Couverture : La complainte des enfants frivoles

Présentation par l'éditeur :

Cette complainte à multiples couplets que nous fredonne cet enfant frivole de Vialatte est un lâcher de senteurs : effluve de l'encre, parfum de l'éponge, odeurs de préau. Vialatte vous vend la fragrance du passé dans un grand flacon qui a la forme d'un pupitre. Son âge d'or est fait de rentrées des classes, d'automnes à recoins mystiques où se troquent de minces secrets enrobés dans du papier d'argent, de pèlerines à l'abri desquelles se trament les contrebandes enchantées de l'enfance. Vialatte n'a jamais réellement déserté le préau aux sortilèges et cette complainte qu'il moud tel un très vieil orgue de barbarie sonne comme une récréation éternelle.

Souvenirs, souvenirs... Alexandre se souvient. Nous participons à sa longue rêverie, longue comme un jour sans pain, comme l'éternité de la vie, de la mort. On dit que les histoires les plus courtes sont souvent les meilleures. Mais comment mieux rendre la nostalgie du temps passé, de sa jeunesse égarée, autrement que par cette longue plainte ? Heureusement, la nostalgie s'efface peu à peu, au fur et à mesure que les personnages prennent vie. On y rencontre surtout un certain Quiquandon, personnage important, marquant, professeur d'allemand, qui, semble-t-il, enseigne essentiellement une philosophie très personnelle. Son enseignement me rappelle, obsédé que je suis, un certain professeur de rencontre toute récente -voir : Michel ONFRAY, Antimanuel de philosophie. Vialatte nous montre l'influence, ici néfaste, d'un certain mode d'enseignement, imposé à de jeunes esprits pas ou mal préparés :

« Enfant, on ne cesse de crier à nos oreilles, comme si l'on versait dans un entonnoir, et l'on nous demande seulement de redire ce que l'on nous a dit. Je voudrais que le précepteur change cela, et que dès le debut, selon la capacite de l'esprit dont il a la charge, il commence à mettre celui-ci sur la piste, lui faisant apprécier, choisir et discerner les choses de lui-même. Parfois lui ouvrant le chemin, parfois le lui laissant ouvrir. Je ne veux pas qu'il invente et parle seul, je veux qu'il écoute son élève parler à son tour. Socrate, et plus tard Arcesilas, faisaient d'abord parler leurs élèves, puis leur parlaient à leur tour. « L'autorité de ceux qui enseignent nuit généralement à ceux qui veulent apprendre (Ciceron [13],I, 5.) » (Montaigne, Essais , Livre 1, Chapitre 25 - Sur l'éducation des enfants)

Bien que d'écriture ancienne, ce livre est encore d'actualité ; si on en croit les discours de certain Président et son Ministre de l'Education, il pourrait même nous parler d'avenir...

Transition

Auteur(s) :

Alexandre VIALATTE
Alexandre Vialatte est né le 22 avril 1901 à Magnac-Laval (Haute-Vienne). Chroniqueur quintessentiel dans La Montagne, introducteur de Kafka dès 1925, traducteur singulier de Nietzsche, billetiste rare dans des mensuels comme Adam et Arts Ménagers dans les années 60. Cet original inclassable, ce blessé en verve, ce maître en pensées télescopées meurt auvergnat à Paris le 3 mai 1971.

Références bibliographiques :

Le Dilettante, 1999, 256 p.
Transition

Extraits :

Pages 9 à 11
PREMIER ROMAN, DERNIER PARU

ALEXANDRE VIALATTE en avait tant parlé qu'on croyait qu'il n'existait pas! Écrit autour de 1925, en Allemagne, La Complainte des enfants frivoles est son premier roman. Il se situe entre Ligier-Lubin1 (vers 1920) et Battling le ténébreux (1928). Négligé par son auteur, enseveli peu à peu parmi des centaines de dossiers, ce manuscrit aura affronté jusqu'au bout un sort contraire.

C'est ainsi que son présent éditeur, pourtant l'homme j'affaires le plus méticuleux du Xllle arrondissement, l'ayant lu et approuvé, l'égara. « Ma femme l'a sûrement rangé », m'expliqua-t-il. Comme je le rappelai à quelque temps de là, il me fit part des vastes recherches qu'il avait entreprises. Sans succès.

Mais il ne regrettait pas sa peine car, me dit-il, cela lui avait permis de découvrir « d'autres choses ». En attendant, nos « Enfants frivoles» jouaient encore à cache- cache, à soixante-quinze ans, derrière les piles de livres de sa librairie.

J'étais mal placé pour lui faire le moindre reproche. Car, ce manuscrit, je l'avais eu sous les yeux pendant un bon quart de siècle, je le regardais et je ne le voyais pas. Si bien sous mes yeux que j'en avais même extrait un chapitre, mis à part par l'auteur, L'Auberge de Jérusalem, publié en 1986 au Dilettante.

Cette longue éclipse de manuscrit demeure pour moi un mystère. Était-ce de ma part distraction ou paresse, frivolité ou presbytie ? Ou bien... On ne m'ôtera pas de l'idée qu'il s'agit d'un nouveau tour de M. Panado.

En découvrant ce premier roman d'Alexandre Vialatte, ses « habitués» éprouveront un sentiment de réminiscence paradoxal. C'est que des lieux, des personnages, parfois leurs noms mêmes, auront ressurgi dans les œuvres suivantes, groupés autour de l'indestructible Frédéric Lamourette (dont Battling n'est qu'un avatar). Ici, déjà, on trouve la dame du Job, le bouquet de roses jeté par la fenêtre ouverte de l'étrangère, le chien abattu d'un coup de feu, Salomé, le grenier enchanté de l'épicier, cent autres choses...

En prime, inattendue, une femme nue. Très convenable. (À l'instar sans doute de cet oiseau rare découvert par notre auteur dans une petite annonce: « On demande femme nue présentée par ses parents.») D'un érotisme glacé car la scène se passe dans la neige. De toute façon, les femmes nues, énormément peu fréquentes dans l'œuvre de Vialatte, y gardent un air infiniment convenable. Lily possède d'ailleurs une excellente santé et malgré son bain de neige n'est même pas enrhumée. Le roman peut continuer.

PIERRE VIALATTE.

1. Cahiers Alexandre Vialatte, n° 17 (1990). Un ensemble de textes qui, malgré leur cohérence, ne forment pas encore un roman.

En haut...
Pages 83 à 88
Le prophète

LE LENDEMAIN, vers 3 heures de l'après-midi, Quiquandon entra dans la chambre de Jérusalem pour lui demander un petit sapin.

- Un petit sapin ?

- Oui, je l'ai acheté à votre père. Il m'a dit que vous auriez la bonté d'aller le couper.

- C'est entendu, monsieur, déclara Jérusalem. Il s'apprêtait à partir quand Quiquandon dit :

- Un moment !

Il ajouta au bout d'une pause :

- Monsieur, ne vous attendez pas de ma part, pour le service que vous nous avez rendu hier, à des remerciements excessifs. Les jeunes gens de votre âge ont trop coutume de s'exagérer à leurs propres yeux le mérite de leurs actions et de se tromper sur la valeur de leurs actes. Il ne serait pas bon qu'à votre âge vous vous fassiez sur votre moi des idées fausses. Le courage physique est un minimum puéril et méprisable ; le réel, le vrai, le substantiel, l'enrichissement intérieur de la personnalité humaine, ce que j'appelle « der Sieg des Inhalts », exige de bien autres épreuves, et c'est à la lueur des lampes qu'il faut marcher, au plus secret de sa subconscience, à la recherche de ce moi subtil, fuyant, indéfinissable au début, qui glisse comme une anguille entre vos mains de novice, et luit pourtant, terra incognita de votre âme, au milieu des sentiments classifiés et de la matière banale des phénomènes psychiques simples, comme les pays inexplorés peints en blanc au milieu de l'Afrique sur les cartes de géographie.

- Mais, monsieur, dit Jérusalem, je ne pense pas avoir fait preuve d'un grand courage en descendant chercher vos amis ; je connais l'endroit par cœur; et je ne cherche pas mon moi.

- C'est votre tort. Sans doute vous nous avez sauvé la vie. Est-ce là un si grand avantage ?

- Mais, monsieur...

- Un moment. Suivez-moi bien. Je répète : sans doute, vous nous avez sauvé la vie. Est-ce là un si grand avantage ? Il y a longtemps que nous attendons la mort. Schopenhauer nous l'a dit depuis longtemps; le néant est préférable, et vous vous en rendrez mieux compte à mesure que vous vivrez. À Berlin, monsieur, nous sommes beaucoup à avoir saisi l'importance de ce dogme vraiment essentiel; nous attendions depuis des années la fin du monde et nous nous proposions même de célébrer cet événement avec une pompe spéciale, dans l'atmosphère solennelle qui convient aux cataclysmes équitables, dans le triomphe irradiant d'une introspection définitive. La fin du monde était le premier acte justifiable de la Providence, sa première manifestation de bonté en même temps que la faillite d'une œuvre mauvaise, la fin louable du jeu pervers d'un mathématicien désœuvré, bref l'abjuration solennelle de Dieu reniant son activité nocive. Stengler, l'astronome, le prophète, un homme extraordinaire, monsieur, avait réussi à fixer la date exacte de la chose. Mais il s'était trompé dans ses calculs pour la première fois de sa vie; de peu, d'ailleurs, monsieur, d'un siècle. Qu'est-ce qu'un siècle dans des calculs qui portent sur des trilliards de quintillions de milliasses d'années ? Ne l'accusez donc pas de charlatanisme, l'avenir vérifiera son calcul comme il a vérifié tous les autres. Nous nous réunissons dans une cave immense, une cave cimentée, antiseptique, exécutée d'après un plan de Bruves, l'architecte expressionniste, pour la vente des ouvrages de la maison Schnorr sur le subconscient. C'était-là, monsieur, que nous réalisions mes expériences de psychochimie appliquée sur des sujets en catalepsie. Nous avons fait là des choses incroyables; vous n'imaginez pas à quoi peut arriver un subconscient de luxe soumis à un entraînement rationnel et scientifique. J'ai vu les portes de l'au-delà s'ouvrir dans leur gloire devant une petite vendeuse de chez Wertheim, nous l'avions coiffée de violettes, la seule fleur qui n'intimide pas les corps astraux... Cette petite fille et un lapin noir que nous appelions Astaroth, voilà bien les deux meilleurs sujets que j'aie rencontrés dans ma vie... Oui, nous l'avions couronnée de violettes; à la lueur d'une lampe à acétylène, c'était un spectacle étonnant. On l'a trouvée morte depuis dans le lit d'un vieux monsieur paralytique qui tirait la langue comme un bouledogue et qui avait pris dans la mort un teint lilas... Nous obtenions des résultats remarquables...

- Pourtant, monsieur, dit Jérusalem, la fin du monde n'est pas arrivée ?

- Voilà bien, déclara Quiquandon, la pauvre logique française. Un moment. (I1 disait cela en levant l'index de la main droite, d'une façon très particulière qui donnait au mot dans ses discours une signification presque inquiétante.) En effet, je vous ai déjà dit que Stengler s'était trompé dans ses calculs, une simple erreur de virgule. Mais l'important n'était pas là. D'ailleurs, pour ne pas avoir fait en vain nos préparatifs, nous avons quand même célébré la cérémonie. David Meyer, le compositeur, nous avait fourni un oratorio formidable et un Monologue de l'Ectoplasme qui, accompagné de tableaux vivants, a eu depuis le plus saisissant succès au « Zirkus pour la noblesse ». Détail. L'important, je vous l'ai dit, n'était pas là, mais dans cette exaltation raisonnable, cet enthousiasme fécond, cette orgie de science et de rêve, cette richesse que nous accumulions en nous comme une électricité surhumaine, et cette consolation immense... Béni soit Stengler qui nous a tous trompés. Malgré la déception suprême, nous avons connu des instants éternels qui nous soutiennent toujours, dans ces heures que quelques insensés appellent belles par ignorance, mais qui renferment pour l'initié le goût empoisonné de la friandise qu'on donne au chien pour l'attacher. Vous êtes peut- être un peu jeune, monsieur, pour m'entendre, cependant à dix-sept ans j'avais déjà mon opinion sur le monde.

Il ajouta au bout d'un moment :

- Avez-vous des rapports physiques fréquents avec les femmes ?

Jérusalem, ahuri, ne sut que dire.

- Très important pour le pédagogue. Nous poursuivrons cet entretien.

Et il disparut, après avoir incliné la tête, d'un pas automatique et lent.

*

Ces calculs qui se trompaient de cent ans, ces pessimistes impatients attendant dans une cave bétonnée la fin du monde comme un tramway auquel on fait signe de se hâter : il était près de se moquer. Et puis il pensait au ton de Quiquandon, à cette voix autoritaire qui martelait le discours pour énoncer des dogmes irréfutables, et il le trouvait odieux. Mais cet accent sourd, décisif, ces lèvres minces, cette basse profonde et rauque, harmonieuse cependant, ces gestes hiératiques et orgueilleux, cette foi en soi, cette infaillibilité hautaine, et la lourde plasticité de sa parole, cet art de parler avec insistance de choses difficiles à exprimer, c'était peut-être la Science. Il en ressortait une admiration ou un malaise - surtout après cette question bizarre dont il ignorait la raison -, suivant qu'il le regardait de face ou de profil; ce mélange de visionnaire, de poète, de médecin, de philosophe, de confesseur, d'artiste et de pédagogue le déroutait, mais l'obsédait, bien qu'il en eût. Le fiancé de la dame du Job... Il se sentait pris dans l'ombre glacée d'un fantôme géométrique. Il n'y échappait pour un instant qu'en songeant à Lily, encore cette idée le ramenait-elle à l'autre. Quiquandon avait créé l'obsession. « C'est une personnalité », comme dirait le principal, pensa-t-il sans arriver à sourire ; un malaise plutôt.

... Ces lunettes noires, ces lèvres minces, la fantasmagorie troublante des noms étrangers qui donnaient à ses discours le parfum de l'aventure... Et cette petite fille couronnée de violettes, toute nue, toute blanche, dans une cave en béton, sous le pinceau lumineux d'une lampe à acétylène... Il vit brusquement, en fermant les yeux, la dame du Job qui passait toute nue sur la plate-forme de la Roche noire, couronnée de violettes qui répandaient l'odeur d'ail de l'acétylène, et un phare d'auto envoyait sur sa poitrine un rayon en forme de cœur.

En haut...
Page 105
[…] Il s'excusa de ne pas venir à table et s'apprêtait à repartir quand Mme Jérusalem l'interrogea :

- Êtes-vous bien remis de cette chute, monsieur ?

- Je vous remercie, madame; cela va beaucoup mieux.

- Il faut reprendre des forces. Vous allez peut-être encore loin ? À Ribert, sans doute ?

- L'homme sait-il où il va, madame ? Nous sommes aiguillés dans l'existence comme sur une voie de chemin de fer dangereuse, privée de signalisation; nous ignorons jusqu'au nom des stations qu'il nous faudra atteindre. Où vais-je ? Où allons-nous ? Sauriez-vous me le dire, madame ? Je vous en serais bien reconnaissant.

- Ma foi, monsieur, dit Mme Jérusalem en coupant du lard dans la poêle, si vous n'en savez rien, vous qui êtes un savant, ce n'est pas moi qui peux vous l'apprendre; chacun va où il peut; pour ma part, j'espère bien aller en paradis revoir ma pauvre mère quand le bon Dieu voudra de moi; mais si vous parlez de ce bas monde, Ribert est un bien beau pays, pas si beau que Clermont bien sûr, mais bien plus riche que le nôtre ; il y a un théâtre chauffé où l'on joue quatre fois l'an la comédie avec des acteurs de Clermont, et le maire qui est une forte tête a promis le tramway pour dans trois ans.

En haut...
Pages 186 à 187
Cependant, l'opinion publique grondait. Les bruits qui couraient en ville sur le collège ne tendaient à rien moins qu'à le faire prendre pour une maison de débauche, un asile d'aliénés, une sorte de signe précurseur de la fin du monde. Notre vieux bahut dansait sur la sous-préfecture comme une barque sur un océan en furie. À la barre, Quiquandon livide, rigide, suffisant, se tenait en jaquette au centre d'une petite lueur violette visible seulement les jours de grand naufrage. En ville, on l'appelait l'Antéchrist. Après avoir épuisé la question du suicide, il avait abordé d'une main pesante et scientifique la question du problème sexuel, « pivot de toute philosophie sensée »; il commentait les rêves d'une façon freudienne et disséquait le subconscient de Lamourette auquel il découvrait les « complexes » les plus rares; il lui faisait tenir un compte détaillé de ses songes et concluait de l'apparition dans ses rêves d'une locomotive ou d'un acrobate à un léger penchant pour l'inceste et à des besoins anormaux. Mais ce qui le tua dans l'opinion publique, ce fut que, non content de s'attaquer à la vie et à la pudeur, il osa s'en prendre aux convenances bourgeoises. Il alla jusqu'à prêcher contre l'argent. Un jour, il recueillit une pauvresse. C'était une provocation sans précédent.
En haut...
Pages 244 à 245
Il est étendu, la face couverte d'un mouchoir, sur le lit de sangle, dans son costume aux palmes d'or; il est entré dans la mort en uniforme, à 10 heures du matin un jeudi, comme dans un collège austère pour une consigne éternelle : as-tu gagné, Lamourette ? Par la porte vitrée une figure te regarde, floue, à travers la vitre inégale, on dirait une face de noyé. Quatre cierges, de l'eau bénite, et cette femme, tordue comme le bois de la vigne, qui sanglote, qui sanglote à rendre l'âme. Est-ce qu'elle va mourir aussi ?

La flamme des cierges a vacillé, un courant d'air a agité le mouchoir brodé sur ta figure, une grande ombre s'est posée sur le lit de sangle, éteignant les reflets des bottines et la flamme des boutons dorés. Lamourette dort dans cette ombre comme un moissonneur sous un noyer. C'est Quiquandon, sur la pointe des pieds, qui a fini par entrouvrir la porte. Il me semble voir ses yeux derrière ses lunettes noires, je ne les ai vus qu'une fois; il a la conjonctive toute rouge, on dirait des yeux de lapin blanc. Cherchait-il à se justifier devant l'irréparable ? Je crois qu'il éprouvait obscurément un grand besoin de tutoyer du mystère et de se donner des bons points. Il a refermé doucement la porte. Il est resté encore un instant le nez collé contre la vitre, comme une tache ovale et blanche. Il a contemplé encore un instant le pauvre cadavre irréfutable comme le propriétaire d'un grand cru contemple une bouteille de sa marque dans une vitrine, à la bonne distance. La flamme des cierges dans la lumière avait la couleur des roses trémières, on n'en voyait pas la partie bleue, elle flottait sans attache, dans le vide, comme les langues le feu de la Pentecôte dans le Catéchisme expliqué. Les reflets bleus étaient revenus sur les bottines, les points dorés sur les boutons. Tous les anges du désespoir romantique, Werther et Kleist et Maria Lux et tous les autres, étaient là sans doute, invisibles, pour escorter leur camarade, ceux dont les corps dorment au fond du Rhin, verts et gonflés, ceux dont la tempe est percée d'un trou, ceux dont les lèvres...

« Mon Dieu, pardonnez-nous nos péchés... »

Il est mort. Sur nos cœurs la vie oblitère une date, au timbre sec, frappant fort. Quel est ce message intransmissible que nous enfermons dans nos âmes ?

En haut...