L'Evangile au risque de la psychanalyse, tome 1
L'Evangile au risque de la psychanalyse, tome 1



Lire les évangiles est déjà un risque. Les lire au travers du filtre de la psychanalyse, est-ce bien raisonable ?
Françoise DOLTO, comme bien d'autres, est freudienne. Mais saviez-vous que Jésus de Nazareth avait « inventé » Freud. Non ? Ignares !
Vous ne saviez donc pas que le Père est créateur de toutes choses ? Vous ignoriez que, trinité oblige, Père, Fils et Esprit sont UN ?
C'est quasi la même chose, et c'est pas pareil... Faut donc tout expliquer ?

Bon, soyons sérieux :

« En lisant les évangiles, je découvre un psychodrame. Les mots mêmes avec lesquels ils sont racontés, la sélection des phrases, le choix de certains thèmes peuvent être entendus d'une autre manière depuis la découverte de l'inconscient et de ses lois par Freud. Les découvertes actuelles de la psychanalyse, dialectique et dynamique de l'inconscient, sont illustrées par ce psychodrame qu'on nous relate.
A l'élaboration des évangiles président, entre autres, les lois de l'inconscient de Jésus, des rédacteurs et des premiers auditeurs. Ces lois font partie intégrante de la structure de ces récits. Pourquoi ne pas aborder leur lecture avec ce nouvel outil  : la psychanalyse ? »
Françoise Dolto

Vous ne croyez pas aux miracles ? Ce n'est pas bien grave, les explications du phénomène sont dans le texte. Ainsi du mort ressucité : il dormait. Et ainsi du reste, une approche différente, parfois déroutante, d'une sélection de textes des quatre évangélistes officiels.

Et si tout se résumait à une sexualité mal assumée, à des désirs inassouvis, à des frustrations ? N'oublions pas, c'est une analyse freudienne à la mode Dolto qui nous est ici proposée, avec ses partis pris, ses limites. Cela donne aussi, une vision assez juste -d'aucuns diront partiale- des églises d'aujourd'hui.

Transition

Auteur(s) :

Françoise DOLTO, Gérard SÉVÉRIN
Françoise DOLTO est née MARETTE à PARIS le 6 novembre 1908. Elle décéda le 25 aoùt 1988. Médecin pédiatre et psychanaliste, elle fut l'auteure de nombreux ouvrages (voir http://www.francoise-dolto.com)

Références bibliographiques :

Editions du Seuil, 1977, 192 p.

Transition

Extraits :

Pages 9 - 10
GÉRARD SÉVÉRIN (G.S.) :
C'est rare de rencontrer des psychanalystes qui, en public, se disent croyants et chrétiens. C'est rare de rencontrer une psychanalyse qui accepte de dire et d'exposer sa foi en l'Évangile. C'est vraiment très rare qu'une psychanalyste ne refuse pas que soit mis en livre et livré le fruit d'années de vie spirituelle et d'expérience humaine clinique.
Pourquoi consentez-vous à révéler votre manière de vous réjouir ou de jouir de votre rencontre avec l'Évangile de Jésus-Christ?

FRANÇOISE DOLTO (F.D.) :
Dans mon enfance j'écoutais à l'église les textes des évangiles - ou je les lisais - comme des passages d'une histoire, celle de Jésus et du monde de son temps et de ces lieux de soleil.
Cela se passait « dans le temps », comme disaient, dans ma famille, les vieilles personnes qui parlaient de leur enfance, mais encore plus avant. Cela me faisait rêver, et puis les images, les tableaux me prouvaient que cela faisait rêver tout le monde et chacun se représentait son mode d'y rêver. Mais pour moi, je ne voyais aucun lien entre ces récits et le vivre autour de moi et en moi des gens, ceux de la hiérarchie d'église ou les « fidèles » comme on disait.
Et puis, j'ai grandi, comme on dit encore, j'ai souffert, j'ai été psychanalysée, je suis devenue médecin et psychanalyste. Les textes sacrés de notre civilisation helléno-judéo-chrétienne m'ont de plus en plus paru très importants.
La Bible, les évangiles se sont mis à me questionner et moi à réagir à leur lecture. Je m'étonnais de ce rebondissement d'intérêt au fur et à mesure de l'expérience de la vie, et surtout de la clinique psychanalytique, de la découverte de la dynamique de l'inconscient tel que ,- depuis Freud nous en découvrons la force et en décodons les lois. II me semble de plus en plus que ce que nous découvrons de l'être humain, ces textes le charrient et le donnent à entendre. Ça parle dans ce trésor de mots assemblés.
En haut...

Pages 10 - 11
G.S. : Mais comment en êtes-vous venue à envisager de donner à lire vos réflexions sur ces textes ?
 
F.D. : Un jour, rencontrant Jean-Pierre Delarge à un dîner, je ne sais comment, la conversation tombe sur la parabole du « Bon Samaritain » et son illustration du « prochain », par lesquelles Jésus nous enseigne qui aimer. Je disais qu'il ne s'agissait pas d'une morale, d'actes volontairement et consciemment engagés, mais d'une école du désir inconscient à laisser advenir - non d'une école où l'on devrait forcer le désir à se contraindre et puis jouir de son acte charitable comme d'une conquête et puis encore viser à répéter des actes faussement charitables, non plus que critiquer ceux qui, à nos yeux, manquent de charité. Ce mode de lecture dont je témoignais paraissait nouveau à ceux qui étaient là et je me sentais une « barbare » au milieu de ces chrétiens instruits : j'admirais le texte de cette parabole pour de tout autres raisons qu'eux.
Le texte de cette parabole ne me semblait pas du tout en accord avec la morale dite chrétienne qu'on en avait tirée mais révélateur d'une dynamique inconsciente de solidarité entre des humains qui se méconnaissent, s'ignorent, comme d'une dynamique cohésive interne révélée à chacun de nous.
Il me semblait que cette leçon nous révélait une articulation quasi sacrée entre l'amour et la liberté pour ce qui est de la relation entre individus, et entre le senti- ment de liberté et le sentiment d'aimer pour ce qui est de chacun de nous dans notre structure psychique de sujet désirant.
Ce jour-là, Jean-Pierre Delarge me dit : « Il faut écrire cela.» J'ai tenté de le faire. Pendant des années, j'ai écrit et raturé. Seule, cela me paraissait difficile, sinon impossible. C'est alors que je vous ai parlé de ce projet, à vous, Gérard Sévérin, un soir que nous dînions chez vous. Intéressé, vous vous êtes proposé à m'y aider, vous qui êtes aussi psychanalyste et qui, par votre propre désir, étiez aussi passionné de cette recherche; et votre femme nous y a aidés, elle aussi, en mettant sur papier nos échanges parlés autour du magnétophone.  
En haut...

Pages 12 - 13
L'Église, en son temps, ne pouvait admettre les découvertes de Copernic ni celles de Galilée à sa suite. Et pourtant, qu'y avait-il là de contradictoire au message de la Bible? C'était, pour moi, la même aventure avec la découverte du rôle de l'inconscient dans la structure du psychisme et de ses processus structurants de l'être humain tels que la psychanalyse nous les fait comprendre. L'Église et les « fidèles » « résistaient » devant les découvertes de Freud. Le pansexualisme ! Pensez donc : l'abomination. Et pourtant, moi je constatais que Freud et les recherches engagées à sa suite avec sa méthode prouvaient chaque jour l'existence de cet inconscient, de ce désir à l'œuvre dans un être humain, dans sa vérité sans masque, plus vraie que chez tant de ces êtres moraux, policés, tristes et raidis dans des comportements dits vertueux, privés de spontanéité, de joie et du respect de cette nature qui est en l'homme.
Cette éducation dite chrétienne, reçue par tant de nos patients, je l'ai découverte ennemie de la vie et de la charité, en contradiction totale avec ce qui m'avait paru message de joie et d'amour, autrefois, dans les évangiles. Alors, je les ai relus et ce fut le choc.
Rien de ce que l'Église du XXe siècle enseignait à ceux qu'elle formait ne me paraissait contenu ni dans la Bible ni dans les évangiles. Rien du message du Christ n'était en contradiction avec les découvertes freudiennes. Du coup, me voilà décidée à continuer cette lecture.
En haut...

Pages 13 - 14
La vie, l'effet de vérité toujours nouvelle que la fréquentation des évangiles engendre dans le cœur et l'intelligence sont un appel, au jour le jour renouvelé, à dépasser nos processus logiques conscients. Ce sont les mêmes mots et ils semblent toujours révéler un sens nouveau au fur et à mesure de notre avancée dans notre temps, au décours de nos expériences. C'est cela qui me passionne.
Les évangiles ne cessent de nous questionner, quelles que soient les réponses déjà trouvées. Ces textes, ces suites de mots, comment se fait-il donc qu'ils fassent choc à notre conscience et ondes de choc jusque dans l'inconscient, y ressourçant joie et désir de connaître, de connaître ce royaume de Dieu? Voilà bien des raisons d'oser publier mes réflexions. Il y a certes nombre de motivations, dont la psychanalyse nous révèle que chacun de nous y participe, mais en ignorant une bonne part, et qui certainement sont narcissiques, et pourquoi pas ?
Lire les évangiles c'est entendre de ceux qui l'ont vu, entendu, et en témoignent, cet être de chair, Jésus, lorsqu'il vivait sur terre en son individuation à nos yeux disparue. Il parle à mon être actuellement individué. Il parle à mon cœur et incite mon intelligence à l'entendre et à désirer sa rencontre.
Et vous, là où il est, où nous le cherchons, ne désirez-vous pas, comme moi, advenir, puisque tous il nous a conviés, les enfants, les barbares, les paumés, les instruits, tous, par ses mots et ses actes, jalons de l'itinéraire à suivre jusqu'à la fin des temps ?
En haut...

Page 21
G.S. : Joseph est un homme sans femme. Marie est une femme sans homme. Jésus est un enfant sans père. Peut-on alors parler de vraie famille ?

F.D. : Oui, on peut parler de vraie famille, au point de vue de la responsabilité devant la loi.
La famille animale n'existe pas devant la loi. La famille est un terme humain qui entraîne devant la loi la responsabilité réciproque des parents pour l'éducation d'un enfant. De la famille découlent aussi la participation aux biens, à la fortune commune du groupe ainsi qu'à ses épreuves communes et une manière de vivre et de parler accordée aux mœurs du groupe.
Mais votre question vient de ce que, dans cette partie des évangiles, il y a du mythe.

G.S. : Mais alors, qu'est-ce qu'un mythe pour vous ?

F.D. : C'est une projection des imaginaires préverbaux, du ressenti du vivre dans son corps. Quand je dis mythique, je dis au-delà de l'imaginaire particulier de chacun; c'est une rencontre de tous les imaginaires sur une même représentation.

G.S. : On peut préciser aussi que le mythe nous dit toujours comment quelque chose est né. Ici, nous assistons à la naissance de Jésus-Christ et du Nouveau Testament.
Le mythe participe aussi du mystère, c'est-à-dire qu'il révèle une vérité. Ce mythe des origines du christianisme est riche et lourd de sens.
En haut...

Pages 22 - 23
Que savons-nous avec nos connaissances biologiques, scientifiques, de l'amour et de son mystère ? Que savons-nous de la joie ? De même, que savons-nous de la parole ? N'est-elle pas fécondatrice ? N'est-elle pas parfois porteuse de mort ?
Que savons-nous de cette extraordinaire alchimie qu'est la greffe chez les végétaux, phénomène pourtant naturel. Déjà Virgile en avait chanté le prodige ! Il parle de la vigne greffée, étonnée de porter sur ses branches des fruits qu'elle ne reconnaît pas !
Et si la parole reçue par Marie était l'instrument de la greffe de Dieu sur ce rameau de David ?
Et, même s'il n'en est pas ainsi, que Jésus, en tant qu'homme, soit conçu de la rencontre charnelle de Marie et de Joseph, je n'y vois au fond aucun inconvénient ! En effet, ce n'est pas cette rencontre charnelle qui a fait que son destin d'homme incarne totalement Dieu.
Vous comprenez donc que toutes les discussions gynécologiques concernant la Vierge m'apparaissent comme des ergotages imbéciles, de même les sous-entendus moqueurs touchant le statut marital de Joseph.
En haut...

Pages 73 - 79

Résurrection du fils de la veuve de Naim

Évangile selon saint Luc Lc 7,11-16

En ce temps-là, Jésus se rendait à une ville appelée Naim. Ses disciples et une foule nombreuse marchaient à sa suite.
Comme il arrivait près de la porte de la ville, il se trouva qu'on emportait un mort, fils unique de sa mère, et celle-ci était veuve : beaucoup de gens de la ville l'accompagnaient.
Le Seigneur, l'ayant vue, fut touché de compassion pour elle, et lui dit: « Ne pleure pas. » Puis. s'étant approché, il toucha le cercueil. Ceux qui le portaient s'arrêtèrent. Et il dit: « Jeune homme. lève-toi, je te l'ordonne. » Aussitôt, le mort se mit sur son séant et commença à parler. Et Jésus le rendit à sa mère. Tous furent saisis de crainte et ils glorifiaient Dieu, en disant: « Un grand prophète a paru parmi nous et Dieu a visité son peuple. »

Dans ce récit, Jésus voit cette foule de pleureuses et d'hommes gémissants qui entoure un cercueil où gît un jeune garçon. Sa mère suit, accablée de chagrin. Elle est veuve, sans famille. Jésus s'approche. Que disent-ils au milieu de leurs sanglots ? Que murmurent leurs mines consternées ? « C'est son fils unique, son garçon, qui est mort, son soutien de famille. Il était son bâton de vieillesse. Le malheur est sur elle, veuve qu'elle était déjà. La pauvre femme, Dieu n'a-t-il pas pitié ? Qui peut voir pareille douleur ? Son petit lui est, par la mort, arraché. Que va-t-elle devenir ? Il ne lui reste plus rien... La voilà comme stérile à nouveau ! » Jésus est ému de compassion. « Ne pleure pas », dit-il à la femme. Il s'approche, touche le cercueil du garçon, les porteurs s'arrêtent.
Nous pouvons, nous qui lisons ce texte aujourd'hui, nous imaginer le saisissement de la femme, de la mère. Son visage est tendu. Ses yeux dont l'expression est profondément renouvelée, sortent de leur bain de larmes, noyés qu'ils étaient, et sont encore, dans les ténèbres de son cœur. Un pli se creuse entre. ses sourcils. Elle fixe cet homme qui dérange le déroulement prévu de la scène où elle joue son rôle important et pitoyable de mère éplorée. Arrêtée, elle tend son chef et son cou vers l'homme qui a parlé, muette, dans l'expectative de ce qui arrive d'étrange. Dans le vécu de cette scène, il y a là un moment qui est fantastique.

G.S. : Vous venez de raconter ce qu'on peut imaginer.

F.D. : Oui, en lisant ce texte de l'Évangile, j'imagine la scène.

G.S. : N'y aurait-il pas intérêt à rester près du texte, du symbolique, sans y mettre l'imaginaire ?

F.D. : Peut-être n'avons-nous pas le droit d'extrapoler avec l'imaginaire et devons-nous rester dans ce que les mots disent. Mais je sais que tout ce que nous lisons, tout ce qui est dit en mots, a fatalement en écho référence à notre être tout entier. Et si, donc, nous voulons nous abstraire de l'imaginaire, c'est qu'alors nous vouIons abstraire notre corps et notre cœur du message que les évangiles apportent.

G.S. : Comment les mots, les pensées et l'imaginaire sont-ils en rapport ?

F.D. : Si penser ou réfléchir n'est pas le fait de l'imaginaire, il est certain aussi que penser n'est pas sans rapport avec l'imaginaire. Dès notre enfance, nous appréhendons aussi par l'imaginaire le monde qui nous entoure, nous le peuplons d'êtres imaginaires. Puis, nous découvrons que le monde n'est jamais ce que nous imaginons qu'il est.
La réalité du monde se découvre quand nous nous heurtons à lui, quand il y a choc, rupture, brisement. Alors nous savons que le monde n'est pas tel que nous l'imaginons.
Autrement dit, nous ne pouvons approcher, cerner la réalité directement. Nous ne pouvons la rejoindre que par la médiation, l'entremise de l'imaginaire. De cette médiation nous ne pouvons faire l'économie. Il est certain que, pour chacun de nous, penser, parler et imaginer font partie de notre être, de notre vie. Notre imaginaire fait partie de nous. C'est aussi avec lui donc, que nous devons approcher, cerner la lecture des évangiles.

G.S. : Mais alors... l'idéal serait d'avoir des... hallucinations évangéliques !

F.D. : Non, bien sûr. La rencontre de mon imaginaire avec la réalité provoque - comme je viens de le dire - un phénomène de cassure, de faille. Je suis donc obligée de sortir par moments de mon imaginaire, de mes rêveries, de mes illusions, parce que je rencontre l'irruption de la réalité qui vient instituer en moi une séparation, qui me féconde et m'enrichit.
Ainsi, moi qui suis femme, je me projette plus facilement dans cette femme qui subit une castration, une séparation, une rupture qu'elle refuse et qu'elle veut remplacer par toute la « cuisine » sociale d'un enterrement qui la fait plaindre par tout le monde.

G.S. : Tout bien considéré, la lecture des évangiles est une projection, c'est-à-dire qu'une scène décrite dans les évangiles vous donne la possibilité d'attribuer vos sentiments à un ou deux personnages et ainsi, éventuellement, de mieux vous connaître.
 
F.D. : Oui, vous avez raison, je me représente la scène comme si j'y étais. Cet imaginaire qui est celui de la lectrice que je suis, n'implique pas que chacun va avoir le même imaginaire que moi. Mais je crois que ce qu'il y a d'unique dans les textes bibliques, c'est que chacun de nous peut y projeter son imaginaire afin que le message symbolique lui parvienne. Si le message symbolique contenu dans les mots passe sans qu'il y ait participation de notre être et donc de notre corps et du vécu de chacun, je pense qu'alors ces textes n'apportent pas la vie à notre corps, à notre esprit, à notre cœur.
Ce que le message du Christ nous dit, c'est que toute sa parole doit s'incarner, doit prendre chair, et ceci jusque dans les pulsions partielles (1). Quel que soit son âge, quel que soit son désir, son niveau de souffrance et son évolution psychique, chacun peut se projeter. La clé de la lecture des évangiles, c'est qu'il faut se projeter pour recevoir (2). Si l'on reçoit sans avoir rien projeté de son imaginaire, c'est une fausse réception. C'est une réception d'intellectuel. Le contenu vivifiant, le contenu mutant des paroles bibliques est privé des avenues qui peuvent véhiculer l'effet créatif dans le lecteur.

G.S. : D'après ce que vous dites, il ne suffit pas de se projeter dans la scène évangélique, il ne suffit pas d'imaginer, il doit y avoir réponse fructueuse ou heurt, ou fracture fertile aussi.

F.D. : Par exemple, l'arrivée du Christ me fait penser: « De quoi se mêle-t-il celui-là ? Qu'est-ce qu'il vient déranger dans le processus réglé d'avance, où moi la femme-mère j'ai un rôle à jouer, où le fils-cadavre joue son rôle et où finalement tout est bien comme cela ? Et voilà la vérité du Christ qui vient caramboler la réalité. Je suis en train d'imaginer, je suis en train de me conformer à un processus social et tout à coup, voilà le réel qui fait irruption, dans la réalité, voilà une parole absolument surprenante, inattendue, insolite. C'est tout le corps de cette femme, tout son être qui est bouleversé par quelqu'un qui se permet de transgresser les règles du déroulement d'une cérémonie.

G.S. : Un homme peut se voir à la place du gars mort...

F.D. : Il peut se projeter dans la femme aussi, il peut se projeter dans les porteurs. Pourquoi ne pas mettre nos projections dans la lecture de la Bible, tout en se référant au véritable texte ? C'est tout à fait différent de l'exégèse qui cherche à établir le véritable texte.

G.S. : Donc, pour vous, peu importent les mots, l'important c'est ce que vous y mettez.

F.D. : Je ne dis pas peu importe. Il faut que les mots restent les mêmes dans un texte: c'est le point de référence, la pierre de touche. Quand il les lit, chacun vit ce qu'il en éprouve, mais, si chaque fois que quelqu'un avait lu un écrit, il en modifiait le texte, celui-ci deviendrait du chewing-gum. On n'aurait plus de texte du tout. Au contraire, ce texte des évangiles est capable de réveiller chez chacun un imaginaire différent, en rapport avec ce qu'il a vécu dans sa propre vie et, parce que ce document ne change pas, il est un point de repère sur lequel notre imaginaire peut se projeter et se heurter.

G.S. : Certains lisent les évangiles avec une grille « matérialiste ».

F.D. : Oui, d'autres avec une grille « structuraliste », pourquoi pas, mais c'est un autre travail. Vous savez, chacun a lutté contre le manque de son désir, chacun a essayé de combler les lacunes de ses espoirs, il possède ainsi un acquis, c'est-à-dire une culture, un savoir, une technique. Avec sa culture, avec son capital d'expériences, chacun va aborder les textes bibliques, et en les abordant de différentes manières, ce qu'il étudie prend un sens nouveau, et, parce que l'Esprit passe à travers ce texte, quelque chose en lui de nouveau peut s'y éveiller.


1. Quand un sujet désire communiquer avec un autre sujet. son désir passe par l"intermédiaire des pulsions partielles: le voir, le toucher, l'entendre, etc. Le désir passe par le canal, par le truchement, des parties du corps qui prennent contact soit directement, soit indirectement avec autrui par le langage. Ces pulsions de désir donnent du plaisir. La vue, l'ouïe. le toucher donnent un plaisir partiel. On dit. désir partiel. pour des plaisirs partiels. On dit. désir total. pour le contact total avec un autre.
Ainsi, dans l'Eucharistie, on rencontre une personne totale et, en même temps. cette rencontre nourrit nos pulsions partielles de faim, soif, manger, boire... pulsions orales, cannibales - mais pas seulement -, désir qui vise un avoir, un prendre. un savoir, un pouvoir, etc.

2. Mt 5, 25-34. L'exemple de l'hémorragique nous le montre. Jésus est bousculé : des gens voulaient le toucher. Mais une seule personne projetait sur lui son désir. C’est par elle seule qu'il a été touché.
En haut...

Page 112
La nouveauté, l'aventure, l'imprévu, la nouvelle, la Bonne Nouvelle, angoissent d'abord avant de donner paix et joie.
En haut...

Page 113
F.D. : Ils découvrent tout d'un coup que l'enfant qu'ils aimaient n'est pas celle qui ressuscite. Une résurrection, c'est une rupture, une mutation. La voilà ressuscitée. Au lieu de leur donner, donc, cette enfant à embrasser, à couvrir de baisers, Jésus leur dit: « Donnez-lui à manger; c'est votre seul rôle maintenant vis-à-vis de votre fille. »

G.S. : « Et n'en parlez pas, fermez votre bouche. »

F.D. : Que la vie de cette fillette guérie témoigne par elle-même. Point de papotages à son sujet, point de propos où elle serait à nouveau héroïne passive d'exploits spectaculaires. De plus, les parents se vanteraient peut-être encore avec elle et par elle. Ils seraient tous objets d'admiration. Non, qu'elle mange et aille, signe suffisant par lui-même. C'est elle qui doit, dorénavant, assumer ses agissements, parler en son nom.
En haut...

Page 121
C'est par souffrance et deuil que l'être humain doit passer pour évoluer. Il y a des expériences douloureuses qui sont inévitables, par lesquelles les êtres humains sont éprouvés dans leur foi: ils passent par la nuit.
En haut...

Pages 138 - 139
Le christianisme, en s'organisant institutionnellement, a recommencé à faire des « juifs », il a fabriqué à la chaîne des fidèles, aliénés à des personnes vivantes, qui représenteraient elles-mêmes le Phallus symbolique, l'Impossible, l'Autre, l'Ailleurs...

G.S. : Mais est-il possible qu'une société existe sans aliénation du désir ?

F.D. : Si c'est une société avec une hiérarchie, c'est impossible. Quand la vie d'une société se fait par échanges entre pairs, c'est possible.

G.S. : Mais est-il possible qu'existe une société sans hiérarchie ?

F.D. : Jusqu'à présent, cela n'a pas été possible à cause des « inter-transferts », des besoins de rechercher des valeurs de puissance et d'autorité imaginairement prêtées à certains plus « initiés » que soi - comme quand on était petit on recherchait des parents qui avaient alors du pouvoir sur nous, enfants, et qui savaient tout, et dans l'obéissance à qui, sous la dépendance de qui on trouvait un sentiment de sécurité. En fait, je ne sais pas s'il est possible qu'une religion s'implante dans une société sans une hiérarchie, et surtout sans une combinaison des valeurs phalliques et des pulsions : initiateur-initié, jugement-soumission, etc., par rapport à un règlement, à des rites, etc. - ce qui implique le sentiment de culpabilité lié à des manquements dans la soumission, dans l'observance. Ces scories inhérentes à la vie grégaire humaine et à la sécurité politique... sont étrangères à l'Évangile.
En haut...