Du
zéro à un
Réfléchissons à ce qu'est le plus
mystérieux - paradoxalement le plus présent - des
nombres réels : le zéro. Si ce
« non-nombre » - cette ombre de
nombre - nous
intrigue tant, c'est qu'il n'est pas seulement en relation de
dualité avec l'infini : il a l'étrange
pouvoir d'
engendrer
l'infini.
Comment est-ce possible ? Comment « quelque chose
» - en fait un infini - peut- il sortir de
rien ?
Question folle, qui avait halluciné Cantor, le plus grand
savant de l'infini au XIX siècle, jusqu'à ce que
sa raison perde pied à tout jamais. Il était
persuadé qu'au bout de la chaîne de tous les
infinis se tenait un infini encore plus grand, qui les dominait
tous :
Dieu lui-même. Mais, comme il l'avait confié
à Hilbert, il sentait obscurément que ces
infinis, formés de tous les nombres possibles et
imaginables, provenaient de cette source unique, d'un néant
numérique concentrant tous les
mystères : le
zéro.
Ici, nous allons traverser deux de ces mystères. Le premier
recouvre ce qui pourrait passer pour une simple curiosité
mais qui, en réalité, est d'une extrême
profondeur (c'est en tous cas ce qu'estiment
généralement les théoriciens des
nombres, et plus encore ceux du zéro) : le zéro a
le pouvoir d’
engendrer
le chiffre 1. Comment est-ce possible ? Puisque nous ne
disposons que du zéro et de rien d'autre, nous allons
effectuer l'une des seules opérations naturelles qui soit
réalisable (c'est peut-être même la plus
naturelle qui soit) : élever zéro à la
seule puissance possible (compte tenu des chiffres dont nous
disposons). Cette puissance, c'est nécessairement
zéro ! Or, la théorie nous l'a
montré : zéro à la puissance
zéro n'est pas égal à zéro
mais à un ! Fantastique résultat, magie
incroyable du zéro qui « crée du nombre
»à partir de lui-même,
c'est-à-dire de rien. On peut d'ailleurs retrouver le
même résultat en calculant ce que les
mathématiciens appellent la
« factorielle » de
zéro. La factorielle d'un nombre entier n'est autre que le
produit des nombres entiers positifs inférieurs ou
égaux à ce nombre. Comme le cas de
zéro débouche sur un « produit
vide », par construction, la factorielle de zéro
(notée 0 !) est égale à 1. Et
là encore, on matérialise 1 à partir
de 0 Mais ce n'est pas tout.
Car nous allons montrer que le zéro peut engendrer tous les
nombres, qu'ils soient réels ou imaginaires purs. La
recette ? Elle existe en fait depuis le XIXe siècle
et a été reformulée par John von
Neumann lui-même. Chose étonnante : c'est
en utilisant cette formule que von Neumann a pu construire, dans les
années quarante, le tout premier ordinateur du monde. Alors,
comment faire pour la « voir » à notre
tour ?
Une fois de plus, nous allons « faire avec ce qui existe
», c'est-à-dire juste zéro. Prenons
simplement le symbole le plus pur de zéro, qui en
théorie des ensembles n'est pas le zéro
lui-même mais l'ensemble vide. A quoi est égal cet
ensemble vide ? A zéro, par construction. Nous
appelons « ensemble originel » cet ensemble vide.
En termes mathématiques, on dira que le «
cardinal » (c'est-à-dire le total) de
l'ensemble vide originel est nul. Soyons bien attentifs, car nous
allons maintenant découvrir le fabuleux secret qui,
à partir de zéro, va nous permettre de
« créer» tous les nombres. Et, par
là, va nous donner la plus saisissante image qui soit du Big
Bang froid, un Big Bang étrange, silencieux, noir, sans
énergie, mais bourré d'information, un Big Bang
froid qui a eu lieu bien avant le Big Bang chaud.
Nous avons donc l'ensemble vide et le zéro auquel est
égal l'ensemble vide. Que faire maintenant ? Tout
simplement la seule chose qui soit possible : placer le
zéro
à
l'intérieur de l'ensemble vide ! Or
là, tout change, car désormais notre ensemble
n'est plus vide : il contient le zéro,
c'est-à-dire
un
élément. Le bond en avant est
immense car maintenant, le cardinal de l'ensemble
considéré n'est plus zéro
mais un ! Nous
avons déjà réussi un
exploit : engendrer un à partir de zéro.
Et à partir de là, plus rien ne pourra nous
arrêter. En effet, nous allons prendre ce chiffre 1
créé par miracle et nous allons le placer
à son tour à côté du
zéro, dans ce qui était au départ
l'ensemble vide. Mais cela veut dire que dans cet ensemble,
désormais, il y a deux
éléments : le cardinal est donc 2. Nous
avons ainsi fabriqué le chiffre 2. Et pour le chiffre 3 ? La
procédure est la même : nous rangeons 3
à côté de ses
prédécesseurs dans l'ensemble d'origine.
Même chose pour 4, pour 5 et ainsi de suite,
jusqu'à l'infIni.
*
Nous venons, à partir de zéro, donc de rien, de
recréer l'ensemble de tous les entiers naturels. Et ce qui
est vrai pour les entiers peut l'être aussi (en introduisant
quelques « lois » supplémentaires
très simples) pour toutes les autres familles de nombres:
rationnels, irrationnels, imaginaires purs, tous, sans exception,
peuvent être engendrés à partir du
zéro. Jusqu'à l'infini. Ici une
remarque : le zéro est un nombre
réel (et
non pas imaginaire). En fait, s'il existe les chiffres 0, 1, 2 etc., en
revanche, il n'existe pas un nombre imaginaire qui
s'écrirait 0i. Cela confirme bien que les nombres
imaginaires représentent une
extension des
nombres réels(¹). Mais surtout, cela nous permet de
bien comprendre qu'à l'échelle zéro de
l'espace-temps il n'existe pas encore cinq mais seulement
quatre
dimensions : les quatre dimensions spatiales correspondant aux
quatre ensembles de nombres réels (les entiers, les
rationnels, les irrationnels et les réels complets). En
réalité, la cinquième dimension (qui
porte le temps) apparaît
« après ». Mais
après quoi ? Décrivons aussi simplement
que possible un dernier mécanisme : il ne nous dira pas
exactement ce qui
s'est passé à l'origine, mais il va nous fournir
une image: celle-ci peut nous aider à mieux « voir
» le secret de la naissance du temps.
(1.) Imaginaires. certes, mais comme ils sont les piliers sur lesquels
repose la mécanique quantique, sans eux il n'y aurait pas de
télévision, pas d'ordinateurs, pas de
téléphones portables, en bref, rien de ce qui a
transformé notre vie quotidienne.