Couverture : Avant le Big Bang


« Au commencement était le Verbe... (Jean 1,1) » Nous pourrions aussi dire : « Il est parti de rien...  » Et il gonfle, gonfle, vers l'infini, vers rien !

Que se passait-il « avant le Big Bang » ? Et à quoi ressemblaient l'espace et le temps avant que tout ne commence ?
Depuis le début du XXe siècle les théoriciens – de Planck à Einstein ou Hawking – n'en finissent pas d'affiner ces questions, et leurs éventuelles réponses. C'est ce grand roman de l'origine absolue qu'Igor et Grichka Bogdanov ont entrepris d'explorer à leur tour, dans ce livre savant et sereinement pédagogique, Pour la première fois, ils esquissent même, à partir des découvertes les plus récentes, et en se fondant sur une recherche originale, plusieurs hypothèses promises à un grand retentissement : l'univers d'avant le Big Bang était-il – déjà ? – un réseau complexe d'informations ? Et n'y aurait-il pas, à l'origine de cet univers, un « code cosmologique » comme il existe, pour le vivant, un code génétique ?

Après une loooooooooongue introduction, qui n'a d'autre but que de se justifier auprès de leurs paires, les frères BOGDANOV développent (démontrent ?) une théorie qui expliquerait le développement de notre univers. Pas le pourquoi -ils sont certes géniaux, mais tout de même...- mais le comment. Rien de bien nouveau, ce commencement est connu de longue date, il suffit de lire quelques textes anciens pour s'en persuader. Il reste une question qu'un mathématicien résoudra peut-être un jour : qu'y avait-il avant l'instanton zéro, avant le Verbe ???

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Auteur(s) :

Igor et Grichka BOGDANOV
Igor et Grichka Bogdanov sont, respectivement, docteur en physique théorique et docteur en mathématiques (Université de Bourgogne). Ils animent actuellement une émission scientifique sur France 2 et ont publié, chez Grasset en 1991, un livre d'entretiens avec le philosophe Jean Guitton (Dieu et la Science). Ils poursuivent aujourd'hui leurs travaux sur l'origine de l'univers au sein de l'Institut international de Physique mathématique.

Références bibliographiques :

Paris, Bernard Grasset, 2004, 396 p.

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Extrait :

Pages 294 à 298

Du zéro à un


Réfléchissons à ce qu'est le plus mystérieux - paradoxalement le plus présent - des nombres réels : le zéro. Si ce « non-nombre » - cette ombre de nombre - nous intrigue tant, c'est qu'il n'est pas seulement en relation de dualité avec l'infini : il a l'étrange pouvoir d'engendrer l'infini. Comment est-ce possible ? Comment « quelque chose » - en fait un infini - peut- il sortir de rien ? Question folle, qui avait halluciné Cantor, le plus grand savant de l'infini au XIX siècle, jusqu'à ce que sa raison perde pied à tout jamais. Il était persuadé qu'au bout de la chaîne de tous les infinis se tenait un infini encore plus grand, qui les dominait tous : Dieu lui-même. Mais, comme il l'avait confié à Hilbert, il sentait obscurément que ces infinis, formés de tous les nombres possibles et imaginables, provenaient de cette source unique, d'un néant numérique concentrant tous les mystères : le zéro.
Ici, nous allons traverser deux de ces mystères. Le premier recouvre ce qui pourrait passer pour une simple curiosité mais qui, en réalité, est d'une extrême profondeur (c'est en tous cas ce qu'estiment généralement les théoriciens des nombres, et plus encore ceux du zéro) : le zéro a le pouvoir d’engendrer le chiffre 1. Comment est-ce possible ? Puisque nous ne disposons que du zéro et de rien d'autre, nous allons effectuer l'une des seules opérations naturelles qui soit réalisable (c'est peut-être même la plus naturelle qui soit) : élever zéro à la seule puissance possible (compte tenu des chiffres dont nous disposons). Cette puissance, c'est nécessairement zéro ! Or, la théorie nous l'a montré : zéro à la puissance zéro n'est pas égal à zéro mais à un ! Fantastique résultat, magie incroyable du zéro qui « crée du nombre »à partir de lui-même, c'est-à-dire de rien. On peut d'ailleurs retrouver le même résultat en calculant ce que les mathématiciens appellent la « factorielle » de zéro. La factorielle d'un nombre entier n'est autre que le produit des nombres entiers positifs inférieurs ou égaux à ce nombre. Comme le cas de zéro débouche sur un « produit vide », par construction, la factorielle de zéro (notée 0 !) est égale à 1. Et là encore, on matérialise 1 à partir de 0 Mais ce n'est pas tout.
Car nous allons montrer que le zéro peut engendrer tous les nombres, qu'ils soient réels ou imaginaires purs. La recette ? Elle existe en fait depuis le XIXe siècle et a été reformulée par John von Neumann lui-même. Chose étonnante : c'est en utilisant cette formule que von Neumann a pu construire, dans les années quarante, le tout premier ordinateur du monde. Alors, comment faire pour la « voir » à notre tour ?
Une fois de plus, nous allons « faire avec ce qui existe », c'est-à-dire juste zéro. Prenons simplement le symbole le plus pur de zéro, qui en théorie des ensembles n'est pas le zéro lui-même mais l'ensemble vide. A quoi est égal cet ensemble vide ? A zéro, par construction. Nous appelons « ensemble originel » cet ensemble vide. En termes mathématiques, on dira que le « cardinal » (c'est-à-dire le total) de l'ensemble vide originel est nul. Soyons bien attentifs, car nous allons maintenant découvrir le fabuleux secret qui, à partir de zéro, va nous permettre de « créer» tous les nombres. Et, par là, va nous donner la plus saisissante image qui soit du Big Bang froid, un Big Bang étrange, silencieux, noir, sans énergie, mais bourré d'information, un Big Bang froid qui a eu lieu bien avant le Big Bang chaud.
Nous avons donc l'ensemble vide et le zéro auquel est égal l'ensemble vide. Que faire maintenant ? Tout simplement la seule chose qui soit possible : placer le zéro à l'intérieur de l'ensemble vide ! Or là, tout change, car désormais notre ensemble n'est plus vide : il contient le zéro, c'est-à-dire un élément. Le bond en avant est immense car maintenant, le cardinal de l'ensemble considéré n'est plus zéro mais un ! Nous avons déjà réussi un exploit : engendrer un à partir de zéro. Et à partir de là, plus rien ne pourra nous arrêter. En effet, nous allons prendre ce chiffre 1 créé par miracle et nous allons le placer à son tour à côté du zéro, dans ce qui était au départ l'ensemble vide. Mais cela veut dire que dans cet ensemble, désormais, il y a deux éléments : le cardinal est donc 2. Nous avons ainsi fabriqué le chiffre 2. Et pour le chiffre 3 ? La procédure est la même : nous rangeons 3 à côté de ses prédécesseurs dans l'ensemble d'origine. Même chose pour 4, pour 5 et ainsi de suite, jusqu'à l'infIni.

*
Nous venons, à partir de zéro, donc de rien, de recréer l'ensemble de tous les entiers naturels. Et ce qui est vrai pour les entiers peut l'être aussi (en introduisant quelques « lois » supplémentaires très simples) pour toutes les autres familles de nombres: rationnels, irrationnels, imaginaires purs, tous, sans exception, peuvent être engendrés à partir du zéro. Jusqu'à l'infini. Ici une remarque : le zéro est un nombre réel (et non pas imaginaire). En fait, s'il existe les chiffres 0, 1, 2 etc., en revanche, il n'existe pas un nombre imaginaire qui s'écrirait 0i. Cela confirme bien que les nombres imaginaires représentent une extension des nombres réels(¹). Mais surtout, cela nous permet de bien comprendre qu'à l'échelle zéro de l'espace-temps il n'existe pas encore cinq mais seulement quatre dimensions : les quatre dimensions spatiales correspondant aux quatre ensembles de nombres réels (les entiers, les rationnels, les irrationnels et les réels complets). En réalité, la cinquième dimension (qui porte le temps) apparaît « après ». Mais après quoi ? Décrivons aussi simplement que possible un dernier mécanisme : il ne nous dira pas exactement ce qui s'est passé à l'origine, mais il va nous fournir une image: celle-ci peut nous aider à mieux « voir » le secret de la naissance du temps.

(1.) Imaginaires. certes, mais comme ils sont les piliers sur lesquels repose la mécanique quantique, sans eux il n'y aurait pas de télévision, pas d'ordinateurs, pas de téléphones portables, en bref, rien de ce qui a transformé notre vie quotidienne.

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Pages 355 - 356
III
RAPPORT DE THÈSE
par le professeur Roman JACKlW
Département de physique théorique
Massachusetts lnstitute of Technology (MIT)
11 avril 2002
L'auteur propose une solution nouvelle et spéculative au problème de la Singularité Initiale qui précède le Big Bang, problème qu'il est impossible d'analyser dans le cadre conventionnel de la théorie des champs. Igor Bogdanov fait donc l'hypothèse selon laquelle cette (inaccessible) époque est gouvernée par la théorie topologique des champs thermiques qui satisfait à la condition de périodicité KMS. Dans le but de rendre ses idées plus concrètes, l'auteur fait plusieurs propositions inattendues mais toujours techniques qui reflètent avec vigueur l'originalité de sa pensée. Le champ considéré ici est celui de la théorie de supergravité N = 2. Avant le temps de Planck, l'espace-temps est soumis à un état de superposition quantique entre la composante lorentzienne et la composante minkowskienne. Un instanton euclidien singulier gouverne la singularité initiale tandis que la composante lorentzienne devient dominante à l'échelle de Planck et au-delà.
Cette thèse établit le phénomène fascinant qui suit. En effet, selon les approches conventionnelles appliquées à un système dynamique à haute température (e.g.la théorie des champs), il est admis qu'une direction genre temps est perdue; et dans un tel contexte, il nous est alors demandé d'analyser la dynamique du système qui se trouve réduit à 3 dimensions d'espace. Par exemple, la théorie physique de Yang et Mills devient une théorie euclidienne de jauge à 3 dimensions tandis que le terme de Chern-Simons (introduit en physique par moi-même et mes collaborateurs) entre alors en application.
Or ici, l'idée non conventionnelle introduite par Bogdanov est qu'à haute température, le système Yang - Mills fluctue dans la quatrième dimension supprimée, prenant alternativement une valeur genre temps et/ou genre espace. En d'autres termes, la surface spatiale à 3 dimensions a donc deux extensions possibles à l'intérieur desquelles on observe une fluctuation: l'espace-temps physique lorentzien usuel à (3 + 1) dimensions fluctue avec un espace euclidien à 4 dimensions.
Ce travail requiert encore d'autres développements avant qu'il puisse représenter une solution complète au problème qu'il pose. Cependant, la thèse et les publications scientifiques représentent d'ores et déjà une excellente introduction à ces idées et peuvent donner un essor très utile aux futures recherches qui se feront, dans ce domaine, à la suite de Igor Bogdanov.
En conséquence, je recommande que Igor Bogdanov soit élevé au grade de Docteur en Physique Théorique.

Professeur Roman Jackiw
Département de physique théorique
Massachusetts Institute of Technology (MIT)