. Ne peut-on pas rêver qu'il soit aussi un mot de passe vers la gloire ? Ne ferait-il pas bonne figure sur la couverture d'un livre, ce nom, qui n'est pas un nom commun ? Mais qu'écrire au-dessous ? L'oeuvre peut-elle se limiter à ces quatre lettres somme toute banales ? Eh bien, le miracle, c'est que l'auteur, Nuel donc, arrive à maintenir l'attention durant 140 pages avec son seul patronyme, ce "moëllon élémentaire", et une virtuosité que n'eût pas reniée Perec. Nom-brilisme ? Si l'on accepte de le suivre jusqu'au bout, et c'est facile car il écrit bien, on se rend compte qu'il s'agit là d'un véritable roman, avec un univers précisément décrit. La première personne incarnée. Mais l'égotisme dont on aurait pu l'accuser au début n'est qu'une façade, son prétendu manque d'inspiration un leurre. En se livrant, sur quatre lettres, à une multitude de variations, il parvient à créer une oeuvre véritable, avec à la fin une bonne petite morale s'inscrivant tout naturellement dans le seul décor où le nom subsiste, gravé : un cimetière. Ainsi nous nous trouvons à la fois sur la tombe de la littérature - car Nuel en profite pour tailler un costume aux éditeurs potentiels - et aux sources mêmes de l'écriture. C'est ce que l'on appelle un tour de force, et l'auteur va sûrement s'en faire un. De nom."

Le nom, Jean-Jacques Nuel, Éd. À Contrario, 16 €.